En Turquie, l'opération de charme du parti d'Erdogan envers le Maghreb

Une délégation de journalistes maghrébins était invitée en Turquie pour rencontrer des officiels. Parmi eux, un responsable de l'AKP, le parti au pouvoir. Ambiance racontée par notre envoyé spécial à Ankara.

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Crédit: AP

En plein cœur du quartier administratif d’Ankara, le siège de l’AKP (Adalet ve Kalkınma Partisi, Parti justice et développement, NDLR) rappelle plus celui d’une multinationale que la modeste villa du PJD marocain au quartier des Orangers à Rabat.

Dans le hall d’entrée immaculé, l’on est accueilli par de jeunes réceptionnistes non voilées et des agents de sécurité qui nous font traverser des portiques de sécurité. À l’intérieur, les larges couloirs sont sillonnés par des militants au look de cadres supérieurs.

L’on remarque même un espace crèche, où les parents peuvent laisser leurs enfants jouer pendant qu’ils travaillent. Direction un des ascenseurs de cet imposant immeuble d’une dizaine d’étages pour rencontrer Afif Demirkıran, vice-président du parti d’Erdogan.

Crédit: ZC
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« On dit AK Parti parce que les deux premières lettres veulent dirent ‘parti propre’ en turc, quand elles sont prononcées à la suite« , nous explique fièrement ce sexagénaire, trois fois parlementaire. Le temps d’une rencontre avec des journalistes du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie, il s’est mué en super VRP de la politique étrangère de son pays dans la région de l’Afrique du Nord.

Premier objectif, lisible entre les lignes: rappeler que la Turquie a soutenu les révolutions arabes -et donc forcément les islamistes-, mais que le pays de l’AKP est ouvert à la collaboration avec l’ensemble des forces politiques de la région.

Deuxième objectif: en remettre une couche sur la bête noire du régime, l’organisation de Fethullah Güllen, accusée par le gouvernement turc d’avoir fomenté le coup d’État avorté du 15 juillet 2016 et qui avait 250 morts.

Ses arguments? L’AKP a été démocratiquement élu, a réussi un essor économique pour le pays et compte poursuivre sur la voie de la laïcité, jure-t-il. La preuve, avance-t-il, c’est que la formation politique comprend 11 millions de sympathisants, soit le quart de l’électorat du pays. Loin donc de la caricature de la horde de voilées et de barbus, semble insister le vice-président du parti au pouvoir.

Et la lumière vint du parti à l’ampoule

« Quel est le secret de ce parti qui n’a pas connu les effets de l’usure du pouvoir?« , s’interroge-t-il de manière rhétorique. « L’humain est notre priorité et nous avons deux fondements : justice et développement », rappelle-t-il, tentant d’évincer l’étiquette de sectarisme islamiste qui colle pourtant à la peau du parti. « La justice, c’est pour les 80 millions de citoyens turcs : femmes, hommes, Arabes, Kurdes, musulmans, juifs…« , énumère-t-il encore, en réponse aux accusations de recul insidieux des libertés depuis l’arrivée au pouvoir de l’AKP en 2002.

De toutes les manières, ce fin politicien d’origine kurde, qui ponctue ses phrases de « Mashallah », préfère concentrer son argumentaire sur le volet socio-économique, plutôt que sur le terrain glissant des libertés. Une façon de faire typique de ce parti rompu à l’exercice de la realpolitik.

« S’il n’y avait pas les élections en 2002 [qui ont porté l’AKP au pouvoir, NDLR], le pays ne serait pas en mesure aujourd’hui de payer le salaire de ses fonctionnaires« , avance Afif Demirkıran. Quelles sont donc ces ténèbres que le parti à l’ampoule affirme avoir balayées? « Une élite tenait le pays en otage. Il y avait une tutelle de l’armée et de la justice« , affirme le vice-président de l’AKP.

À l’époque, dit-il, les écarts entre zones développées et zones pauvres étaient tel que dans des localités les femmes transportaient encore les bidons d’eau sur leur dos. Un lointain souvenir aujourd’hui, assure-t-il.

23 milliards $ de dette épongés en 4 ans

La mainmise politique impactait négativement le développement du pays d’après Afif Demirkıran. « À notre arrivée, l’endettement du pays culminait à 23 milliards de dollars. Cette dette a été épongée en quatre ans« , assure-t-il, se permettant cette boutade: « Aujourd’hui, on dit au FMI ‘si vous avez besoin d’argent, venez qu’on vous en prête!‘ ».

Cette assurance, le responsable islamiste l’assume jusqu’au bout même quand il est tancé sur la nostalgie de l’Empire ottoman. « Ce sont nos ancêtres, nous les respectons », répond-il, malicieux.

Cette attitude décomplexée de puissance régionale s’accompagne d’un discours anti-occidental de plus en plus assumé. En pleine crise des visas avec les États-Unis, et en proie à de difficiles négociations sur l’adhésion à l’UE avec son partenaire européen, le responsable turc rappelle à quel point l’Occident doit changer de paradigme. « La politique colonialiste de l’Occident doit changer. Un homme d’État africain avait dit que les Occidentaux étaient arrivés au départ avec l’évangile, et nous avions la terre. Ils sont repartis avec la terre, et nous avons gardé l’évangile ». Sans brandir son Coran à la face du monde, la Turquie travaille à sa manière – comme l’Occident qu’elle honnit – à étendre son influence.

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