"Sexe et mensonges": les témoignages de Marocains après la lecture de la BD de Leila Slimani

Alors que le dernier ouvrage de Leila Slimani sur la vie sexuelle au Maroc fait débat en France, Telquel.ma a fait réagir des Marocains de tous âges et toutes classes sociales à des passages de son adaptation en bande dessinée. Réactions.

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Le roman graphique "Paroles d'honneur", de Leila Slimani, compile plusieurs témoignages d'hommes et de femmes marocains qui racontent leurs expériences sexuelles.

Par Margaux Mazellier et Sarah Cheriet

Des rires gênés, le rose qui monte aux joues, des réponses passionnées, des regards brûlants, de la colère aussi parfois… Lorsque nous avons demandé à des Marocains de différents horizons, croisés dans la rue, à la terrasse d’un café ou à l’ombre d’un arbre, de lire des passages de la bande dessinée de Leila Slimani, « Paroles d’honneur« , chaque réaction disait quelque chose de ce qu’est la vie sexuelle au Maroc aujourd’hui.

Publié mercredi 6 septembre en France aux éditions Les Arènes et disponible le 12 septembre prochain au Maroc, ce roman graphique est une adaptation du dernier ouvrage de l’auteure paru le même jour, « Sexe et mensonges- La vie sexuelle au Maroc« . L’ouvrage, mis en image par l’illustratrice Laeticia Coryn, compile plusieurs témoignages d’hommes et de femmes d’âges et de milieux variés racontant leurs expériences, mais aussi leurs peurs et leurs échecs.

Autant de récits qui permettent à l’auteure d’interroger les contradictions de la société marocaine concernant les libertés sexuelles des Marocains. Telquel.ma est donc parti sillonner les différents quartiers de Casablanca pour faire réagir les Marocains à certains passages. À leurs tours, ils nous ont donné leur vision de la sexualité et nous ont raconté leur expérience.

Clitoris et masturbation

p23

Kawtar, 20 ans, Hay Mohammadi: « La masturbation c’est mal pour le corps, car il peut y avoir des maladies sexuelles. J’ai appris ça à l’école et puis c’est ce que dit notre religion. Et puis toute relation en dehors du mariage est haram. Les gens n’ont pas envie de se marier donc ils font ça. Mais pour moi, c’est choquant et je ne suis pas d’accord avec cela ».

Rim, 17 ans, Sidi Bernoussi: « Dans une société musulmane, ce n’est pas acceptable, mais moi je trouve que c’est hyper normal de se faire plaisir en se masturbant. Comme elle le dit dans la BD, en plus c’est gratuit et tu peux le faire toute seule. Je crois que si on n’a pas envie d’avoir une relation sexuelle, on peut se masturber ».

Khalil, 42 ans, Maarif : « Moi je pense qu’il vaut mieux que les jeunes se marient pour éviter les rapports sexuels non halal. Moi je n’aime pas le préservatif, ça enlève toute sa saveur au sexe. Alors j’ai décidé de me marier à 21 ans. Bon j’avais essayé avant ça de coucher avec des prostitués… »

Afaf, 23 ans, centre-ville: « Je n’ai jamais essayé. C’est interdit par notre culture et notre religion et puis je n’en ai pas envie. Je suis vierge et le sexe n’est pas vraiment important pour moi. Si je dois me masturber, ce sera après le mariage, c’est tout. Mais si des copines à moi le font, je ne serai pas choquée. Chacune fait ce qu’elle veut. Mais croyez-moi la plupart des filles qui le font n’oseront jamais vous le dire! ».

« Tout le monde baise, l’important c’est de le faire discrètement ».

p24

Khalil, 42 ans, Maarif  : « Vous savez dans le temps, même les prostituées mettaient des jellabas. On voyait juste leurs chevilles et leurs pieds nus. Je vous promets que ça suffisait pour qu’on coure pour aller se masturber! »

Hajar, 19 ans, Sidi Moumen : « Personnellement, je suis contre le fait que les femmes voilées se comportent de la sorte. Souvent celles qui le font ne le font pas par plaisir, mais par nécessité. Pour l’argent quoi. Et je suis contre la prostitution ».

Rim, 17 ans, Sidi Bernoussi : « C’est vrai. Tout le monde couche, mais personne ne l’admet. Au Maroc, tout le monde a un double visage. Un avec sa famille et l’autre avec ses amis. Je suis contre cela et je crois que l’on doit assumer ses actes. On ne le fait pas, car on sait que la société et notre famille vont nous blâmer, mais ce que font ces filles, c’est tout à fait normal! »

« Je ne me marierai qu’avec une vierge »

p28

Meryem, 20 ans, ancienne médina : « Pour moi perdre sa virginité avant le mariage n’est absolument pas un problème. Il faut juste que l’homme soit compréhensif. Ceci dit, c’est valable pour les filles propres hein, pas les prostituése! ».

Soufiane, 17 ans, Sidi Moumen :  » Il ne faut pas toujours juger une fille en fonction de sa virginité, car on ne connaît pas son passé. Si elle a perdu sa virginité par volonté c’est mal, mais qui sait peut-être qu’elle a été violée ! ».

Zouhair, 19 ans, Sidi Othmane : « Il la juge parce qu’elle n’est pas vierge. Moi je ne ferais jamais ça. Je suis musulman donc je préférerais que ma future femme le soit. Mais si elle ne l’est pas et que je l’aime, je peux l’accepter sans problème.

Majda, 17 ans, Belvédère : « Être vierge ou non c’est la même chose. Moi je le suis encore, mais cette question ne me préoccupe pas du tout. Ce mec est un sale égoïste. Je le déteste, c’est un playboy comme on en rencontre tous les jours ici ».

Hakima, 48 ans, Maarif : « Pour moi, la virginité n’a pas d’importance. Ce qu’il faut regarder c’est la personnalité. La fille est-elle instruite, vient-elle d’une bonne famille ? C’est ça qui compte! La virginité, les jeunes s’en soucient de moins en moins et ils ont raison. Et puis ce qu’ils ont mis dans la dernière case, c’est faux. Une fille qui n’est pas vierge peut se marier et une vierge peut flirter. D’ailleurs, on peut faire l’amour sans perdre sa virginité, c’est bien connu! ».

 

Obligés de flirter en cachette p30

Doha, 22 ans, Hay Inara : « On ne doit pas se cacher juste pour être tranquilles avec nos mecs. Il faut qu’on lutte toutes contre ça et qu’on le fasse dans l’espace public, car c’est notre droit. Cette pression sociale est vraiment hypocrite et il faut savoir qu’elle s’applique surtout aux classes sociales les plus pauvres ».

Meryem, 22 ans, Sidi Moumen : « On est obligés de se cacher, car dans notre société tout le monde peut jouer les gardiens de la moralité. Quand on est au café, les serveurs jouent le rôle des policiers. Ils humilient les couples dès qu’ils sont un peu trop tactiles ».

Hakima, 48 ans, Maarif : « Regardez dans ce café et en face de vous… Vous voyez des couples flirter ? Non. Même si ça s’est un peu démocratisé, les gens doivent encore se cacher. Les gens ont peur de se faire insulter, qu’on parle d’eux en mal après. Et ici une femme qui a mauvaise réputation aura du mal à se marier. On ne dira pas d’elle qu’elle est une fille bien ».

Le voile nous protège des « animaux »

p84

Abderezzak, 35 ans, Marché Central : « Moi ma femme n’est pas voilée, mais ça n’empêche pas que c’est une femme bien, hein ».

Jihane, 28 ans, Sidi Bernoussi : « Je suis tellement d’accord. Je sens que le voile me protège du regard des hommes. Avant, je n’étais pas voilée et toute la journée les mecs venaient me déranger. Alors que je portais juste un jeans et un tee-shirt ».

Abdulaziz, 35 ans, Maarif : « La femme voilée est plus respectée que celle qui ne l’est pas. Il est beaucoup plus facile d’aborder une femme qui est tête nue. La deuxième, avec son voile, porte le signe d’une certaine personnalité et lèvera toujours le drapeau de l’islam ».

Khalil, 19 ans, El Jadida : « C’est vrai que le voile protège les femmes des pulsions des hommes. Dès notre enfance on apprend aux filles à se cacher. Même si on nous apprend à respecter nos mères et nos soeurs, il y a quand même beaucoup de malades ici. Prenez l’exemple de la fille qui s’est fait violer dans le bus! On n’a pas le droit d’avoir de relations sexuelles avant le mariage donc pendant toute notre adolescence et notre vie de jeune adulte. Forcément ça crée des frustrations qui dégénèrent… »

Majda, 17 ans, Belvédère : « Pourquoi il n’y aurait que les hommes qui pensent au sexe? Ce n’est pas vrai, il y a des femmes qui adorent ça aussi. Ce n’est pas mal d’aimer le sexe. Ni pour un homme ni pour une femme ».

Le poids de « la hchouma »p95

Kawtar, 36 ans, centre-ville : « Les femmes marocaines commencent seulement à parler de leur sexualité. Je peux vous dire que 80% des femmes marocaines n’ont pas leur plaisir avec leur mari. Pour elles, l’acte sexuel est un ‘devoir’. Il faut qu’une éducation sexuelle se fasse dans les lycées, à la fac, et dans les centres de santé, car il y a souvent de la fausse information ».

Oumaïma, 23 ans, centre-ville : « Les mentalités doivent changer. L’homme marocain est un peu agressif. Le problème central c’est ce changement des mentalités, car je crois que quelqu’un de sage et de mature ne serait pas violent et saurait s’occuper de sa femme ».

Salah, 28 ans, Tiznit : « Un homme qui frappe sa femme devrait faire preuve de retenue. Ils doivent prendre soin l’un de l’autre. S’il y a de la violence, il n’y a plus de relation. Vous savez, la femme a souvent plus peur de ce que la société va penser d’elle que de son mari ».

Malak, 22 ans, Sidi Othmane : « L’homme ne doit pas frapper sa femme, hchouma ou non. Pour moi ce n’est pas normal. Si la situation empire et qu’il y a des problèmes au sein du couple, la femme doit le quitter. À mon avis, dans ce cas-là ça n’est pas « haram » de divorcer. L’homme lui doit le respect, c’est tout ».

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sexe et mensonges

Le roman graphique « Paroles d’honneur », ainsi que l’essai « Sexe et mensonges – La vie sexuelle au Maroc », paraîtront dans les libraires du Maroc le 12 septembre prochain.[/encadre]

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