Maroc-UE : Un "jeu d'équilibriste" pour trouver une solution juridique à l'accord de pêche

En professionnels du droit, Marie-Sophie Dibling, associée du cabinet d’avocats FIDAL et Mehdi Megzari, associé du cabinet d’avocats Sayarh Menjra reviennent sur l'arrêt de la Cour de justice de l'Union sur l'accord de pêche Maroc-UE rendu le 27 février.

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Un bateau de pêche européen dans la tempête (image d'illustration) - Crédit : CC Defence Images / Flickr
Marie-Sophie Dibling et Mehdi Megzari, avocats. Crédit : Cabinet Sayarh Menjra
Marie-Sophie Dibling et Mehdi Megzari, avocats. Crédit : Cabinet Sayarh Menjra

« Une question préjudicielle a été posée à la Cour de Justice de l’UE par un tribunal britannique sur la validité de l’accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre l’UE et le Maroc, dans le cadre de litiges nationaux initiés par Western Sahara Campaign UK contre l’administration des impôts et des douanes et le Ministre des affaires rurales du Royaume-Uni. Pour rappel, la juridiction britannique a posé deux questions à la CJUE :

  1. L’accord de Partenariat et ses actes dérivés sont-ils valides compte tenu de l’obligation pour l’UE de contribuer au respect du droit international ainsi que des principes de la charte des Nations unies et compte tenu de la mesure dans laquelle cet accord a été conclu au bénéfice du « peuple sahraoui » (terme utilisé par le juridiction nationale), en son nom, conformément à sa volonté et/ou en consultation avec ses représentants reconnus ; et
  2. Western Sahara Campaign UK a-t-il le droit de contester la validité d’actes de l’Union au motif que l’Union aurait violé le droit international ?

Lire aussi : CJUE : « L’accord de pêche est valide, mais ne s’applique pas au Sahara »

Dans son arrêt du 27 février 2018, la Cour confirme que les accords de pêche conclus entre l’UE et le Maroc sont pleinement valides. En ce sens, il faut reconnaitre à la Cour qu’elle va pleinement à l’encontre de l’objectif poursuivi par la requérante d’annuler les accords (notamment de pêche) conclus entre l’UE et le Maroc. De la même manière, il convient de noter que la Cour prend officiellement ses distances par rapport aux conclusions de l’Avocat Général –  ce qui reste rare dans la pratique de la Cour – tant dans le langage utilisé que dans sa décision finale. Enfin, il est intéressant de noter qu’un certain nombre d’Etats membres (France, Espagne, Portugal) et des institutions européennes (Commission et Conseil) ont tenus à prendre part au débat au soutien du maintien de l’Accord et de son application en tant que telle.

En substance, la Cour n’invente rien mais réitère ce qu’elle a déjà dit dans son arrêt du 21 décembre 2016 : la Cour considère que l’accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre l’UE et le Maroc ainsi que ses actes subséquents « ne sont pas applicables aux eaux adjacentes au territoire du Sahara occidental » puisque ce territoire, sur base d’une interprétation contestable du droit international, ne « fait pas partie du territoire du Maroc » selon son raisonnement.

Lire aussi : Après l’arrêt de la CJUE, le Maroc et l’UE « déterminés à préserver leur coopération dans le domaine halieutique »

Même si l’organisation interne de l’UE est parfois jugée complexe, il faut rappeler que la Cour fait ici son travail : une question lui est posée et elle doit, dans la mesure des compétences qui lui sont attribuées, y répondre selon le droit tel qu’elle l’interprète librement. A ce titre, elle ne remet pas en cause les liens étroits qu’ont le Maroc et l’Union européenne en tant que partenaires privilégiés. Ce sont plutôt les différents recours exercés ces dernières années par le Polisario, à qui la Cour a dénié toute légitimité dans son arrêt du 21 décembre 2016, qui tente, par une stratégie de guérilla juridique, de mettre, en vain, à mal la relation entre des partenaires solides de longue date, en tirant profit d’un vide juridique et en détournant un droit international inadapté pour traiter de situations historiques comme celle rencontrée au Sahara Occidental.

Si la portée de l’arrêt est limitée à l’Accord de pêche, elle a en pratique, sur le territoire de l’Union, une portée plus large auprès des institutions européennes et des Etats membres. Dans un environnement juridique complexe régi par un droit international déconnecté de la réalité, il faut désormais pouvoir jouer à l’équilibriste juridique pour trouver des solutions pragmatiques conformes à cet environnement.

L’exercice auquel doivent se prêter l’UE et le Maroc est de régler, d’un point de vue pratique, la question des produits qui sont issus du territoire du Sahara. D’abord en ce qui concerne l’exportation des produits agricoles issus de ce territoire et qui bénéficient depuis des années d’une préférence vers l’Union européenne. Ces préférences, qui sont bénéfiques aux opérateurs économiques locaux, sont des « droits acquis » issus d’une pratique qui n’a jamais été mise en cause pendant des décennies et qu’il serait tout simplement inacceptable de priver les populations concernées de ces bénéfices. Sur ce point, les parties semblent déjà avoir trouvé des solutions et semblent s’être engagées dans des processus qui visent à répondre aux attentes des juges : recherche du consentement des populations à travers la consultation de la société civile et de la population via des élus locaux, mise en évidence des bénéfices au profit des populations locales. Pour l’accord de pêche, des solutions similaires devront être trouvées pour offrir aux opérateurs concernés la sécurité juridique à laquelle ils ont droit et faire bénéficier les populations des retombées économiques de cet accord.

Si le bricolage s’avère nécessaire pour être conforme au regard du droit international, il reste à déplorer cette cristallisation autour d’un vide juridique qui présente aujourd’hui des conséquences absurdes, en particulier pour les populations. Ainsi, des avancées au sein d’organes régionaux et internationaux semblent indispensables pour faire constater à la communauté internationale les réalités existantes.

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