Nicolas Normand, ancien diplomate dans le Sahel: "L'UA n'a pas vocation à jouer un rôle militaire"

En marge du Forum de Bamako* le 24 février, nous avons rencontré Nicolas Normand, ancien ambassadeur de France à Bamako, à Dakar et à Brazzaville, et fin connaisseur des enjeux sécuritaires dans la région du Sahel. Alors que le G5 Sahel se met en place, le rôle militaire de l'Union africaine et la pertinence de l'opération de l'armée française Barkhane interrogent. Décryptage.

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Nicolas Normand, ancien Ambassadeur français au Mali
Nicolas Normand, ancien Ambassadeur français au Mali

Tequel.ma: Quelle est selon vous la pertinence du G5 Sahel? L’Union africaine ou la CEDEAO devraient-elles avoir un rôle militaire accru?

Selon moi, l’UA n’a pas de vocation à jouer un rôle militaire. L’UA a une architecture de paix et de sécurité, avec un dispositif de cinq forces en attente, notamment celle de la CEDEAO. On a bien vu lors de l’offensive jihadiste de 2013 que la force en attente de la CEDEAO, qui était censée être la plus préparée, n’a pas fonctionné. A chaque crise, on a créé un organisme ad hoc. 

C’est aussi le cas en Somalie ou au Nigéria contre Boko Haram. Dans ces deux cas, des coalitions ad hoc ont été créées. Il est vrai que celle de Somalie (AMISOM) dépend en principe de l’UA, mais en dehors du schéma théorique des forces en attente. Cela veut dire que le dispositif de l’UA est totalement inadapté. Il est théorique et ne peut pas fonctionner pour différentes raisons politiques et techniques.

Les questions de défense sont sensibles, les Etats souverains aiment garder le pouvoir de décision. C’est en partie pour cela que l’Union européenne n’a jamais réussi…(elle compte aussi sur l’intervention américaine prévue dans le cadre de l’OTAN). 

N’y a-t-il pas déjà eu des actions militaires de la CEDEAO?

La CEDEAO avait réussi dans le passé, indépendamment de l’UA, à faire une force militaire, l’ECOWAS (ou ECOMOG), qui était intervenue en Sierra Leone et au Libéria. Mais le noyau de la CEDEAO est le Nigéria, qui a déjà fort à faire avec Boko Haram. Personne n’a, semble-t-il, envisagé que la CEDEAO intervienne sous une forme militaire à la place du G5 Sahel.

Par ailleurs, la Mauritanie n’est pas dans la CEDEAO. Le Maroc et le Nigéria sont des acteurs importants, mais leur intervention dans la région du Sahel présenterait peu d’intérêt, car les jihadistes sont plus loin. En revanche il est important qu’ils soient coopératifs avec le G5.

La question se pose davantage pour l’Algérie, mais il n’y a pas de droit de suite du G5 Sahel en Algérie. La question est donc de savoir si les autorités algériennes vont bien fermer leurs frontières et si elles vont combattre les jihadistes qui se réfugieraient dans le sud de l’Algérie pour fuir le G5. Il ne faut pas que cela devienne un refuge pour les jihadistes.

La France intervient militairement au Sahel depuis 2013.  En tant qu’ancien diplomate français dans la région pensez-vous que c’est son rôle?

La France est intervenue en janvier 2013 au moment où la situation était désespérée pour le Mali puisque les jihadistes armées, qui tenaient depuis près d’un an le nord du pays, avaient décidé d’étendre leur zone. Les autorités françaises ont estimé que ce mouvement, qui associait Ansar Dine, Mujao et AQMI, voulait aller à Bamako.

Il y avait des signaux encourageants pour les jihadistes à avancer vers le sud, notamment parce que François Hollande avait dit qu’il n’y aurait pas de troupes au sol et le représentant de l’Union européenne pour le Sahel avait dit que la force multinationale africaine qui était prévue n’interviendrait pas avant septembre 2013.

Les jihadistes avaient donc une fenêtre d’opportunités dans les premiers mois 2013, et ils ont eu la surprise que la France change de cap et intervienne militairement non seulement pour les stopper et aussi pour les chasser du Mali. Quand tous ces jihadistes étaient groupés dans leur attaque, il était facile de les vaincre. Mais ensuite, ils se sont éparpillés et c’est devenu plus difficile. D’où le dispositif Barkhane à partir de 2014 : 4.000 hommes très équipés sur plusieurs pays.

Sur l’opportunité de cette opération, on peut dire qu’elle a sauvé le pays d’une certaine façon, car l’armée malienne était quasi inexistante en 2013 après sa défaite dans le nord et après le coup d’Etat militaire dirigé par un capitaine au sud, qui avait divisé ce qui restait de l’armée.

Mais le revers de la médaille est que cela aurait été mieux que ce soit une force africaine qui le fasse, car cela aurait responsabilisé davantage les pays africains, en évitant de créer l’idée qu’à chaque fois qu’il y a eu une situation désespérée, la France va intervenir.

Devrait-elle maintenant se retirer ? Si c’est souhaitable, est-ce possible ?

La France aurait tué 450 jihadistes depuis 2014 au Mali, l’opération coûte près de 600 millions d’euros par an et plus de 20 soldats français sont morts depuis 2013. Il faut reconnaître que des soldats étrangers se battent, non pas dans l’intérêt de leur pays, mais dans l’intérêt du Mali et de la liberté des Maliens. Ceux-ci doivent remercier l’action des forces qui font en réalité leur travail.

Mais l’armée malienne a malheureusement été battue en 2012 et de nouveau en mai 2014 par les sécessionnistes, elle est donc extrêmement affaiblie. Si l’on remonte plus loin dans l’histoire, la faute du Mali est d’avoir toléré la présence du GSPC algérien (Groupe salafiste pour la prédication et le combat) installé depuis 2000.

Jusqu’en 2012, ils sont restés dans le nord du pays sans être inquiétés par l’armée malienne. Il y avait un modus vivendi avec les autorités de Bamako. C’était une erreur énorme, parce qu’ils ont pris des otages dans les pays avoisinants et ont touché plus de 130 millions d’euros de rançon, payés par différents pays et entreprises privées européens.

Avec cet argent, ils ont recruté sur place des jeunes désoeuvrés et se sont enracinés. Ces gens du GSPC se sont appelés AQMI à partir de 2007. Ce noyau tranquille prospérait. Ansar Dine a ensuite été créé par Iyad Ag Ghali, terroriste hybride multicarte (chef militaire, seigneur féodal touareg, trafiquant très fortuné et enfin chef religieux local de la secte d’origine indo-pakistanaise Tabligh),et s’est allié avec une branche d’AQMI.

Ce qui est souhaitable aujourd’hui, c’est que le dispositif Barkane ne s’éternise pas, car il ne faut pas qu’il soit ressenti par la population comme une force étrangère d’occupation, qu’il y ait quelque chose qui ressemble à de la recolonisation. Il faut aussi que la population locale soit du côté du Mali et pas des jihadistes.

Cela ne va pas forcément de soi. Par exemple en Somalie les Shebab ont plutôt gagné la sympathie de la population contre les autorités impopulaires et appuyées par des forces africaines, mais étrangères (l’AMISOM). C’est pour cela qu’il est préférable que des armées locales interviennent. Par ailleurs, une unité des armées de plusieurs pays africains voisins permet de traverser les frontières, cela unifie le front. Le G5 devient donc une nécessité si Barkhane se retire.

 

*Le 18ème Forum de Bamako s’est tenu du 22 au 24 février sous le thème « Aménagement du territoire de l’espace sahélo-sahélien : facteur de sécurité, de développement et de paix  » et a rassemblé de nombreux anciens ministres, diplomates, responsables d’organisations internationales et acteurs de la société civile.

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