Zakaria Boualem et le drame de Sidi Boulaâlam

Par Réda Allali

Il faut être clair, les amis : c’est une page qui va être un peu moins sympa à écrire que celle de la semaine dernière. A lire aussi, sans doute. En quelques jours, nous sommes passés de la gloire à la tragédie, dans un de ces mouvements d’ascenseur émotionnel qui sont un peu notre spécialité. Le Boualem est abattu. Il était qualifié au Mondial, glorieux, il inondait les réseaux sociaux de sa verve de vainqueur, il avait bonne mine.

Et voilà que cette affreuse nouvelle le ramène à sa triste condition, celle de locataire dans un pays sous-développé. Un pays où une quinzaine de personnes peuvent trouver la mort lors d’une bousculade survenue lors d’une distribution de sacs de farine. La phrase précédente est abominable, et pourtant nos standards sont élevés. On peut aborder cette information comme on veut, débattre sur le mode de distribution, ergoter sur les détails, polémiquer sur l’identité du donateur, la réalité est que des gens sont morts en tentant de récupérer des denrées alimentaires de base. Bien entendu, le Boualem a appris dans la foulée que leurs funérailles allaient être prises en charge, et qu’une commission d’enquête allait être diligentée pour faire la lumière sur cette tragédie. Puis, on va passer à autre chose, tous ensemble. C’est comme ça que ça se passe chez nous.

Lorsque des immeubles s’effondrent sur la tête de leurs habitants, lorsque des spectateurs sont piétinés lors d’un concert, lorsque des oueds débordent sur des villageois, ou lorsque des montagnards meurent de froid. On passe à autre chose, avec ce mélange de honte et de résignation qui est aussi un peu notre spécialité, avec la triste certitude qu’une nouvelle catastrophe va s’abattre sur la tête de malheureux compatriotes dans un avenir très proche. C’est parce qu’on sait que le MarocModerne, malheureusement, ne considère pas vraiment les Marocains comme une priorité, et surtout pas ceux-là. Il faut rappeler qu’il s’agit d’une entreprise moderne, comme son nom l’indique, et qu’elle a pour priorité, dans l’ordre : sa stabilité et l’amélioration de son image. C’est quelque chose que nous avons tous intégré, que nous considérons comme immuable, tout comme les catastrophes qui en découlent.

Si Zakaria Boualem est triste, c’est parce qu’il sait que le niveau de développement d’un pays ne se mesure pas à ses réalisations les plus glorieuses, ces choses très chères et très mé- diatisées, mais bien à la réalité de la vie quotidienne de la masse de ses habitants. Et parce qu’il a aussi l’impression que le degré de stabilité d’un pays est en directe corrélation avec le nombre de ses habitants qui n’ont plus rien à perdre. Inutile d’insister, tout le monde a compris. Mais même si tout le monde a compris depuis longtemps, rien ne change vraiment. Nous continuons, comme nos ancêtres, d’attendre la pluie, c’est désespérant. Et quand elle vient, elle vient trop tard ou elle vient trop fort. Ce refrain dure depuis des décennies. Tout comme celui du “désenclavement des zones rurales”. La première fois que Zakaria Boualem a entendu cet étonnant vocable, il devait être au collège, le bougre. Mais il suffit de faire un petit tour dans nos campagnes pour réaliser que nous sommes toujours au Moyen Âge. On peut continuer à multiplier les exemples de ce genre jusqu’à la fin de cette page, ce n’est pas très difficile comme exercice. Vous n’apprendrez rien de nouveau et vous risquez la dépression. On va donc s’arrêter là, et sauver cette page de l’inutilité en présentant nos condoléances les plus sincères aux familles des victimes de cette nouvelle catastrophe. Allah y sabbarkoum.