Entre l’espoir et le doute

Par Karim Boukhari

Le Maroc ressemble aujourd’hui à un malade qui s’apprête à subir une batterie de tests. S’il les réussit, on dira que le patient marocain est en voie de guérison. Mais s’il les rate… Le premier examen est en train de se dérouler sous nos yeux : comment la justice marocaine va-t-elle se comporter avec les présumés terroristes ? En 2003, dans la foulée des attentats de Casablanca, la justice a été aux abonnés absents, abandonnant tout à la police de Hamidou Laânigri, qui a orchestré des rafles massives et totalement hors-la-loi. Il n’y avait plus aucun garde-fou, les arrestations ressemblaient à des enlèvements, les interrogatoires se déroulaient plus dans les centres secrets que dans les commissariats, la torture était monnaie courante. Et les procès qui ont suivi tout cela tenaient de la mascarade. Cette horrible parenthèse a été rendue possible par la caution de la loi antiterroriste et par le silence coupable d’une partie de la classe politique. Et il n’est pas question de revivre cette horreur, sous aucun prétexte… L’attentat de Marrakech se présente donc aujourd’hui comme un test qui nous renseignera sur la sincérité des réformes promises par le Pouvoir. Notre position et celle de tous les démocrates doit être claire et sans équivoque : nous refusons la torture, les enlèvements, les détentions arbitraires et les procès expéditifs. Nous exigeons d’être informés en toute transparence sur le déroulement des enquêtes. Ce n’est pas à la police mais à la justice de se prononcer sur le sort des personnes arrêtées. La police ne peut plus échapper au contrôle, et la justice est tenue de protéger les droits des accusés. En gros, ce qui a plus ou moins été passé sous silence, ou toléré, en 2003, ne peut plus l’être.
J’espère pour ma part que le Maroc réussira ce test. Espérer, c’est aussi douter. Et le doute est permis. Il me semble même que c’est le sentiment le plus fort du moment. Nous avons vécu une espèce d’euphorie qui a démarré avec la révolution tunisienne, s’est précisée avec le Mouvement du 20 février et n’a pas été démentie par le discours royal du 9 mars. L’effet Marrakech nous plonge de facto dans le doute. Parce qu’on ne sait plus clairement sur quel pied danser, ni dans quelle direction notre pays risque d’aller.
Comme l’euphorie, le doute est un sentiment extrêmement contagieux. Il avance d’autant plus vite que le terrain est extrêmement fertile : l’appréhension (est-ce que la prochaine Constitution répondra à nos attentes ?) et l’incompréhension (comment peut-on mettre un journaliste en prison au moment où le Maroc est appelé à élargir les espaces de liberté ?) sont bien plantées dans le décor, et il va falloir se lever tôt pour les déraciner.
Comment ne pas s’interroger et comment ne pas se poser des questions, dont la plus importante est : peut-on faire confiance au Pouvoir, est-il sincère dans ses intentions de réforme ? Répondre à cette question par la négative revient à faire un procès d’intention et à insulter, peut-être, l’avenir. J’espère sincèrement qu’on n’en sera pas là. Mais je doute. Et je m’inquiète, comme pour le reste de très larges cercles de démocrates et d’épris de liberté et de progrès.
Dans tous les cas, les tests que subit le “patient marocain” nous fourniront de précieux éléments de réponse. Nous les suivrons de très près. L’incarcération de Rachid Niny, qui risque de nous occuper un bon moment, est un très mauvais indicateur sur les intentions du régime quant à la liberté d’expression. Elle va à l’encontre du discours officiel, c’est une erreur et il n’y a pas 36 000 moyens de nous convaincre du contraire mais un seul : relâcher le journaliste avant toute chose. Le traitement des auteurs présumés de l’attentat de Marrakech et la question des droits de l’homme sont, comme on l’a vu, un autre test. Je n’ose même pas imaginer le désespoir et la colère dans lesquelles le ratage de ces deux premiers tests pourrait nous plonger.