Témoignage: mes dix années passées dans les couloirs de la mort

Rencontre avec un ancien détenu qui raconte ses dix années passées dans les couloirs de la mort. Témoignage.

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Ahmed Haou. Crédit: Fadel Senna/AFP

C’est un quinquagénaire à la barbe grisonnante qui nous reçoit, les rides creusant le coin de ses yeux, au quatrième étage du siège du Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH), à Rabat. Lui, c’est Ahmed Haou. Un ex-condamné à mort, au visage marqué d’un passé lugubre qui raconte dix années passées dans les couloirs de la mort.

Tout commence un 20 juin 1983, qui coïncide avec le ramadan. Deux années après les émeutes de Casablanca de 1981, Ahmed et ses camarades manifestent « pacifiquement » leur mécontentement contre le régime de Hassan II.

À l’heure du ftour,  il accroche des banderoles sur les murs de Mohammedia, clandestinement. L’été est là. Ahmed part camper lorsqu’il apprend que sa famille est devenue une cible. Les autorités ont débarqué dans la maison familiale pour cherche le jeune militant et poser des questions.  Il décide de se rendre illico presto au commissariat, volontairement. « J’ignorais que je marchais au-devant de la guillotine. Si je pouvais revenir en arrière, je ne me serais jamais livré« , regrette-t-il, le regard sec.

Au centre de détention de Derb Moulay Cherif de Casablanca, les matons avaient pour seuls mots d’ordre « les actes d’humiliation« . Ahmed nous confie, ému, avoir subi plusieurs traitements dégradants: « des atteintes à l’ intégrité physique et morale, la malnutrition et aucun suivi sanitaire« . Il décrit également « la torture quotidienne et méthodique » qui lui a été infligée. Ahmed Haou quitte Moulay Cherif le 13 janvier 1984, après y avoir passé 6 mois.

Le 31 juillet de la même année, il est transféré au quartier B – le couloir de la mort de la prison de Kenitra. Le motif ? Atteinte à la sécurité intérieure de L’État. À 22 ans seulement, il déclare devant le juge, le jour de sa condamnation à mort: « Comment une banderole et une opinion politique, peuvent-elles renverser un État là où les armes ont échoué? » Quelques heures plus tard, sa famille reçoit les condoléances des proches,  » c’était comme si j’étais déjà mort « , se rappelle-t-il, souriant.

« Un silence terrible régnait dans le quartier B« , décrit Ahmed. Faisant remonter ses souvenirs du couloir de la mort, il dessine au stylo le plan de la prison de Kénitra où il a passé dix années de sa vie.  Dix années durant lesquelles « le plus dur a été l’attente et l’inconnu« .

Qu’attendait-il ? L’ouverture de la porte de la cellule qui semait la terreur auprès des condamnés à mort. L’attente devient alors une « torture quotidienne« . Au moindre bruit, au moindre piétinement des souliers des geôliers, « votre cœur bat la chamade, vous vous dites: c’est mon tour« , se rappelle-t-il.

Dans ce contexte particulier, dans les autres quartiers de la prison, l’ouverture de la porte était « une lueur d’espoir, un synonyme de libération ou de rencontre avec la famille« . Dans les couloirs de la mort, c’était « le signe précurseur d’une exécution et une peur indescriptible« , poursuit l’ancien détenu.

« La porte sera ouverte, à plusieurs reprises, non pas pour m’exécuter, mais pour me terroriser« , confie encore Ahmed. À force d’attendre, l’exécution de la peine devient « une délivrance », pour certains condamnés, souligne-t-il. Il se souvient même de plusieurs condamnés à mort qui ont écrit des lettres à l’administration demandant leur exécution immédiate, ne pouvant plus supporter cette attente et cet inconnu qui « tue toute envie de s’accrocher à la vie« .

Après dix années passées dans le quartier B, Ahmed Haou voit sa peine commuée en prison à vie en 1994. Il est finalement libéré en octobre 1998.  « C’est le mois de ma naissance, de ma renaissance, et celui de mon combat (la journée mondiale contre la peine de mort, célébrée le 10 octobre, NDLR) », nous indique-t-il.

Aujourd’hui père de trois enfants, Ahmed est chargé de mission auprès du secrétaire général du CNDH (Conseil national des droits humains). Abolitionniste, il milite aujourd’hui pour  » qu’il n’y ait plus de quartier B au Maroc ».

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