La régionalisation au défi du développement économique : le diagnostic de Driss Benhima

L'approche marocaine de la régionalisation sert-elle le développement économique du Royaume? Pour l'ancien ministre Driss Benhima, si l'approche territoriale est pertinente en soi, la volonté de "rééquilibrer coûte que coûte les régions" lui fait craindre "que la voie choisie pour la régionalisation soit un échec".

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Lors de la 5e Rencontre internationale de Dakhla les 7 et 8 décembre sur le thème de la nouvelle économie mondiale, Driss Benhima, ex-ministre, ancien Wali et ancien directeur général de la RAM, de l’ONE et de l’Agence de développement du Nord, a livré sans détour son analyse de la réforme de la régionalisation en tant que levier de développement, à l’heure de la libéralisation de l’économie marocaine. Il pointe les pièges à éviter et esquisse en finesse des pistes de solutions.

La région, « meilleur champ de bataille pour la mondialisation »

Après la période post-indépendance où l’économie était administrée, le Maroc est entré dans les années 1980 de plain-pied dans une économie de mondialisation et  d’ouverture, notamment avec la loi sur la privatisation de 1987. Alors que l’économie administrée par l’État s’accompagnait d’un cadre de développement autocentré, dans lequel le pays fabriquait de tout, « le passage à la théorie des avantages comparatifs fait que la région est le meilleur champ de bataille pour la mondialisation », considère Driss Benhima.

« C’est au niveau des régions que les avantages comparatifs sont les mieux définis, mais inversement, c’est aussi au niveau des régions que les faiblesses les plus fortes se font jour », poursuit-il, remarquant que le Maroc est l’un des rares pays africains à s’être, de manière aussi décisive, engagé dans la régionalisation pour construire son cadre de  développement économique.

Selon l’ancien ministre, l’inconvénient de l’approche adoptée dans le cadre de la régionalisation est qu’elle a pour objectif de gommer les déséquilibres entre régions. Ce qui lui fait craindre « des investissements énormes pour rééquilibrer les régions coûte que coûte sans que cela soit créateur de valeur, d’emploi, de croissance« .

S’il ne déconsidère pas la nécessité de lutter contre les poches de pauvreté et les déséquilibres sociaux, il estime qu’il est nécessaire d' »admettre que les régions n’ont pas les mêmes atouts et qu’il faut aller là où sont nos atouts, au lieu de dépenser en pure perte des investissements publics importants pour rééquilibrer les régions. C’est ce malentendu qui me fait craindre que la voie choisie pour la régionalisation soit un échec« .

Il regrette par ailleurs l« ’improvisation qui est de mise et la phase d’institutionnalisation qui n’est pas faite ». Pour lui, « il aurait fallu avoir une mandature d’institutionnalisation de la région ».

Les territoires fragiles le sont de plus en plus

Pour Driss Benhima, la mondialisation dans laquelle s’insère le Maroc atteint ses limites dans la différentiation des territoires : « les territoires fragiles sont de plus en plus fragiles. Les évènements dans le nord du pays montrent que nous avons une zone de fragilité qui suit la frontière, de Tanger à Oujda, à Errachidia, à Ouarzazate pour rejoindre Agadir. A contrario, il y a une zone mondialisée au niveau du littoral entre Tanger et Agadir, alors que l’intérieur du pays est dans une situation d’arrière-garde où les investissements doivent avoir lieu« .

À cette limite à la politique de mondialisation s’ajoute une autre:  celle de l’insuffisance de la création d’emplois. « Il faudra répondre à la question: que faire des emplois qui sont détruits par la nouvelle économie ? Comment vivre dans un pays où il y a création de valeur et destruction des emplois ? Cela conduit à la marginalisation d’une couche entière de la société, ce qui crée un problème social », relève Benhima.

Mais au-delà de la réforme de la régionalisation, la solution réside, pour l’ancien ministre, dans la construction d’un nouveau modèle de développement. « Je crois que c’est pour cela que notre souverain, dans son dernier discours, appelait à la définition d’un nouveau modèle de développement, qui doit prendre en compte les changements climatiques, les problèmes d’emplois, les problèmes induits par la trop grande ouverture de l’économie. Il va aussi falloir repasser en revue les différents accords de libre-échange. Le président Trump n’hésite d’ailleurs pas à le faire« , conclut-il.

Pour aller plus loin : dans le TelQuel n°792 du 22 décembre au 4 janvier, en couverture : « Quel essor pour le Maroc ? Sept experts exposent leur vision »

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