Ali Belhaj : “Les technocrates, c’est la porte ouverte à la catastrophe”

Membre fondateur du PAM, il nous parle de la démission d’Ilyas El Omari, du projet de refondation du parti et de la crise de représentation politique que traverse le pays.

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Ali Belhaj, membre fondateur du PAM et ancien président de la région de l'Oriental. DR

Comptant parmi les fondateurs du PAM, Ali Belhaj avait pris ces deux dernières années ses distances avec le parti. Il revient désormais au-devant de la scène en s’investissant dans le projet de refondation du PAM, lancé après la démission du secrétaire général Ilyas El Omari. Portant un discours réformateur, il se montre critique vis-à-vis du bilan des neuf années du parti du tracteur qui, dit-il, a échoué dans sa mission de renouvellement de la classe politique et de représentation du courant moderniste de la société. Il avoue même que le parti n’est pas exemplaire en matière d’éthique, sacrifiée sur l’autel d’objectifs électoralistes. Ancien président de la région de l’Oriental, l’homme d’affaires dit également ne pas avoir d’ambitions personnelles, une manière de couper court à la rumeur qui le donne futur patron du PAM. Que pensez-vous de la démission d’El Omari, le désormais ancien secrétaire général du PAM ? Les mandats des secrétaires généraux de notre parti n’ont jamais dépassé deux ans en moyenne. La démission d’Ilyas El Omari n’a donc rien d’exceptionnel. Elle a été plus médiatisée, El Omari étant plus médiatisé que nos anciens secrétaires généraux. Le plus important, c’est l’avenir du parti.

La démission a-t-elle un lien avec le discours du trône ?

Je ne sais pas. Ce qui est sûr, c’est que le discours nous interpelle au PAM beaucoup plus que n’importe quel autre parti. Car notre parti avait pour mission de renouveler le paysage politique. C’était dans son ADN. Nous sommes donc concernés au plus haut point.

Cette démission sonne comme un échec, non seulement d’Ilyas El Omari, mais de tout le projet PAM. Vous partagez ce constat ?

Les choses ne se sont pas faites comme ça. Cette démission est un acte personnel. El Omari n’a pas démissionné sous la pression du bureau politique pour qu’on puisse parler d’échec général. Pour moi, la démission n’est pas l’évènement principal.

C’est quoi l’évènement principal alors ?

C’est la rénovation du paysage politique. C’est de savoir si nous avons atteint les objectifs qu’on s’était fixés au départ ou pas. C’est le plus important pour nous aujourd’hui. Une commission a été créée pour évaluer le bilan du parti depuis sa création. Quelles sont les premières conclusions de ce travail ? Le travail est en cours et devrait être présenté au Conseil national qui se tiendra en octobre prochain.

Vous êtes l’un des fondateurs du parti. Pensez-vous que le PAM ait réussi dans les objectifs qu’il s’était fixés au départ ?

Un parti politique a deux socles : une machine électorale et un projet social qui est en fait la raison de son existence. Sur le premier socle, le PAM a réussi son objectif. La mécanique roule. Personne ne peut le contester. Sur le deuxième socle, on n’a pas atteint nos objectifs, on n’a pas réussi à devenir une force de proposition. On doit se poser la question et essayer de savoir pourquoi on a échoué sur ça. Et surtout comment faire désormais pour atteindre ces objectifs. Autre point prioritaire pour moi : l’éthique et la morale. Cet objectif, on ne l’a pas atteint. On est un parti qui devait montrer l’exemple. On a échoué.

Vous avouez donc que le parti n’a pas été exemplaire ?

Oui, pas assez. Je ne le dis pas pour punir quelqu’un. Mais c’est la réalité.

C’est en même temps ce “manque d’éthique” qui a permis au PAM de devenir une machine électorale…

C’est exactement cela l’erreur qui a été commise par ceux qui ont choisi de faire un certain compromis avec l’éthique pour bâtir une machine électorale. Si le parti veut prospérer, il doit être exemplaire, quitte à perdre quelques circonscriptions. Avoir 100 ou 90 députés, ça ne change rien. L’éthique doit être une valeur transversale de tous nos actes.

Le PAM a été créé notamment pour contrer la montée en puissance des islamistes. Force est de constater que c’est l’inverse qui s’est produit. Pourquoi à votre avis ?

Contrer les islamistes n’était pas dans nos objectifs de création. En tout cas, ce n’est pas pour cela que j’ai participé à ce projet. La société marocaine est traversée par deux courants : l’un conservateur et l’autre universaliste, moderne, mais attaché à l’authenticité du pays. D’où le nom du parti. Nous sommes marocains, mais nous sommes ouverts sur des valeurs universelles. Ce courant existe dans la société, comme le courant conservateur existe. Sauf que le courant conservateur est organisé, structuré et a un représentant politique. Or, le courant universaliste n’est pas du tout représenté. L’idée c’était donc d’organiser ce mouvement (d’où la création du Mouvement de tous les démocrates), avec un pendant politique qui est le PAM. On n’est pas venu pour contrer les islamistes, mais pour représenter un courant de la société.

Pensez-vous que le PAM ait réussi dans cette mission de représentation ?

Nous devons faire un rapport d’étape pour en juger. La route est longue. Une des erreurs commises, c’est d’avoir été trop pressés. Notre objectif n’est pas de gagner ou de perdre une élection, mais de structurer ce courant de la société. En focalisant toute l’action du parti sur la concurrence avec le PJD, nous avons donné au parti un objectif électoraliste. Or, ce n’était pas du tout l’idée que j’avais du PAM.

En vous écoutant, on a l’impression que vous voulez faire du PAM un think tank qui ne vise pas, comme tout autre parti, de gagner des élections et de gouverner…

Les élections, c’est important, mais ça ne doit pas être la finalité. Si vous pensez que c’est la finalité, c’est le compromis. C’est la porte ouverte à tout et n’importe quoi. Il y a eu une erreur sur la tactique vis-à-vis du courant conservateur au niveau du parlement. Au lieu d’être une force de proposition, on s’est retrouvés à être des gens qui n’existaient que pour interpeller les autres. C’était une erreur. Il faut revenir à des propositions concrètes, présenter un projet, et laisser les Marocains choisir. Le PAM a un rôle essentiel à jouer dans les prochaines années, pour la diversité de la vie politique et sa sérénité. On a besoin d’un courant fort qui représente cette frange de la société qui ne vote pas, qui ne se sent pas représentée par l’offre politique actuelle.

Ce discours moderniste est porté par le PAM depuis sa création. Pourquoi n’a-t-il pas pris dans les centres urbains où les islamistes ont presque tout gagné ?

Parce qu’on a échoué à le faire porter. On ne peut pas dire non plus que le PAM ait échoué dans les villes. Ce n’est pas mécanique. On est restés stables dans les centres urbains, mais le vrai test est là, dans l’urbain. C’est l’appel qu’on devrait lancer à cette classe moyenne qui n’est pas venue vers nous de façon évidente. Et elle devrait.

C’est quoi la prochaine étape ?

Faire une évaluation sincère des neuf dernières années. Il faut une refondation du parti, en apprenant de nos erreurs, pour grandir, mieux exprimer notre projet, mieux se positionner. Vu la trop forte orientation qu’on s’est donnée vis-à-vis des élections, on a oublié le fondement, le projet, la force de proposition moderniste… Ça devait être un parti qui devait porter l’exemplarité à un niveau jamais atteint par les autres partis. On a échoué et il faut qu’on y revienne.

Vous comptez jouer un rôle dans cette refondation ?

Ça importe vraiment peu. Je n’ai pas d’ambitions…

On parle pourtant de vous comme futur secrétaire général…

Je ne suis pas candidat. Et je pense qu’il ne faut pas qu’on ait de candidat. Si on se met à parler de candidature, on va tomber dans les petits égos, alors que, pour moi, le projet du PAM est tellement important qu’il faut faire fi de ces considérations. Il y a aujourd’hui un secrétaire général par intérim, le conseil national est libre de le reconduire ou pas. Le prochain conseil national devra surtout se concentrer sur l’avenir du parti. Et arrêter de focaliser sur la carrière de certaines personnes.

Cette refondation est-elle votre manière à vous de réagir au discours du trône et ses critiques acerbes envers la classe politique ?

Le discours royal a été très pertinent parce qu’il a fait un constat sur la réalité du pays. Ça donne à réfléchir. C’est une réalité que nous-mêmes avons déjà constatée. J’espère qu’il y aura une prise de conscience chez les autres partis.

Si la classe politique ne fait plus l’affaire comme l’a affirmé le roi dans son discours, quelle serait l’alternative ?

L’alternative, c’est ce que le PAM est en train de faire par exemple. C’est quand même le seul parti qui s’est remis en cause. J’espère que tous les autres vont le faire. Il n’y a pas d’autres alternatives à la classe politique. Je n’en vois pas.

Les technocrates, on en parle de plus en plus…

Pour moi, ce n’est pas une alternative. C’est la porte ouverte à la catastrophe. Une vie politique, c’est fait de ce que j’appellerai les intermédiaires sociaux. Et un technocrate n’est pas un intermédiaire social. Un technocrate c’est quelqu’un qui peut donner quelques idées, mais s’il y a un problème dans la rue, ce n’est pas lui qui descendra le régler. C’est justement le rôle des partis, et c’est pour cela que le souverain les a interpelés.

Puisque le rôle d’intermédiaire n’est pas assuré, autant avoir l’efficacité du technocrate, soutient une partie de l’élite économique du pays. Qu’en pensez-vous ?

Je comprends ce que vous dites, mais je veux pouvoir penser qu’on peut avoir à la fois l’efficacité et la représentation politique. Ce serait sinon une exception marocaine. Dans tous les pays démocratiques, ces deux points sont liés. Une vie politique, ça se construit sur le long terme. Et les crises, ça sert à reconstruire. Ce n’est pas parce qu’on vit une crise de représentation politique qu’il faille tout éliminer.

Pour certains politiques, le PAM fait justement partie du problème…

Ça, c’est des formules. Je peux en avoir plein comme ça, mais ça n’apporte rien au débat. Ce qui est important, c’est de s’affronter sur des projets et des idées. Les invectives, le PAM en a faites pendant longtemps et c’était une erreur. Je ne vais donc pas jouer à ce jeu. L’enjeu aujourd’hui, c’est de ramener le citoyen à l’isoloir. Cet acte serait la preuve d’une nouvelle crédibilité du paysage politique.

Le RNI a pratiquement le même discours moderniste que vous et dit vouloir représenter un courant de la société qui ne vote pas. Vous êtes sur le même projet finalement ?

C’est peut-être le même projet. Maintenant, il faut qu’on éclaircisse un point. Si on se confronte à un projet conservateur, on ne peut pas être dans le même gouvernement que lui. Chez nous, les choses sont claires. Et on l’a dit en amont. Il faut plus de clarté vis- à-vis de l’électeur. Il y a deux projets de société qui s’affrontent. S’ils sont dans le même gouvernement, alors il faut dire que c’est un gouvernement d’union nationale. Je ne veux pas m’immiscer dans les affaires du RNI, mais s’ils ont le même projet que nous, et c’est peut-être le cas, il faudrait que ça soit un seul projet dans ce cas-là.

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