Le système d'aide directe aux populations pauvres sera prêt en 2020

Le gouvernement marocain travaille sur la création d'un registre social unifié pour encadrer la distribution des aides directes et enclencher la décompensation des matières premières. Ce registre est inspiré de la plus grande base d'identification biométrique du monde, le programme indien Aadhaar.

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Crédits : Reuters

Le gouvernement prépare un plan ambitieux pour mettre fin au système actuel de subventions des produits de base et passer à un modèle qui lutte spécifiquement contre la pauvreté. Le registre social unifié (RSU) s’inspire de la plus grande base de données d’empreintes et d’iris au monde, le système d’identification biométrique indien Aadhaar.

Selon l’agence EFE, le ministre des Affaires générales, Lahcen Daoudi, chargé du dossier du démantèlement des subventions, a affirmé qu' »il existe actuellement un désordre total » et une « mauvaise gestion » des politiques sociales.

Des pratiques qu’il a dénoncées il y a deux semaines au Parlement en déversant le contenu d’un sachet de sucre en poudre devant les députés. Le ministre PJD s’insurgeait contre le système actuel de subventions aux produits de base, qui profite injustement aussi bien « aux hôtels cinq étoiles » qu’aux plus pauvres.

Toujours selon EFE, l’État marocain, au prix d’aujourd’hui, paye un tiers de chaque kilo de sucre et 60 centimes de dirham du prix réel d’une bouteille de butane, avec laquelle la plupart des ménages marocains cuisinent tous les jours et se chauffent en hiver, en plus de subventionner la farine utilisée pour faire du pain et du couscous dans certaines régions rurales.

Cette année, les subventions à ces trois produits devraient coûter à l’État 13 milliards de dirhams, un chiffre qui a augmenté ces deux dernières années en raison du cours des hydrocarbures sur le marché mondial.

Aaadhar, kézako?

Le système a été lancé en 2010 avec l’actuelle entreprise de sécurité numérique française Idemia. Il attribue aux résidents du pays un numéro unique associé à leurs données biométriques : empreintes digitales, photo du visage et scan de l’iris. « Tout individu, sans distinction d’âge et de genre, résident en Inde, peut obtenir un numéro Aadhaar », peut-on lire sur le site officiel.

Une fois ce numéro créé, le bénéficiaire reçoit une carte personnalisée. Ces cartes, qui sont données à toutes les familles qui en font la demande, comprennent des données biométriques -lues à travers les empreintes digitales ou l’iris de l’œil- et contiennent les informations nécessaires pour identifier le degré de pauvreté d’une famille.

Doté de cette carte, l’utilisateur indien peut ainsi entrer dans n’importe quel magasin de quartier où un lecteur de cartes a été mis en place et a le droit d’acheter des produits de base à un prix subventionné. De cette façon, les produits bon marché ne profitent plus aux classes aisées, mais seulement à ceux qui en ont vraiment besoin. Toujours selon les données consultables sur le site officiel d’Aadhaar, la base de données recense aujourd’hui près de 1,2 milliard d’habitants en Inde.

Mais si au départ la carte était facultative, elle est rapidement devenue quasiment systématique pour de nombreuses démarches administratives (ouverture de compte en banque, déclaration d’impôts, paiements en ligne…). En février 2017, le gouvernement a même rendu le système obligatoire pour accéder aux denrées subventionnées par le système de distribution public.

Que prévoit le Maroc ?

Selon EFE, l’État compte installer toute la technologie nécessaire à l’élaboration d’un tel registre d’ici 2019. Une technologie qui serait, selon Lahcen Dahoudi, « très bon marché » et dont le nouveau modèle sera inclus dans les budgets. Il devrait, selon le ministre, être opérationnel en 2020.

Un million sont ciblées. Identifiées depuis le dernier recensement de 2014, elles bénéficieront également d’une aide en espèces pouvant atteindre 1.500 dirhams par mois. Une somme significative dans les régions rurales où la pauvreté est concentrée.

Lahcen Daoudi reconnait que les classes moyennes inférieures souffriront également du démantèlement des subventions existantes, en notant que les cartes sont également conçues pour les personnes de cette frange de la société. Elles recevront ainsi l’aide leur permettant d’accéder à des prix de base bon marché.

Par ailleurs, le ministre PJD estime que la société marocaine devrait bien accueillir ce nouveau système. « Il n’y a pas de résistance sociale en ce moment », affirme-t-il à l’agence espagnole. Il reconnait toutefois que l’accès à l’eau et la création d’emplois sont les deux questions en suspens qui conditionnent la réussite de tous les nouveaux projets et permettent au Maroc de quitter le rang des pays pauvres.

Enfin, le ministre a affirmé que le gouvernement reçoit pour ses plans l’assistance financière et technique de l’Union européenne (UE), du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), de l’UNICEF et de la Banque mondiale (BM), institutions avec lesquelles il se réunit fréquemment pour décrire les détails du nouveau modèle.

Toutefois, si l’ensemble du gouvernement s’accorde sur la philosophie et le « modèle indien« , il faut encore parvenir à un consensus sur la masse monétaire qui sera consacrée au nouveau système d’assistance.

Un modèle décrié en Inde

En Inde, les détracteurs du système Aadhaar sont de plus en plus nombreux. Le 13 janvier dernier, Amnesty International alertait sur les risques de ce système. Ce dernier est contrôlé par Unique Identification Authority of India (UIDAI), un organisme du gouvernement indien créé en 2009.

Selon Amnesty, de nombreux rapports montrent que le système Aadhaar est vulnérable et pas assez protégé face aux fuites de données. Début janvier, la journaliste Rachna Khaira du journal The Tribune a publié un article intitulé « 500 roupies, 10 minutes, et vous avez accès à des milliards de détails sur Aadhaar« . Pour son enquête, il lui a suffi d’entrer le numéro de carte d’une personne pour retrouver l’ensemble de ses informations personnelles.

L’ancien chef de la Research and Analysis Wing (RAW), l’agence de renseignement indienne, a lui aussi pointé du doigt les failles de ce système. Une dénonciation qu’Edward Snowden avait soutenue en affirmant, le 21 janvier dernier dans un post Twitter, que le système Aadhaar était exploité de façon abusive par les banques ou encore les opérateurs télécoms qui avaient accès à une masse importante de données personnelles.

Autre reproche adressé au système de la part des opposants: depuis que l’authentification a été rendue obligatoire pour les aides sociales, au moins « 2,5 millions de familles n’ont pas reçu leur ration« , affirme le communiqué d’Amnesty International.

Dans plusieurs régions, des familles normalement éligibles à l’aide alimentaire n’ont pas de numéro Aadhaaar ou ne l’ont pas lié à leur carte de rationnement et ont donc été privées de dotations. Depuis, les articles relatant la mort de démunis se multiplient.

Depuis plusieurs mois, la Cour suprême enchaîne les audiences pour décider si ce système d’identification de la population, de plus en plus décrié, est conforme ou non à la Constitution indienne. Première victoire pour les détracteurs: en août dernier, l’instance judiciaire a réaffirmé que la vie privée est un droit fondamental protégé par la Constitution indienne.

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