Comme un champignon sauvage

Par Karim Boukhari

L’actualité politique a été dominée par la création de ce qu’on appelle le G8, un groupement de huit partis sous le nom de “l’Alliance pour la démocratie”. Cela a-t-il du sens ? En théorie oui, puisque nous nous retrouvons devant un nouveau pôle et, de toute évidence, ces huit partis sont capables de former, selon les résultats des législatives de novembre, un gouvernement ou une opposition. Maintenant, de quoi est constitué ce pôle ? Eh bien, l’identité des “alliés” et leurs différences idéologiques font ressembler l’ensemble à une auberge espagnole : nous avons ce qu’on peut appeler des libéraux royalistes (le RNI de Mezouar, le PAM d’El Himma, l’UC et le MP), des socialistes en mal de repères (les Travaillistes de Benatik, le PS de Bouzoubaâ et la Gauche verte) et un petit parti islamiste (le PRV). Vous aurez remarqué que le G8 exclut la Koutla (PPS, USFP, Istiqlal) et le PJD, c’est-à-dire les partis les mieux implantés et les plus populaires du pays.
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les architectes du G8 ont de la suite dans les idées. Ils ont eu l’intelligence de déplacer la pression vers la Koutla et le PJD, obligés de chercher des alliances et de se rapprocher les uns des autres, ce qui peut leur faire très mal : une alliance entre les islamistes du PJD et les anciens communistes du PPS ou les socialistes de l’USFP ferait perdre à tous ces partis leurs bases et leurs jeunesses. Ce serait un suicide politique. Je ne crois pas un seul instant que les dirigeants de ces partis soient prêts à payer ce prix pour accéder, demain, au gouvernement ou rester simplement dans la course. Et, puisqu’ils ne pourront pas “payer”, ils se présenteront aux législatives en rangs dispersés et devraient logiquement les perdre. Alors qu’ils sont les favoris naturels des prochaines élections !
Tout cela a donc du sens et ce sens est très simple à définir : en plus de servir facilement de gouvernement ou d’opposition au lendemain des législatives, évitant ainsi une nouvelle crise post-électorale, le G8 est une machination anti-Koutla et anti-PJD. Le G8 est né pour tuer, passez-moi l’expression, les “emmerdeurs” (parce que récalcitrants et pas toujours malléables en phase de négociations) de la Koutla et du PJD. De là à imaginer que le G8 est de facto une idée qui a germé dans l’esprit de “notre ami du roi” Fouad Ali El Himma, il n’y a qu’un pas et beaucoup l’ont déjà franchi. Après tout, le G8 ressemble bien, dans sa genèse, au Mouvement pour tous les démocrates, ce fameux MTD qui a servi de répétition générale avant le lancement du PAM. Comme le MTD, le G8 se veut “ouvert à tous les démocrates” et prétend n’avoir “aucune finalité électorale”. Les points de similitude entre le G8 et le MTD sont si nombreux que leur énumération a quelque chose d’amusant. Même timing, même communication, même composition et même aspect d’auberge espagnole. Même avenir ?
La paternité réelle ou supposée d’El Himma importe peu, me dira-t-on. Tout à fait. Ce qui compte, c’est le résultat. Mais de quel résultat parlons-nous ? En d’autres termes, quel est le plus important ? Je vous invite à réfléchir à cette question…
Je crois pour ma part que, bien au-delà des calculs politiques (dont le plus important consiste à barrer la route aux islamistes du PJD), et en plus des risques incalculables auxquels ils ouvrent la voie (que se passerait-il si, demain, un PJD ou un parti de la Koutla décidaient de boycotter les élections ?), les architectes du G8 ont oublié un détail : les électeurs, c’est-à-dire les Marocains. Est-ce que l’idée d’un G8 qui “marie” de vieux syndicalistes, des gauchistes, des écologistes et un Zemzmi (je rappelle que l’auteur de quelques- unes des fatwas les plus rétrogrades de ces dernières années est un député PRV, membre du G8) est de nature à renforcer la crédibilité de la politique, de la démocratie et des élections ? Prétendre que oui revient à insulter l’intelligence des Marocains.