Patrice Beaumelle, la cheville ouvrière d’Hervé Renard

Quand les projecteurs sont braqués sur lui, Hervé Renard ne cesse de rappeler l’importance de son fidèle homme de l’ombre, qui l’accompagne dans tous ses succès depuis dix ans. Rencontre avec celui qui est bien plus qu’un assistant, artisan incontournable de la qualification du Maroc au Mondial 2018.

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Samedi 26 mars 2016, aéroport de Marrakech-Menara. Après avoir ramené du Cap-Vert trois précieux points dans l’optique de la qualification à la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) 2017, la sélection nationale et son staff, dont c’était le premier match officiel, sont accueillis par un comité de trois supporters. “Je m’en rappellerai toute ma vie. L’un a donné un bouquet de fleurs à Hervé. Un autre m’a tendu une rose. On s’est regardés : on partait vraiment de loin !”, raconte en riant l’entraîneur adjoint.

Vingt mois plus tard, aéroport de Rabat-Salé. Les héros du Mountakhab, qui viennent de le qualifier pour sa première Coupe du Monde depuis vingt ans, sont fêtés par des milliers de fans en délire. Entre ces deux épisodes, que s’est-il passé ? Si l’explication tient en une conjonction de facteurs, l’influence de Patrice Beaumelle, que l’on présente comme le nouveau technicien en chef des Lions, en fait sans aucun doute partie.

Coach, une vocation

Dès sa plus tendre enfance, ce natif de Jonquières-Saint-Vincent (sud-est de la France) suit son père sur les terrains de football. À neuf ans, il lui annonce qu’il a trois objectifs dans la vie : gravir le Mont-Blanc, courir le marathon de New York et participer à la Coupe du Monde de football. Déterminé à les atteindre, le jeune ailier gauche gravit un à un les échelons, jusqu’à disputer le championnat national jeunes. Étudiant à la faculté des sports de Montpellier, on lui offre alors un poste de joueur-entraîneur au Grau-du-roi, un club évoluant en CFA2 (l’équivalent de la cinquième division française). Il n’hésite pas une seule seconde. “Dans mon for intérieur, j’ai toujours voulu être entraîneur. Déjà dans les petites catégories, j’allais voir le coach pour noter les exercices dans un cahier. J’ai passé tous les diplômes que je pouvais. Quand l’occasion s’est présentée, je l’ai saisie”, développe celui qui a donc été promu, à 22 ans, “Monsieur sport” de cette municipalité de 8000 habitants.

Après trois années d’apprentissage, il troque ses crampons contre un poste de second dans l’encadrement du Nîmes Olympique, qui vise l’accession en Ligue 2. C’est là qu’il croise pour la première fois un certain Hervé Renard, luttant, lui, pour le maintien de son club de Cherbourg. Les deux hommes se retrouvent à l’occasion d’une session de formation organisée par la Fédération française de football. Au fil des discussions, ils se rendent compte qu’ils partagent les mêmes idées, la même philosophie du football. Le coup de foudre est mutuel. Ils échangent leurs numéros de téléphone. Deux années plus tard, “Pat” reçoit un appel de son aîné de dix ans, qui vient d’être éliminé de la CAN avec le Ghana. Ce dernier lui propose de le seconder à la tête de la formation zambienne, dont il s’apprête à prendre les rênes. “Je ne savais même pas où se trouvait ce pays. J’ai dit oui immédiatement, sans me préoccuper des répercussions familiales ou financières”, témoigne Beaumelle, futur marié à l’époque.

Doublé historique

L’intrépide met les choses au point dès son arrivée en Afrique australe : il n’est pas venu jusque-là pour “poser les plots”. Ce qu’il veut, c’est avoir carte blanche pour conduire les entraînements. Le sélectionneur, lui, se charge de “corriger les détails” et de “prendre de la hauteur”. Renard accepte. “La mayonnaise a pris tout de suite. Lui et moi, on s’est compris au premier coup d’œil. La confiance est absolue”, atteste le cadet. La méthode semble fonctionner. Pendant deux ans, le binôme part détecter les talents jusque sur les pelouses les plus reculées de Zambie, là où “des prisonniers coupent l’herbe à la machette” et la chaux est “épandue à la main”. Après un bref passage par l’Angola puis l’Union sportive de la médina d’Alger (USMA), en 2010-2011, les deux “sorciers blancs” sont de retour chez les Chipolopolos, dans la perspective de la CAN 2012. “C’est comme si nous n’étions jamais partis”, s’émerveille le tandem.

Trois mois de préparation suffisent. À la surprise générale, ils décrochent leur premier titre continental. Au faîte de sa gloire, le duo décide de se séparer : Hervé s’envole pour Sochaux, pensionnaire de Ligue 1, pendant que Patrice est propulsé titulaire chez les “Boulets de cuivre” zambiens. Le désormais “plus jeune sélectionneur au monde” se souvient avec émotion de son premier match en tant que n°1. “C’était une défaite 2-0 face au Brésil, au Stade olympique de Pékin. Je suis un compétiteur, donc j’étais forcément déçu de perdre. Ce n’est qu’après que j’ai réalisé la performance”, rapporte cet amoureux du ballon rond, qui a conservé précieusement les deux maillots offerts par Neymar et Dani Alves.

Fin 2014, Hervé Renard prend l’avion pour Lusaka. Refroidi par son expérience en métropole, il est venu convaincre son partenaire de le suivre dans sa nouvelle destination : la Côte d’Ivoire. Accablé par les impayés de salaire, mais surtout excité à l’idée d’avoir sous sa coupe des stars mondiales comme Gervinho, Yaya Touré ou Serge Aurier, le trentenaire cède aux avances de l’homme à la chemise immaculée. Six mois après, l’irrésistible duo soulève sa deuxième Coupe d’Afrique. Du jamais vu. “En 2012, on nous a dit qu’on avait eu de la chance. On a prouvé qu’il n’y avait pas que ça, et qu’on était aussi capables de prendre en main rapidement une équipe”, déclare fièrement le bras droit — pour qui l’absence de reconnaissance par ses pairs hexagonaux est difficile à supporter.

La “Ferrari” marocaine

Redevenus inséparables, les deux compères tentent une aventure à Lille, sans succès. Courtisés dans toute l’Afrique, ils posent finalement leurs valises au royaume chérifien, début 2016. “On a senti qu’il y avait un vrai projet. Tous les moyens ont été mis en œuvre pour remettre le drapeau à la place qu’il mérite sur la scène internationale. On nous a confié une Ferrari. C’était à nous de ne pas la planter au premier virage”, métaphorise le Nîmois, grand amateur de biographies historiques et sportives. Les premiers pas n’ont pourtant pas été faciles. Le bus des joueurs se déplaçait dans l’indifférence générale. L’ambiance dans le chaudron de Casablanca était hostile. “On s’est retroussé les manches pour faire ce qu’on sait faire de mieux : bosser”, réagit Beaumelle. Pendant des mois, il voyage aux quatre coins de l’Europe pour observer les potentiels sélectionnables. Un groupe se construit. Un état d’esprit naît. “On leur a expliqué qu’il n’y avait pas de titulaires indiscutables. Si tu es bon, tu joues. Ce qu’on veut, c’est des soldats”, explicite le lieutenant — qui a insisté sur la dimension athlétique, afin d’abandonner le “complexe” vis-à-vis des grands gabarits africains.

Hervé Renard Patrice Beaumelle RT (1)À chaque rassemblement, la même mécanique se met en branle. Chacun sait ce qu’il a à faire. Beaumelle dirige les séances d’entraînement, suppléé par Mustapha Hadji — deuxième adjoint chargé de “créer du liant” —, le tout sous le regard attentif et silencieux d’Hervé Renard. Les jours de match, les rôles s’inversent. Le leader sort de sa réserve pour stimuler ses joueurs en les piquant par des phrases percutantes, tandis que le fervent collaborateur apaise par le reiki, un art japonais de transmission d’énergie par apposition des mains. La dynamique s’enclenche. Les Lions de l’Atlas se hissent en quarts de finale de la CAN 2017, pour la première fois depuis plus d’une décennie. Ils montent en puissance lors des éliminatoires de la Coupe du Monde, jusqu’à ce final en apothéose à Abidjan. “Personnellement, j’aurais déjà signé pour un nul. Mais l’emporter 2-0, ça marque encore plus les esprits”, s’enthousiasme le n° 2, heureux de voir, avec cette qualification au Mondial, son troisième rêve de gosse s’accomplir. “Il sera temps alors de se fixer des rêves d’adulte”, considère celui qui soufflera en avril sa quarantième bougie. Outre devenir papa, il aimerait connaître un jour ses limites en tant qu’entraîneur principal : une position plus exposée qui permet d’accéder à la notoriété, “là où la lumière et les gifles sont plus fortes”. En attendant, vendredi 1er décembre, il était à Moscou pour le tirage au sort de la phase finale du Mondial. “Fabio (Cannavaro, ex-capitaine de l’Italie chargé d’ouvrir les boules, NDLR), pas le Maroc, s’il te plaît !”, prie-t-il au moment de dévoiler le quatrième membre de la “poule de la mort”, rassemblant déjà l’Espagne, le Portugal et l’Iran. Peine perdue. Avec deux très grosses cylindrées à affronter d’entrée, quelles sont les chances du Maroc ? “Ce serait indécent d’annoncer qu’on sera champion du monde, mais on va se préparer pour être à la hauteur. Il ne faudra surtout pas être spectateurs. Nous respectons tout le monde, mais nous n’avons peur de personne. On se donne le droit d’aller le plus loin possible, sans se fixer aucune limite”, conclut Beaumelle, sourire en coin.

 

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