Le périple fou de 5.000 kilomètres d'un supersupporter des Lions de l'Atlas

Mohamed à la frontière Mali-Côte d'ivoire, la veille du match (facebook.com/africaveler/)

À 28 ans, Mohamed Benkirane a démissionné de son poste de comptable pour accomplir un rêve qu’il avait en tête depuis plusieurs années: parcourir le continent. Le match d’Abidjan, décisif pour la qualification à la Coupe du monde de football 2018, était une occasion en or pour ce fou des Lions de l’Atlas.

Parti de Rabat avec un ami, le passionné du ballon rond a pris la route juste après la victoire du Wydad en Ligue des Champions africaine, le samedi 4 novembre. En sept jours, il a parcouru plus de 5.000 kilomètres à travers quatre pays, mu par un seul objectif (qu’il atteindra de justesse): arriver à temps pour le rendez-vous historique de son équipe nationale.

Grisé par la victoire, délesté de la pression du chronomètre, il s’est accordé presque trois semaines pour le trajet retour. En ligne depuis les environs d’Agadir, il nous raconte son périple.

TelQuel.ma: Comment est née cette idée de rallier la Côte d’Ivoire par la route?

Mohamed Benkirane: Primo, je suis un passionné de voyages et d’aventure en tous genres. Je préfère toujours le chemin le plus difficile, le plus original, celui auquel la plupart des gens ne pensent même pas. Secundo, je suis un grand amoureux de l’équipe de foot marocaine. J’ai assisté à tous les matchs de qualification qui se sont joués à domicile. J’ai pensé à partir à Abidjan par la route. J’ai soumis l’idée à plusieurs amis. Comme on a rapidement été une petite dizaine d’intéressés, j’ai proposé de faire du covoiturage ou de louer un minibus. Lorsque j’ai lancé l’appel sur Facebook, tu ne peux pas imaginer le nombre de demandes que j’ai reçues!

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Comment vous êtes-vous finalement retrouvé qu’à deux?

Nous avons connu pas mal de difficultés avec la société de transport qui devait nous emmener. La dernière, celle qui m’a fait lâcher l’affaire, c’est quand on m’a demandé de signer pour être le seul responsable pendant tout le trajet. C’était impossible. Les compagnies marocaines n’ont pas l’habitude d’emmener des passagers vers l’Afrique, donc elles ont peur et exigent beaucoup trop de garanties.

Vous êtes donc partis en transport en commun…

On a relevé le défi, en prenant d’abord le train de Rabat à Casablanca. Il était en retard, ce qui a failli nous faire louper notre premier bus pour Dakhla! Hamdoullah, on a pu monter dedans et arriver le lendemain vers 13h. Un camion de légumes nous a pris en autostop. Il nous a déposés au poste-frontière avec la Mauritanie, après que nous soyons tombés deux fois en panne. On a passé la nuit là-bas. Le passage était un peu compliqué, car les policiers mauritaniens voulaient qu’on leur verse un bakchich. On a fini par payer pour ne pas être trop retardés.

Quelle direction avez-vous suivie?

Le chauffeur de la veille nous a conduits jusqu’à Nouakchott, où on est arrivés à 2h du matin, avec encore une roue crevée. Quasiment sans nous être reposés, on a pris le bus de 5h pour Bamako (Mali, NDLR) où nous sommes arrivés le lendemain soir. Là, on nous a dit que le prochain départ n’était prévu que le vendredi, en fin d’après-midi…ce qui nous faisait arriver à Abidjan vers 22h, soit après le match! On en a cherché un autre moyen. On n’avait presque pas dormi et on ne connaissait pas la ville. C’était vraiment fatigant. On a finalement trouvé un bus qui allait jusqu’à Sikasso, à une centaine de kilomètres de la frontière ivoirienne. On a pris des motos-taxis pour y parvenir. Le policier nous a demandé une commission pour nous laisser passer, en nous disant que si on gagnait contre son équipe, il ne nous ouvrirait pas la porte au retour!

À la veille de la rencontre, et alors qu’il vous restait encore plus de 700 kilomètres jusqu’à Abidjan n’avez-vous pas eu peur de manquer le coup d’envoi?

Si, surtout que dans le nord de la Côte d’Ivoire, on avait plus de 300 kilomètres à faire sur une piste réputée pour ses coupeurs de route. Les gens nous disaient qu’on ne serait pas à Abidjan avant le dimanche ou le lundi. J’ai commencé à perdre espoir, en me disant qu’on devrait regarder le match dans un café de Bouaké ou de Yamoussoukro. C’est alors qu’un ami de Rabat a surgi de nulle part. Je te jure! Imagine, sans se coordonner, de se retrouver au même endroit, au même moment, et surtout avec le même objectif. Comme il avait son propre véhicule, on est montés avec lui. Il a roulé très vite. On est entrés dans Abidjan à 17h tapantes. Il y avait beaucoup d’embouteillages, donc on n’est arrivés dans les environs du stade que vers 17h30. Le stationnement était interdit. J’ai appelé les Marocains que je connaissais dans les tribunes pour qu’ils nous donnent nos billets. Personne n’a répondu. J’ai négocié avec un gendarme, qui nous a demandé 10.000 FCFA chacun pour pénétrer à l’intérieur. On s’est regardés. On lui a donné sans hésiter!

Le match avait-il déjà débuté?

Oui, on s’est assis deux minutes avant le deuxième but (du capitaine Mehdi Benatia, à la 30e minute de jeu, NDLR). Il y avait une ambiance extraordinaire! Tout le monde nous a dit qu’on était les porte-bonheurs de l’équipe (rires). Au coup de sifflet final, tu ne peux pas imaginer ce que j’ai ressenti. J’ai repensé à tous les gens qui nous avaient dit qu’on ne serait pas à l’heure. J’ai dit « bismillah errahmane errahim », et les larmes ont commencé à couler.

Comment avez-vous célébré cette qualification historique?

La police nous a laissés descendre sur la pelouse. On était avec les joueurs, le président de la Fédération, le coach… Le soir, on est sortis pour fêter ça. J’ai cuisiné marocain pour des amis qui habitent à Abidjan. Ils nous ont hébergés. C’est la seule fois du voyage où on a dormi à l’intérieur.

Comment ça?

Nous avions notre propre tente, et 10.000 étoiles au-dessus de la tête chaque nuit. Pourquoi s’enfermer entre quatre murs? On avait notre sac à dos avec la tente, les sacs de couchage, le réchaud, les caméras, les chargeurs… On avait aussi notre eau en bouteille et notre nourriture, pour ne pas risquer de tomber malade.

Après autant de galères, pourquoi ne pas avoir opté pour le retour en avion?

C’était contre nos principes. Nous avions atteint notre premier objectif. Il nous restait maintenant à découvrir l’Afrique, sans contrainte de temps. Le dimanche, on a donc profité de la plage à Grand-Bassam et Assinie. Les Ivoiriens nous félicitaient pour la qualification. J’ai vraiment apprécié, parce que je ne crois pas que ça aurait été la même chose si l’inverse s’était produit au Maroc (rires).

Quel chemin avez-vous emprunté pour revenir?

Nous sommes retournés via Abidjan, Yamoussoukro, Bouaké. Au poste-frontière, je m’attendais à taquiner le policier qui avait dit qu’il nous refuserait le passage, mais il n’était plus là. Sur invitation d’un compatriote expatrié au Burkina, on a fait un petit tour à Bobo-Dioulasso.

Je n’étais pas très à l’aise, parce qu’on a franchi la démarcation clandestinement, sans visa. On a ensuite pris l’autocar pour le Mali, puis Kaolack, au Sénégal. C’est là qu’on s’est aperçus qu’il nous restait zéro dirham. J’avais pris 740 euros et mon camarade 520. On a tout dépensé. On a dû recourir à plusieurs intermédiaires, avant que mon père réussisse à nous transférer 4.500 dirhams (au total, ils auront déboursé quelque 8.000 dirhams chacun).

Comme on avait de nouveau de l’argent, on a décidé de faire un petit crochet pour un safari en Gambie. Là-bas, les gens sont tranquilles. C’est la partie que j’ai préférée. On a ensuite fait Dakar, Saint-Louis, les petites îles du nord du Sénégal, puis la Mauritanie, Dakhla, et nous voilà maintenant à Agadir. Je serais bien resté plus longtemps, mais ça fait du bien de rentrer au bled.

Que retenez-vous de ce périple?

Ma vision a changé. On ne se rend pas compte de la chance qu’on a au Maroc. Ici, il y a peut-être du chômage et de la pauvreté, mais ça n’a rien à voir avec d’autres coins du continent, où il faut parfois marcher des kilomètres pieds nus pour puiser son eau quotidienne. Une autre chose qui m’a frappé et que je n’ai pas aimée, c’est que les gens t’appellent instinctivement le boss, le patron, en te réclamant systématiquement de l’argent.

Quels sont maintenant vos projets?

Je vais d’abord trier mes photos et vidéos, afin de les publier sur ma page Facebook. Les cartes mémoires 32Go de mon téléphone et de ma GoPro sont saturées, donc il y a du boulot. Dans un deuxième temps, je compte créer une association pour venir en aide aux Africains. J’ai déjà contacté des amis dentistes, pour envoyer des brosses à dents et du dentifrice. J’aimerais aussi lancer une agence de voyages, et traverser un jour tout le continent jusqu’en Afrique du Sud.

N’avez-vous pas prévu de vous rendre en Russie pour le Mondial?

Bien sûr que si! J’ai chargé un ami de me réserver mes billets…et j’ai déjà commencé réfléchir à l’itinéraire du bus (rires).

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