Diplomatie: Fadel Benyaich passe de Madrid à Bucarest, un déclassement?

Mohammed VI a nommé 13 nouveaux ambassadeurs lors d’un Conseil des ministres très attendu. Dans le lot de ces nominations aux airs de jeu de chaises musicales, un nom retient l’attention: celui de Fadel Benyaich qui quitte Madrid pour Bucarest, une destination moins cotée.

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Crédit: Rachid Tniouni

Une décision, prévue de « longue date » et prise en « haut lieu« , nous assurent nos sources. Pourtant, la nomination de Fadel Benyaich à l’ambassade de Roumanie, alors qu’il occupait jusque-là le très prestigieux poste d’ambassadeur du Maroc à Madrid – où le remplace sa sœur, Karima Benyaich -, a de quoi étonner.

En termes de poids diplomatique, la capitale du premier partenaire économique du royaume n’a pas la même envergure que le pays d’Europe de l’Est. Faut-il pour autant y voir une « sanction » à l’encontre de l’ancien camarade de classe de Mohammed VI?

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De prime abord, la « mutation » de Fadel Benyaich pourrait s’expliquer par la rotation du corps diplomatique marocain prévue depuis février 2016. Lorsqu’à Laâyoune, à l’issue d’un conseil des ministres, le gouvernement annonce la nomination de 66 nouveaux ambassadeurs, Karima Benyaich est pressentie à Rome pour remplacer l’ancien ministre Hassan Abouyoub. Pour la remplacer à Lisbonne, le nom d’Othmane Bahnini, second de la princesse Lalla Joumala à Londres, circule. La rumeur est confirmée à l’issue du Conseil des ministres du 25 juin, lorsque Bahnini est nommé ambassadeur du Maroc au Portugal.

Ce jeu de chaises musicales préfigurait un shift important au niveau des représentations diplomatiques, mais cette rotation d’effectif ne justifie pas, à elle seule, la réaffectation de Fadel Benyaich. C’est que l’homme qui a rejoint le corps diplomatique en février 2014, en héritant de Madrid, a le bon CV pour la fonction. Il ne lui manque que le parcours diplomatique pour parfaire l’étiquette de Monsieur Espagne dont il peut se prévaloir sans peine.

En plus de sa proximité à l’époque avec le chef de l’État, le fils de l’ancien médecin personnel de Hassan II est hispanophone et sa mère est une Espagnole originaire de Grenade. De plus, il avait été chargé des dossiers ibériques au cabinet royal. C’est d’ailleurs en cette qualité qu’il est présenté à l’ancien secrétaire général du Parti socialiste espagnol, José Luis Zapatero, lorsque ce dernier visite le Maroc en décembre 2001.

Lors de la crise diplomatique maroco-espagnole au sujet de l’ilot Leila (2002), Fadel Benyaich est même chargé par Mohammed VI d’établir des contacts avec les responsables espagnols. À cette époque, il contacte l’ex-ambassadeur espagnol à Rabat, Arias Salgado, pour connaitre les intentions de José Maria Aznar, le chef du gouvernement ibérique à l’époque.

Peu de sorties médiatiques

Cependant, alors qu’il dispose des atouts pour rapprocher le Maroc et l’Espagne, le passage de Fadel Benyaich à Madrid n’a pas convaincu tout le monde. « L’Espagne est le seul pays avec lequel le Maroc mène des opérations sécuritaires conjointes. Alors qu’un ambassadeur aurait dû mettre en avant le fait que le Maroc protège la population espagnole, et par la même occasion rassurer les Espagnols au sujet du royaume, rien n’a été fait« , nous affirme Said Ida Hassan, ancien correspondant en chef de l’agence de presse MAP à Madrid.

Ce dernier se rappelle deux éditions du forum hispano-marocain de lutte contre le terrorisme et auquel l’ambassade n’avait pas pris part malgré la présence d’hôtes de marque dont le ministre de la Justice, Mohamed Aujjar, l’ambassadeur espagnol au Maroc, Ricardo Diez-Hochleitner Rodriguez, ou encore le juge antiterroriste espagnol Ismael Moreno.

De plus, « aucun intellectuel marocain n’a été convié à un quelconque repas à l’ambassade. Les personnalités du monde de la culture non plus alors que nous sommes invités par les ambassadeurs d’autres pays arabes afin de contribuer au développement de leurs relations avec l’Espagne« , regrette Said Ida Hassan.

Alors qu’il s’entretient avec les responsables de la sécurité espagnole, l’ambassadeur du Maroc en Espagne n’effectue aucune sortie médiatique au sujet des opérations sécuritaires menées par le Maroc. Sur le site de l’ambassade du Maroc en Espagne où sont recensées les sorties médiatiques de Fadel Benyaich, et dont la nouvelle version a été lancée lors de son passage à Madrid, 28 articles sont consacrés aux activités de l’ambassadeur lors de ces trois années passées au poste. Sur ces 28 articles, deux sont consacrés à la coopération sécuritaire entre les deux pays.

Le premier est une dépêche de l’agence de presse MAP consacrée à une réception organisée en l’honneur des délégations participant à la 8e réunion de la commission mixte militaire bilatérale qui s’est tenue les 24 et 25 avril à Madrid.

Le second concerne la signature d’une déclaration d’intentions sur la coopération judiciaire et policière  entre le Maroc et l’Espagne dans la lutte contre la cybercriminalité et le cyber terrorisme. Selon un spécialiste des relations hispano-marocaines, le passage de Fadel Benyaich à Madrid a surtout été marqué « par sa présence à Rabat ».

Dans un mandat marqué par la crise avec Ban Ki-Moon, celle de Guergarat ou encore l’adhésion du Maroc à l’UA, l’ambassadeur n’a effectué aucune sortie médiatique pour évoquer ces évolutions. Il entreprend de rares sorties publiques où il évoque le rôle du Maroc comme « pont entre l’Afrique et les mondes ibéro-américain et arabe« , et la nécessité pour le royaume « d’améliorer son image en Espagne ».

Des échanges en hausse

À la décharge du désormais ex-ambassadeur du Maroc en Espagne, on notera l’évolution des relations économiques entre les deux pays. Depuis 2012, Madrid est devenu successivement le premier fournisseur puis le premier partenaire commercial du Maroc. En attestent les 95,6 milliards de dirhams d’échanges atteints en 2014, selon une note publiée  par la Direction des études et des prévisions financières.

En 2017, les échanges commerciaux entre les deux pays continuaient de croître selon les données de la Commission européenne. Au premier trimestre, les exportations marocaines vers l’Espagne ont augmenté de 25,7% par rapport à la même période l’année précédente, tandis que les importations de produits d’origine espagnole ont augmenté de 17,2% durant la même période.

Fadel Benyaich a également contribué au rayonnement culturel du Maroc en Espagne à travers l’organisation d’une exposition baptisée « Voyage artistique à travers trois générations » où ont été exposées les oeuvres des artistes marocains Naima Aboulazhar, Abdel Aziz Lourhraz et Soufiane Bougrin. Il a également œuvré, aux côtés du président de la Fondation nationale des musées Mehdi Qotbi, à l’organisation d’une saison culturelle marocaine en Espagne en 2019.

Une remplaçante soutenue par le roi

À l’issue de sa mission en tant qu’ambassadeur du Maroc à Madrid, Fadel Benyaich sera remplacé par sa sœur Karima. En poste depuis 2008 au Portugal, la diplomate est bien vue du côté de Lisbonne, en témoigne la demande effectuée par le président portugais au roi Mohammed VI de la maintenir à son poste lors de sa visite au Maroc en juin 2016 selon une source proche de la diplomate.

Une visite qui fait office de point culminant pour le travail effectué par Benyaich au Portugal où la diplomate a multiplié les rencontres entre représentants des deux pays, et s’est distinguée par ses interventions médiatiques où elle fait la promotion du royaume.

Diplômée en économie, Karima Benyaich fait partie des ambassadeurs passés par la case ministère des Affaires étrangères où elle a notamment été directrice de la coopération culturelle.

Après avoir décliné le poste d’ambassadeur « pour des raisons familiales« , Karima Benyaich a finalement cédé à la demande du roi Mohammed VI. « C’est le roi qui a insisté auprès d’elle afin qu’elle lance une carrière diplomatique internationale« , nous confie notre source proche de la future représentante du Maroc en Espagne. Si sa nomination est entérinée par Madrid, elle deviendra la première femme à occuper le poste d’ambassadeur chez nos voisins du Nord.[/encadre]

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