Le Maroc des années 50 en musique par Paul Bowles

Dans les années 1950, l'auteur d'Un thé au Sahara a sillonné le Maroc pour enregistrer les chants traditionnels marocains, qu'il craignait de voir disparaître. Retour, en musique, sur cette épopée musicale.

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A Essaouira, dans les années 50, l'écrivain Paul Bowles a enregistré la performance musicale des villageois de Tamanar, un village situé vers Essaouira. Crédit photo : Archinet © Irene Hermann

« L’élément le plus emblématique de la culture folk marocaine est sa musique« , écrivait l’écrivain américain Paul Bowles au retour de son épopée musicale à travers le Maroc à la fin des années 50. La poétique Aywach de Tafraoute, le Gnaoua rythmé de Marrakech, le sirupeux Hassani de Guelmim… Pendant six mois, Paul Bowles a sillonné le pays, accompagné de son micro et d’une bobine, à la rencontre des différentes musiques traditionnelles marocaines. De Tanger à Dakhla en passant par Marrakech ou encore Tafraout, le célèbre écrivain et compositeur américain, qui a vécu la majeure partie de sa vie au royaume, a enregistré les voix du Maroc. Sa démarche, soutenue par la Fondation Rockefeller, avait pour objectif la préservation de la musique traditionnelle marocaine dont on craignait alors la disparition.

Les soixante-dix heures de bande-son et les notes rédigées par Paul Bowles, archivées à La Librairie du Congrès située à Washington aux États-Unis, sont aujourd’hui partiellement disponibles en ligne. Une partie de la collection de Paul Bowles est accessible gratuitement en ligne sur le site Archnet. Venez découvrir le Maroc des années 50 dans les oreilles de Paul Bowles.

Tafraout

Enregistré à Tafraout le 12 août 1959

Trouver des musiciens à Tafraout était compliqué. Le représentant des autorités nous a trainés, un matin, à travers plusieurs kilomètres dans la vallée pour rencontrer un certain caid qui devait nous rediriger vers les moqqadem de chaque village, ordonnant aux villageois de venir le lendemain soir au Borj. (…) La première partie, « Ahmeilou », regroupait treize hommes, cinq qui jouaient le bendir et un le gannega (le terme local pour tbel). Tandis que la nuit avançait, plus d’hommes rejoignirent le groupe.

Tiznit

Enregistré à Tiznit le 13 août 1959

Encore une fois, la session d’enregistrement se tenait dans le quartier général de l’armée, avec beaucoup de gardes armés autours de nous. Toutefois, puisque ce n’était pas de la musique tribale, le gouvernement n’était pas impliqué dans ces négociations; ils nous ont juste permis d’occuper les lieux et d’utiliser l’électricité. Les instruments de ce groupe étaient : un rebab, deux guembris et un naqous.

Essaouira

Enregistré à Essaouira, le 8 août 1959

Je me suis rendu à Tamanar avec l’intention d’y faire des enregistrements, mais il n’y avait pas d’électricité donc les musiciens devaient être transportés de Tamanar à Essaouira. Il y avait deux grands tambours (tbel) et cinq hommes avec des qraqeb (des cymbales en métal qu’on tient à deux mains).

Tanger

Enregistré à Ain el Hayani (Tanger) le 24 août 1959

Le son du cortège funèbre a été enregistré à une certaine distance au milieu de l’après-midi. Le corps était porté depuis Ain El Hayani à travers les champs jusqu’à Bou Araqia, où se trouve le cimetière. La mélodie est toujours la même; le tempo est incroyablement rapide, accompagnant les pas de ceux qui portent le corps, et les hommes vont le plus vite qu’ils le peuvent.

Goulmime

Enregistré à Goulmime le 12 août 1959

Hamadi ben Boyout n’avait évidemment pas les mêmes antécédents raciaux que le reste du groupe sauf l’une des filles; il était noir, alors que les autres étaient arabes ou berbères (…) La femme nommée Mahjouba (les noms que ces femmes utilisent ne sont pas forcément leurs vrais noms; en tant qu' »artistes » elles ont le droit d’avoir un pseudonyme), contrairement aux autres, était noire. Son chant avec Ben Boyout sur le premier passage de cette bobine prouve qu’ils partagent la même tradition vocale. Malheureusement, elle a refusé d’enlever le volumineux voile qui couvrait sa bouche et une grande partie de son visage, ce qui rendait difficile de capter sa voix, et elle n’aimait pas l’idée d’avoir un microphone tenu devant elle.

Sur les traces de Paul Bowles

Cinquante-ans plus tard, en mars 2012, deux passionnés de musique ont retracé le même chemin musical que Paul Bowles. Equipés de leur matériel d’enregistrement, Gilles Aubry et Zouheir Atbane, artistes sonores respectivement suisse et marocain, décident de partir sur les traces de l’écrivain. Intitulé « Anthologie marocaine pour la préservation des oreilles« , leur projet est une véritable voyage sonore dans le temps. L’idée ? Partir des archives et du circuit de Paul Bowles pour aller à la source de ces enregistrements et retrouver ceux qui y avaient participé à l’époque ou ceux qui jouent la même musique aujourd’hui.

Un reportage à retrouver dans le magazine Tel Quel n°779, actuellement en kiosque.[/encadre]
 

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