Nabil Benabdallah: «Louardi est l’un des meilleurs ministres de la santé du Maroc» (2/2)

Dans cette deuxième partie de l’interview accordée à nos confrères de TelQuel Arabi, le SG du PPS revient sur le limogeage des ministres de son parti et sur le Hirak du Rif.

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Crédit : Tniouni

TelQuel Arabi: Allez-vous continuer sur la même voie malgré les critiques que vous avez essuyé? (ndlr: limogeage royal, rapport de la Cour des comptes, etc)

Nabil Benabdallah: Malgré tout ce qui s’est passé, le PPS évite les réactions subjectives et reste au service de la Nation et des institutions. Nous avons de profondes convictions politiques que nous ne laisserons jamais de côté, sinon notre présence sur la scène politique n’aurait pas de sens.

Le pluralisme et la divergence des positions sont essentiels en démocratie et chaque parti doit préserver son identité. Sinon, si tout le monde adoptait la même approche, cela ne servirait en rien notre pays.

Nous sommes en train de préparer un bilan de la participation de nos ministres depuis le gouvernement Youssoufi pour montrer notre apport et clouer le bec à ceux qui disent que notre seul objectif est de participer à la gestion de la chose publique. Ce qui est notre droit car tout parti politique existe pour gouverner ou alors il se range dans l’opposition qui n’est pas un choix, mais une obligation, quand on ne débouche pas sur une formule pour participer au pouvoir.

Saâd Eddine El Othmani aurait qualifié Lhoussaine Louardi de «pire ministre de la Santé». Qu’en pensez-vous?

Avec les réformes qu’il a initiées, Lhoussaine Louardi avait droit à un soutien total ou alors à de sévères critiques. Même au sein du PJD, certains le soutenaient fortement et certains adoptaient une attitude contraire. De toutes les manières, on ne peut pas imposer notre point de vue à autrui.

Par contre, qu’on le veuille ou non, et en toute objectivité, Lhoussaine Louardi n’était pas un ministre exemplaire, mais l’un des meilleurs ministres de la Santé du Maroc indépendant.

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Cela veut-il dire que votre parti est convaincu que Louardi a rempli sa mission comme il faut?

Ses réalisations parlent pour lui. Il m’est plus facile de parler de ce qu’il a réalisé dans le secteur de la Santé que de mes propres réalisations au ministère de l’Habitat. Il a fait plus que le nécessaire, tout comme Mohammed Amine Sbihi au ministère de la Culture. Allez poser la question aux intéressés.

En parlant de Sbihi, est-il raisonnable de demander des comptes à quelqu’un qui gérait un département au budget insignifiant?

Cette histoire de budget est vraiment inquiétante. Nous avons toujours dit que nous ne pouvions pas avoir une réelle politique culturelle sans revoir la part réservé à ce ministère dans le budget général de l’Etat. Cela dit, Amine Sbihi a lui aussi honoré son cahier des charges. Il a été à l’origine d’importantes réformes et surtout pour ce qui est de rapprocher la culture du peuple malgré des moyens rudimentaires.

N’avez-vous pas été dans le tort en vous impliquant dans les projets «Al Hoceima Manarat Al Moutawassit» dont Benkirane a affirmé avoir entendu parler via les médias?

Je ne suis pas d’accord. Abdelilah Benkirane a effectivement tenu ces propos. Pour nous, s’impliquer dans les projets de «Al Hoceima Manarat Al Moutawassit» n’était pas une erreur. Nous avons pris part à de multiples projets similaires à Tanger, Tétouan, Fès, Rabat et Salé.

Ces projets étaient préparés au niveau local avec l’implication de tous les départements concernés et selon une approche globale. Et c’est cette approche qui donnait la substance des conventions signées par la suite.

Nous avons participé à ces projets et nous avons honoré nos engagements. Nous avons été au rendez-vous. Il est vrai qu’il y avait du retard au début, mais nous l’avons rattrapé par la suite.

Tous les projets connaissent de tels retards car les débuts sont toujours difficiles à cause de la bureaucratie et des divergences de vue.

D’après vous, y a-t-il une relation entre le retard des projets d’Al Hoceima et le Hirak du Rif?

Je ne suis pas en train de parler du Rif. Cela dit, ce qui se passe dans cette région reflète l’inquiétude et les attentes des populations. Il n’y aucun doute que ce qui s’est passé au Rif a été utilisé par certains milieux à des fins déterminées. Quand nous aurons une vision globale, nous allons en reparler. Les projets d’«Al Hoceima Manarat Al Moutawassit» ne sont pas la cause du déclenchement du Hirak du Rif et cela tout le monde le sait.

A votre avis, pourquoi le rapport de Driss Jettou a épargné d’autres départements ministériels comme l’Agriculture, les Finances ou alors l’Equipement et le transport?

Cette question, vous devez la poser à ceux qui ont rédigé ledit rapport. Moi, j’ai évoqué le bilan des ministres du PPS et j’ai fourni assez de réponses.

Le refus d’adopter les mesures pour l’habitat social que vous défendiez n’était-il pas un avant-goût de ce qui allait arriver par la suite?

Jusqu’à ce jour, je me demande pourquoi un tel projet a été rejeté. Il allait être bénéfique au secteur de l’immobilier et allait booster l’économie. Plus que cela: les parties intéressées par le secteur m’avaient confirmé que ce projet allait être bénéfique pour le pays et son économie.

Ce projet allait permettre un toit aux couches démunies pour 120.000 dirhams et plusieurs milieux économiques ont été surpris de son retrait.

Maintenant, c’est du passé et je ne veux pas m’attarder sur ce sujet. Je crois qu’on va finir par revenir à ce projet. Pour moi, ce n’est pas le projet en soi qui posait problème, mais le fait qu’il était initié par Nabil Benabdallah.

Vous aviez pris part à la préparation de la Loi de finances 2018. Ne voyez-vous pas qu’elle apporte plusieurs mesures en faveur des couches défavorisées?

Je ne crois pas que cette dimension soit prépondérante. La Loi de finances consacre une certaine vision. Cette loi ne répond pas aux exigences du nouveau modèle économique et de développement voulu par le roi. Il est nécessaire que dans l’avenir, on débouche sur des lois de finances avec une nouvelle approche de la gestion financière.

Par exemple, sur le plan de l’investissement public, il y a près de 60 milliards de dirhams qui ne sont pas déboursés et il y a une grande carence dans l’exploitation des ressources dont dispose notre pays. Il y a aussi des dysfonctionnements au niveau de la gestion territoriale. Il faut revoir le rôle des conseils des régions et leur implication dans le processus de développement. Des questions auxquelles la Loi des finances n’apporte pas de réponse. Et cela ne risque pas d’être le cas avec les prochaines lois de finances en l’absence d’un nouveau modèle de développement.

Parlons du PPS. Etes-vous partant pour un troisième mandat à la direction?

Un troisième mandat n’est pas la grande problématique de notre prochain congrès national. Cette question n’est même pas à l’ordre du jour au PPS. Et supposons que nous gardions l’ancien règlement intérieur, la question serait alors celle d’un renouvellement dans ce sens où le premier mandat n’est pas comptabilisé. Je le répète encore une fois: cette question n’est pas à l’ordre du jour et il est étrange qu’on la pose dans la conjoncture actuelle.

Les défis qui se posent au PPS vont au-delà de ma personne  et de mon maintien à la direction. Il y a plus important comme préserver notre organisation dans un contexte politique complexe. C’est pour cela que nous avons lancé, depuis plusieurs mois, une campagne pour nous enraciner dans la société. Aujourd’hui, nous considérons que l’immunité de notre parti consiste en sa capacité d’être fortement présent au sein de diverses couches sociales.

Nous travaillons aussi sur une plateforme politique dont les grandes lignes ont été tracées lors de la dernière réunion du Comité central. Quant au reste, du genre avec qui nous allons sceller des alliances, cela dépend de facteurs extérieurs indépendants de notre volonté.

Est-ce que vous désirez rempiler à la direction du PPS?

En toute franchise, je n’ai pas encore tranché cette question. La modestie est quelque chose de très important en politique. Une part de la décision dépend de moi, mais la plus grande partie est entre les mains des militants. Notre premier souci est que le PPS continue à s’acquitter de son rôle , selon ses propres convictions.

Ce dont nous avons besoin, et je le répète encore une fois, est d’éviter de personnifier. Nous avons besoin d’une totale implication des organisations politiques pour répondre aux attentes des citoyens comme l’avait souligné le souverain quand il a appelé à l’élaboration d’un nouveau modèle de développement où la parole sera donnée à tout le monde: la gauche, la droite, les islamistes et les libéraux.

Lors du prochain congrès, nous allons lancer un débat sur l’organisation de l’Etat, la prise de décision et les responsabilités politiques et la reddition des comptes comme cela a été le cas pour les projets de «Al Hoceima Manarat Al Moutawassit». Nous devons savoir qui est responsable au niveau politique et territorial: le gouvernement, le wali ou alors le président de la région.

Nous irons plus loin encore pour interroger les failles de notre modèle de développement. Pourquoi est-il incapable de réaliser une bonne croissance économique? Pourquoi a-t-il été incapable de réduire le chômage et la précarité? Pourquoi a-t-il réussi de grands changements en matière des infrastructures de base et est resté à la traîne pour ce qui est de la réduction des inégalités territoriales et sociales?

Je conclus en disant que le PPS ne doit pas dépendre de la personne de Nabil Benabdallah sinon il ferait mieux de disparaître.

Pourquoi avoir choisi une alliance avec le PJD alors que la scène politique regorge de partis de gauche dont l’USFP?

Je refuse de commenter ce qui se passe au sein de l’USFP. Quant aux autres partis de la gauche, je dis que la modestie doit être de mise dans l’action politique et, deuxio, personne ne peut prétendre détenir la vérité absolue et, tercio, en matière d’alliances entre partis de gauche, personne n’a le droit de venir nous dire qu’il faut procéder d’abord à une autocritique avant qu’on initie quoi que ce soit.

Faites-vous allusion à la SG du PSU?

Je ne vise personne en particulier. Aujourd’hui, on doit poser cette question qui fâche: c’est quoi le destin de la gauche au Maroc et dans le monde entier? La réponse est la modestie pour commencer puis avoir le courage de dire que le contexte politique peut dicter des choix douloureux.

Quand nous avions choisi de coopérer avec le PJD, nous partions de cette conviction que nous ne pouvions le faire qu’avec ce parti pour défendre le projet démocratique du pays. Peut-être que nous nous étions trompés dans ce choix, mais, à aucun moment, nous n’avions renié notre identité et nos convictions. La preuve est ce que nous faisons et ce à quoi nous croyons.

On vous reproche d’être quelque part trop gourmand au vu de votre poids au Parlement. Qu’en dites-vous?

Je ne suis pas content de notre situation actuelle. En même temps, je suis surpris par ceux qui procèdent à des comparaisons en faisant table rase de l’Histoire.

Pour rappel, avant 1977, nous n’avions aucun député au Parlement et aucun membre élu dans les communes. Par la suite, nous avions eu une poignée d’élus locaux et un seul député: le camarade Ali Yata, puis deux avec Ismaïl Alaoui jusqu’en 1992. Le parti a pu améliorer ses scores électoraux ultérieurement.

Avec tout cela, il ne faut pas oublier le calvaire que nous avions vécu lors des dernières élections législatives. Politiquement, nous avions payé un lourd tribut.

Le PPS a-t-il fait les frais d’une opération de débauchage de ses cadres?

Il ne s’agit pas de cela, mais un certain nombre de sièges devait revenir au parti. Ce que nous avons eu comme élus ne reflète pas notre réel poids politique.

Seriez-vous en train de dire que votre parti a été dépossédé de sièges parlementaires?

Certains milieux admettent que le PPS pouvait rempoter assez de sièges pour former un groupe parlementaire (20 au minimum, ndlr). Je ne veux pas entrer dans les détails.

Cependant, j’admets que la mobilisation est faible au niveau de certaines provinces. Et nous refusons de faire dans le populisme qui a pris le dessus ces derniers temps. Nous refusons le double langage et de jouer le rôle de la majorité et de l’opposition en même temps.

Avec l’arrivée de Saâd Eddine El Othmani à la direction du PJD, vos relations avec ce parti risquent-elles de changer?

Nous n’avons encore rien décidé. Nous travaillons avec des institutions et cela va continuer à moins d’un changement de cap de la part de nos frères au PJD.

Après le départ de Benkirane, n’avez-vous pas senti un changement dans les positions du PJD?

Les aspects personnels ont toujours un rôle et c’est valable même pour les relations entre les Etats. Cependant, nous préférons travailler sur la base de convictions, de programmes et d’orientations partagées.

Notre carnet de route avec le PJD avait comme axe la préservation du projet démocratique national capable de porter les réformes économiques, sociales. Si les mêmes conditions étaient réunies avec une autre formation politique, nous ne dirions pas non. Le programmes priment sur tout le reste.

Revenons au blocage avec Abdelilah Benkirane. A qui incombe la responsabilité d’après vous?

Le passé est le passé et je ne suis pas un commentateur politique, mais un acteur. A l’époque, j’ai essayé de faire bouger les choses pour former le gouvernement Benkirane. Cela n’a pas abouti. Aujourd’hui, nous sommes en présence d’un nouveau gouvernement et il ne sert à rien de continuer à pleurnicher.

(Traduit par Mohammed Boudarham)

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