Le Maroc est inquiet

Par Karim Boukhari

Ne vous fiez pas à l’unanimisme trompeur des 98,5 % de Oui obtenus par la nouvelle Constitution. Ce chiffre est biaisé et il ne faut pas le prendre très au sérieux. Il ne traduit absolument pas l’inquiétude grandissante au sein de la société marocaine, toutes classes confondues. Et il n’est pas digne d’une démocratie; bien au contraire, ce chiffre est la preuve que quelque chose ne tourne pas rond dans le plus beau pays du monde.
Il suffit de regarder autour de nous pour réaliser que le soir du vendredi 1er juillet a été vécu par beaucoup de Marocains, y compris parmi les partisans sincères du Oui, comme un traumatisme collectif et une immense déception. “Ils ne vont quand même pas nous refaire ça”, pensait-on, même au plus fort d’une campagne digne d’un pays totalement arriéré. Eh bien si, “ils” ont décidé de nous faire boire le calice jusqu’à la lie. Et là, il faut bien que l’on se mette tous d’accord sur un point : en démocratie, il est tout simplement impossible d’obtenir du quasi 100 %. Cela ne s’est jamais fait à travers l’histoire. C’est absurde. Seules les dictatures sont capables de telles “performances”, et les arguments que l’on nous avance (grosso modo : si les abstentionnistes avaient voté, le résultat aurait été autre) ne changent rien au fond de l’affaire. Je le répète, démocratie et unanimisme sont incompatibles. Au Maroc, nous croyions et surtout nous espérions que seul Hassan II pouvait nous faire “ça”. Et voilà que l’on découvre que Mohammed VI aussi.
Maintenant, à bien y regarder, on peut considérer que ce n’est pas un référendum constitutionnel que le Maroc vient de vivre, mais bien une sorte de “présidentielle”. Le chef de l’Etat, qui n’est pas élu, a sauté sur l’occasion du référendum pour s’adjuger un plébiscite populaire quasi programmé, une Bey’a bis mais cette fois par voie électorale. En avait-il besoin ? Peut-être que oui, et peut-être que non. L’avenir nous le dira. Ce qui est sûr, c’est que le chef de l’Etat a choisi de faire monter sa cote personnelle (en invitant les Marocains à dire Oui et en autorisant l’appareil administratif à mener la campagne que vous savez), là où il aurait pu faire gagner la démocratie s’il avait joué la carte de la neutralité.
Sur un autre plan, le fait que le chef de l’Etat ait décidé de transformer une consultation référendaire en “présidentielle” est bien la preuve que les événements vécus par le Maroc tout au long de ces derniers mois, et notamment la pression montant de la rue, l’ont secoué. Tous ceux qui ont eu des apartés avec des dignitaires du régime savent que le Pouvoir a tremblé, pour ne pas dire qu’il a flotté, avant de trouver la parade avec cette Constitution, prétexte à un plébiscite royal.
Vu sous cet angle, on comprend un peu mieux que le “référendum” ait débouché sur ce score surréaliste de 98,5 %. Alors soit. Mais cela change-t-il quelque chose au problème marocain ? Je ne le crois pas. Si le roi a consolidé son trône et réaffirmé sa légitimité, en un mot si le roi a “gagné”, il a entraîné dans son élan tout le système makhzénien, qui a montré qu’il avait de beaux restes. En face, la démocratie n’a absolument rien gagné et le Maroc est plus inquiet que jamais. Nous sommes donc toujours logés à la même enseigne. Je retiens pour ma part deux seuls motifs d’espoir, dont le premier me semble irréversible : les jeunes, grâce au Mouvement du 20 février, sont désormais politisés et plus rien ne se passera sans eux. Contrairement à ce que prétend la propagande officielle, ces jeunes continueront de mûrir et de gagner en muscle, et je ne les vois pas baisser les bras, bien au contraire. Le deuxième motif d’espoir s’appelle la liberté d’expression qui a gagné de la marge, même si les voix libres et indépendantes restent noyées au milieu des propagandistes et des béni-oui-oui. Cette liberté d’expression nouvelle, et relative, est-elle irréversible ? Je l’espère, nous l’espérons, mais il va falloir batailler dur pour la rendre réellement irréversible.