Décret sur le travail domestique: les mineures sont-elles vraiment protégées ?

Présenté ce jeudi au Conseil de gouvernement, le décret d'application de la loi 19-12 sur le travail domestique fixe la liste des travaux interdits aux mineurs. Un "jeu de cache-cache" selon les associations.

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L’un des décrets présentés ce jeudi 3 août au Conseil de gouvernement concerne les quinze travaux dangereux interdits aux travailleurs de 16 et 18 ans, rapporte Medias24. Une liste complémentaire à celle figurant dans l’article 6 de la loi 19-12 sur le travail domestique.

Parmi les points supplémentaires du décret, on retrouve la manipulation de produits ménagers, l’utilisation des appareils électriques, le repassage ou l’utilisation du matériel de jardinage (voir encadré). D’un premier abord, cette liste d’interdictions paraît longue et complète, reprenant toutes les tâches effectuées par les travailleurs domestiques dans une maison.

« On joue à cache-cache« , dénonce Omar El Kindi, membre du collectif pour l’éradication du travail des « petites bonnes » (CETPB). « Un mineur devrait tout simplement ne pas travailler dans une maison« . Une position qu’approuve Bouchra Ghiati, présidente de l’association INSAF de défense des droits des enfants. « Ce décret est contradictoire à la loi de décembre 2016 contre la traite des êtres humains où est inscrite l’interdiction de l’exploitation des mineurs, qui est fortement condamnée jusqu’à des peines de prison. Nous demandons une homogénéisation des lois« , s’indigne la militante.

Lire aussi : Travail domestique: l’association Insaf réclame l’interdiction immédiate de l’exploitation des mineurs

En outre, les deux militants s’accordent le problème de l’applicabilité de ce décret. « Le contrôle du travail dans les maisons est confié aux inspecteurs du travail qui ne sont pas suffisamment nombreux et qui ne sont pas formés pour le faire« , s’alarme Omar El Kindi. « De toute façon, ils ne pourront pas rentrer dans les maisons, qui sont inviolables », renchérit Bouchra Ghiati. « À part s’il y a une plainte et une ordonnance du juge qui le permette, il est impossible de rentrer dans un domicile. Mais les jeunes filles de moins de 18 ans ne peuvent pas porter plainte« , s’agace-t-elle. Pour la présidente de l’association INSAF , « c’est infaisable et impraticable« .

Les associations reprochent également au texte l’absence de dispositif pour gérer la situation des domestiques mineures. « C’est comme si elles n’existaient pas. Par exemple, rien n’est prévu pour les raccompagner dans leurs douars d’origine si elles sont jetées à la rue. Que vont-elles faire si les familles pour qui elles travaillent les congédient, de peur de payer une amende ou de faire de la prison? », s’offusque Bouchra Ghiati.

Un contrat type encadré

Le décret sur le travail domestique des mineurs est présenté en même temps que celui sur le contrat type des travailleurs domestiques. Toujours selon Medias24, les termes de ce contrat type précisent l’obligation de mentionner la nature du travail, la période d’essai de 15 jours pour les CDD et les CDI, les 48 heures hebdomadaires pour les majeurs (40 heures pour les 16-18 ans), le salaire à 60% du Smig et 24 heures continues de congé hebdomadaire obligatoires. « Ce contrat est minimaliste », estime pourtant la présidente de l’INSAF qui relève surtout le faible salaire et les congés insuffisants.

Une loi encore loin d’entrer en vigueur

Ces deux décrets sont un premier pas vers l’application de la loi 19-12 sur le travail domestique qui a été votée en juillet 2016 et publiée au Bulletin officiel un mois plus tard. Cependant, ils ne sont pas suffisants. « La loi entre en vigueur un an après la publication des trois décrets, mais les autorités ont déjà pris une année de retard« , explique Omar El Kindi. « Il manque un troisième texte, concernant la couverture par la CNSS des travailleurs domestiques« , rappelle le militant.

L’approbation de ce décret risque de prendre du temps: il n’est pas dans les compétences du ministère de l’Emploi qui va devoir se coordonner avec le conseil d’administration de la CNSS pour élargir la couverture aux travailleurs de maison. « Alors que l’article 6 de la loi prévoit encore une période de transitoire de cinq ans une fois que la loi sera entrée en vigueur, les petites filles exploitées de 16 à 18 ans vont encore attendre longtemps« , conclut Omar El Kindi.

Lire aussi : Travail domestique: Les mineurs resteront sur le marché du travail encore cinq ans

La liste complète des 15 travaux interdits aux mineurs, selon Medias24

  • Manipuler des produits ménagers et autres détergents contenant des composants chimiques dangereux;
  • Utiliser des appareils électriques ou tranchants;
  • Nettoyer les chauffe-eau, les cheminées, les devantures des maisons et travailler en hauteur;
  • Repasser le linge;
  • Dispenser des soins et manipuler des produits médicamenteux;
  • Côtoyer de près un membre de la famille atteint d’une maladie contagieuse;
  • Conduire un véhicule pour les besoins de l’employeur;
  • Conduire tout engin, même ceux qui n’exigent pas de permis;
  • Manipuler des produits chimiques, des insecticides… jugés dangereux;
  • Utiliser les tondeuses, les scies… ;
  • Utiliser le matériel de jardinage,
  • Examiner, réparer la pompe à eau ou toute autre machine dangereuse;
  • Faire des travaux d’entretien de la piscine, du puits  de plus d’un mètre de profondeur ainsi que ceux des réservoirs d’eau à usage domestique ;
  • Garder la maison.

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