Analyse: Jérusalem capitale d'Israël, ou comment Donald Trump joue avec le feu

"L'heure est venue pour les États-Unis de reconnaître Jérusalem comme capitale d'Israël". Cette déclaration de Donald Trump du 6 décembre bouscule le fragile "statu quo" qui plane sur Jérusalem.

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Des Palestiniens brûlent des drapeaux américains et israëliens à Gaza. Crédit : AFP

Dans la bande de Gaza, des drapeaux américains et israéliens et des portraits de Donald Trump ont été brûlés. Ce sont les premiers actes de contestation de la décision du président des États-Unis de déplacer son ambassade de Tel Aviv à Jérusalem et de reconnaître la Ville sainte comme capitale de l’État israélien. Rapidement après la déclaration de Donald Trump du 6 décembre, le Hamas a appelé à « une nouvelle intifada contre l’ennemi sioniste« .

Il faut dire que la région est particulièrement inflammable. « Cette décision est potentiellement incendiaire dans la mesure où Jérusalem est, spirituellement parlant, la ville trois fois sainte. De plus, Jérusalem-Est, la partie arabe de la ville, fait partie – juridiquement parlant – de ce que l’ONU considère comme des « territoires occupés » depuis la guerre de 1967« , explique David Rigoulet-Roze, enseignant-chercheur français en histoire des relations internationales.

En considérant que Jérusalem est la capitale d’Israël, Donald Trump entérine toute possibilité de construire la capitale d’un hypothétique État palestinien à Jérusalem, alors qu’il a déclaré officiellement s’engager à accepter une solution à deux États à condition qu’elle soit « acceptée par les deux parties ». Cette décision donne une légitimité à des dispositions unilatérales du côté israélien, qui pourraient mener à des actes comme l’extension du mur de séparation.

La décision de Donald Trump a autant fait réagir la communauté internationale que les pays occidentaux réputés proches des États-Unis comme la Grande-Bretagne, car elle va à l’encontre du droit international. « La déclaration unilatérale du président Donald Trump entre en contradiction avec les résolutions onusiennes, notamment les résolutions 476 et 478 prises après l’adoption par la Knesset de la « Loi Jérusalem » de juillet 1980 instituant Jérusalem réunifiée « Capitale éternelle et indivisible » d’Israël« , explique David Rigoulet-Roze.

D’autre part, cette décision fragilise aussi le statu quo qui s’est installé dans la ville et sur l’esplanade de Jérusalem. « La monarchie hachémite jordanienne conserve depuis le traité de paix israélo-jordanien du 26 octobre 1994 un « rôle spécial » en sa qualité de gardien des lieux saints d’Al Aqsa (le waqf)« , explique David Rigoulet-Roze.

La Jordanie ressort alors affaiblie de cette décision alors que le roi Abdallah II n’a pas été écouté lors de son déplacement à Washington pour négocier avec les États-Unis. « L’esplanade est en danger, car Israël est en train d’essayer de la contrôler« , confirme Amnon Ramon, politologue israélien au Jérusalem Institute for Policy Research.

Une bombe à retardement ?

L’installation de l’ambassade américaine à Jérusalem pourrait prendre plusieurs années. Agnès Levallois craint pourtant déjà que cette décision « entraîne d’autres pays à faire de même, notamment sous pression des États-Unis, première puissance mondiale. Cette décision deviendrait un fait accompli », s’inquiète Agnès Levallois, consultante spécialiste du Moyen-Orient et des questions méditerranéennes.

Selon elle, l’autre risque est de « remettre en question la réconciliation interpalestinienne« , alors que le Hamas et l’Autorité palestinienne contrôlée par le Fatah viennent à peine de commencer un processus de réconciliation.

Elle redoute alors que « les Palestiniens comme le monde arabo-musulman se sentent bafoués » et que cela déstabilise la région avec une « radicalisation et une multiplication des actes de terrorisme« .

« Cette décision est un argument pour mener des attentats au nom de la défense de Jérusalem. Les actions terroristes peuvent se multiplier face à l’impression qu’il n’y a pas d’autres moyens de discussion alors que les Américains violent le droit international« , analyse Agnès Levallois.

Mobilisation du monde arabo-musulman

Deux réunions sont attendues le 9 décembre au sein de la Ligue arabe et le 13 décembre à l’Organisation de la coopération islamique (OCI), à l’initiative d’Istanbul. « Il y a une certaine concurrence entre la Turquie, l’Iran et l’Arabie saoudite pour la défense de Jérusalem comme 3e lieu saint de l’Islam« , constate Agnès Levallois.

« Il y a un embarras de Riyad d’autant plus important que le royaume saoudien s’était rapproché d’Israël du fait de leur perception commune de la menace iranienne« , ajoute David Rigoulet-Roze.

« La République islamique va pouvoir se présenter comme le seul véritable défenseur de la cause palestinienne et la défense des lieux saints  et stigmatiser simultanément les pays arabes pour leur faiblesse voire leur trahison en la matière« , continue-t-il.

Le Maroc n’est pas en reste dans cette vague de contestation de la décision américaine. Mohammed VI a appelé directement Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, pour rejeter toute action qui altère le statut juridique et politique de Jérusalem et pour identifier « les démarches  à entreprendre et les actions à mener« .

En tant que président du Comité Al Qods, le roi a par la suite envoyé une lettre à Donald Trump et au secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres au nom de 57 pays arabes et musulmans pour le mettre en garde contre ce transfert. « Le Maroc a la capacité de dialoguer avec les parties prenantes, c’est-à-dire les États-Unis, Israël, les interlocuteurs palestiniens et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU« , indique Agnès Levallois.

La chargée d’affaires américaine a d’ailleurs été convoquée par le ministère des Affaires étrangères à Rabat, avec les quatre ambassadeurs des autres membres permanents du Conseil de sécurité, pour « transmettre la position marocaine« , nous expliquait une source diplomatique marocaine.

Alors que le siège du Comité Al Qods, créé en 1975 par l’OCI, est à Rabat, « Mohammed VI a de fait un rôle non négligeable alors que le rôle du comité est de préserver l’identité religieuse des lieux saints et donc ce que l’on qualifiait de « statu quo » qui prévalait depuis 1967 jusqu’à aujourd’hui« , analyse David Rigoulet-Roze.

« Sans reconnaître l’État hébreu, le Maroc a des canaux de discussion permanents avec Israël en plus d’être un des alliés des États-Unis« , relève Agnès Levallois . L’historien israélien Amnon Ramon rappelle aussi que le Maroc avait joué un rôle d’intermédiaire dans les discussions entre l’Égypte et Israël en 1967.

Mais encore faut-il réussir à mettre tous les interlocuteurs autour de la même table et les faire parler alors qu’aucune solution ne peut concrètement empêcher Donald Trump de déplacer son ambassade. « Les États-Unis font partie du Conseil de Sécurité de l’ONU et vont mettre le veto. On se retrouve face aux faiblesses de l’organisation internationale« , relève Agnès Levallois qui précise que Donald Trump ne prend pas en considération l’impact d’un tel geste diplomatique. C’est connu, le président des États-Unis aime jouer avec le feu.

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