Le journaliste Andros Lozano raconte sa traversée du Détroit de Gibraltar avec des trafiquants espagnols

Le journaliste espagnol Andros Lozano nous livre les coulisses de son reportage de sa traversée de trois heures en bateau dans le détroit de Gibraltar, pour transporter 2,4 tonnes de haschich entre le Maroc et l'Espagne.

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Photo d'illustration. Crédit: AFP

L’aventure nocturne dure près de trois heures durant lesquelles le journaliste Andros Lozano, du quotidien El Espanol, a accompagné une bande de trafiquants espagnols jusqu’au Maroc pour récupérer 2,4 tonnes de haschich d’une valeur estimée à 3,6 millions d’euros.

Partie d’un point à côté de Cadiz, l’équipe de trois trafiquants navigue à vue pour amarrer au niveau des lumières de la ville de Tétouan. Ils sont attendus par des trafiquants marocains, et deux gendarmes du royaume pour les guider, assure le journaliste espagnol.

De retour en Espagne, la drogue sera vendue plus tard à des clients italiens du chef de la bande, Chato. Les deux accompagnateurs seront payés 20.000 euros la traversée. Interview avec le journaliste qui nous raconte les dessous de son reportage.

Telquel.ma: Comment êtes-vous entré en contact avec le groupe de trafiquants?

Andros Lozano: Je suis entré en contact avec ces personnes à travers un avocat il y a déjà 8 ou 10 mois. Je cherchais l’opportunité de monter dans un bateau à moteur. J’en ai eu l’opportunité à plusieurs reprises, mais à chaque fois, que ce soit les trafiquants ou moi, quelqu’un s’est rétracté. Je souhaitais que l’on me garantisse un minimum de sécurité même s’il est impossible d’avoir une sécurité maximale.

Quelle a été la réaction des trafiquants ?

Toutes les personnes impliquées dans cette livraison, même les intermédiaires, savaient que j’étais là pour faire un reportage. Un seul d’entre eux n’a pas apprécié que je monte sur le bateau et pensait que je voulais les dénoncer et dévoiler leurs identités à la police ou à d’autres gangs de trafiquants.

Mais le leader du groupe l’a convaincu. Un seul d’entre eux m’a révélé sa véritable identité tandis que les autres m’ont seulement donné des surnoms. Je n’ai pas publié beaucoup d’informations à leurs sujets afin qu’ils ne soient pas reconnus.

Mais en vous présentant comme journaliste n’aviez-vous pas peur de changer leurs habitudes ?

Absolument pas. Ils ont travaillé comme ils le font avec une certaine fréquence. Ils ont accepté que je sois témoin à partir du moment où je n’étais pas un poids pour eux. Je n’ai pu leur parler que quand ils m’ont récupéré en voiture et sur le bateau.

Arrivé au Maroc, vous avez pu échanger avec les trafiquants marocains?

Non, car ils ne savaient pas que j’étais journaliste. Ils ont juste serré la main de Chato sans échanger d’argent. Sur la côte marocaine, j’avais pour consigne de ne pas parler, pour qu’ils ne s’aperçoivent pas de ma présence. Sinon ils auraient demandé que je ne monte pas dans le bateau.

Qu’est-ce qui vous a surpris pendant ce trajet ?

Avant de faire ce voyage, je connaissais très bien le commerce illégal de haschich, mais je n’aurais jamais pu le décrire comme cela. Ce qui m’a surpris, c’est que personne ne nous suit jamais. Personne ne nous suit quand on lance le bateau depuis l’Espagne, personne ne nous suit en mer, personne ne nous suit quand nous sommes proches de la côte marocaine. J’étais aussi surpris de voir des gendarmes marocains nous faire des signaux lumineux.

J’ai également confirmé cette impression que j’avais sur le monde du narcotrafic selon laquelle il y a à la fois des gens sans scrupule, mais aussi des gens qui font ça pour nourrir leur famille. C’est le cas de l’un des trafiquants, surnommé La Pulga, qui est au chômage avec une femme et deux enfants à charge.

Est-ce que vous avez pu tout raconter ?

Il y a des détails de l’histoire que je ne peux pas raconter et que je n’ai pas pu écrire dans mon récit. Il y a certaines choses qu’ils n’ont pas pu me dire. Comme la fréquence à laquelle ils font le trajet – je pense qu’ils le font environ une fois par semaine – ni son coût.

Est-ce que des autorités sont venues vous voir pour avoir plus de détails ?

Personne ne m’a contacté, que ce soit du côté marocain ou espagnol. Deux policiers nationaux espagnols qui travaillent dans la lutte contre le narcotrafic m’ont écrit sur Whatsapp pour me féliciter. Selon eux, j’ai réussi à raconter un monde dont ils ne peuvent pas parler et qu’ils connaissent très bien du fait de leur travail.

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