Mustapha Ramid: "La torture n’est pas systématique au Maroc" 3/3

Dans le troisième volet de l'entretien accordé à nos confrères de TelQuel Arabi, le ministre d'État chargé des droits de l'Homme admet que la torture existe toujours au Maroc. Il s'exprime aussi sur la peine de mort et se dit favorable à son maintien.

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Crédit: Rachid Tniouni

TelQuel Arabi: En décembre dernier, vous avez présenté le plan national d’action en matière de démocratie et des droits de l’Homme. L’État est-il prêt à le concrétiser?

Mustapha Ramid: Ce plan est le résultat du travail de plusieurs intervenants: les départements ministériels et les instances nationales comme le CNDH, l’Instance de lutte contre la corruption, l’IRCAM, le CESE, mais aussi la société civile.

Les autorités publiques ont fait preuve de beaucoup de réalisme dans la réalisation de ce plan. À partir du moment où le gouvernement l’a adopté, il n’a d’autres choix que de s’assurer de sa concrétisation.

Ce plan a placé la barre très haut, car il contient des mesures très ambitieuses. Certaines pourraient être concrétisées dans les délais, tandis que d’autres sont impossibles à mettre en place en quatre ans.

À titre d’exemple, je pense qu’il est possible d’adapter l’arsenal juridique national aux normes internationales en ce qui concerne les libertés de création d’associations, de rassemblements publics et de manifestations. Par contre quand il s’agit de dispositions relatives à la protection du domaine forestier, aux activités agricoles ou au plan d’assainissement liquide en milieu rural, cela peut prendre plus de temps. Mais nous devons plancher dessus dans les plus brefs délais.

Ce plan prévoit également de mettre à disposition de la justice, les enregistrements de dispersion des attroupements ainsi que ceux des interrogatoires menés par la police judiciaire. Le ministère de l’Intérieur et les corps sécuritaires vont-ils coopérer?

 Le ministère de l’Intérieur n’a pas émis d’objection lorsque nous lui avons présenté ces dispositions. Ces engagements doivent être traduits par des politiques publiques dans un délai de quatre ans, ce qui est réalisable. Certaines seront intégrées au Code pénal tandis que d’autres seront concrétisées à travers des politiques publiques. Ce mécanisme garantira la protection de la sécurité des Marocains tout en consacrant la bonne gouvernance sécuritaire.

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Plusieurs questions suscitant la polémique comme la peine de mort ne figurent pas dans ce plan. Un débat sera-t-il ouvert ?

Certainement. Un débat responsable concernant tous les points en suspens avec la participation de tous les concernés est nécessaire. Nous devons sauver ce plan qui était dans une sorte de phase d’égarement sous le gouvernement Benkirane, car ses dispositions n’étaient pas prévues dans le programme gouvernemental de l’époque.

Sur les 400 mesures que contient le plan, seulement cinq ou six suscitent des divergences. Nous nous sommes mis d’accord avec la société civile et le CNDH pour reporter l’examen de ces points de divergences. Ce n’est pas une initiative individuelle, mais collective. C’était plus sage.

Une proposition de loi a été déposée au Parlement pour l’abolition de la peine de mort. Qu’en pensez-vous ?

Il ne s’agit pas d’une première et il existe même une coalition parlementaire qui milite dans ce sens. Mais ses membres ont voté en faveur de la loi sur les tribunaux militaires qui prévoyait la peine capitale pour six crimes.

Je ne commente pas les initiatives émanant de voix minoritaires, car le plus important est que ce genre d’initiatives soit cautionné par la majorité. Et l’actuelle majorité n’a présenté aucune proposition pour l’abolition de la peine de mort que ce soit dans le programme gouvernemental ou au parlement.

Pourquoi les tribunaux du Maroc prononcent-ils toujours cette peine sachant que la dernière exécution en date remonte à 1993 avec l’affaire Tabet?

Je répondrai par une autre question. Pourquoi ceux qui militent pour l’abolition de la peine de mort en font un problème alors qu’il n’y a plus d’exécution? La peine de mort n’est pas un problème. Pourquoi donc demander son abolition ?

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Les abolitionnistes estiment que l’évolution des droits de l’Homme doit être en conformité avec les législations internationales…

Nous n’avons signé aucune convention qui nous contraindrait à abolir la peine de mort. Elle est toujours appliquée au Japon et aux États-Unis. Cela ferait-il de ces pays des nations non démocratiques? En plus, nous prenons le pouls de la société et la majorité est contre l’abolition de la peine capitale.

Quand un individu prend d’assaut un rassemblement de 200 personnes ou une école et tue plusieurs dizaines ou centaines de personnes, quelle serait la sanction qu’il mériterait après un procès équitable à votre avis? La peine capitale, tout simplement.

Vous êtes donc favorables au maintien de la peine de mort?

Ma position est connue et je l’ai toujours défendue: limiter le nombre des crimes passibles de la peine capitale. Dans le Code de la justice militaire, le nombre de ces crimes a été ramené de 16 à 6 et dans le Code pénal, dont j’avais supervisé l’élaboration, ce nombre est passé de 36 à 12.

La torture suscite toujours des polémiques au Maroc. Pouvez-vous assurer de mettre un terme à cette pratique?

Cette question a suscité et suscitera encore des polémiques, puisque la mentalité des responsables de l’application de la loi n’a pas évolué. Ce qui est certain, c’est que la torture n’est pas systématique au Maroc, mais il faut faire barrage à certains cas qui subsistent. Parmi les garanties prévues dans ce sens nous avons l’examen médical automatique de chaque personne qui affirme avoir été torturée. C’est écrit noir sur blanc et le juge d’instruction ou le représentant du parquet sont obligés de demander cette expertise médicale, sinon les procès-verbaux de la police judiciaire sont rejetés. La même chose est valable pour les mauvais traitements.

 Traduction par Mohammed Boudarham

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