Comment sortir de la crise d'Al Hoceïma? Des sages nous exposent leurs solutions

Les affrontements entre manifestants du Hirak et forces de l’ordre s’intensifient, menant à une impasse dont les politiques n’arrivent pas à sortir. TelQuel a sondé une dizaine de sages, chercheurs, acteurs politiques ou de la société civile, sur leurs solutions  à cette question qui interpelle le reste du Maroc.

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Crédit: AFP

Mettre fin à la gestion sécuritaire

La réaction de l’Etat a été de se crisper après avoir laissé pourrir la situation pendant huit longs mois. Ce réflexe pavlovien, hérité des années de plomb, est devenu inefficace car “il est fini le temps où l’Etat impose aux acteurs sociaux la paix sociale par la répression”, explique le sociologue Abderrahmane Rachik. D’autant que l’usage de la force est de plus en plus disproportionné si on le compare à la nature des formes de protestation. “Les mouvements sociaux sont dans leur écrasante majorité pacifiques, les quelques dérapages contre les forces de l’ordre sont le fait essentiellement de ‘casseurs’ ”, ajoute Rachik, qui a analysé la nature des contestations au Maroc depuis 2005 dans son dernier ouvrage La société contre l’Etat. Hélas, les autorités continuent de réagir le nez collé dans leur vieille grille de lecture. La condamnation de 32 militants du Hirak à de lourdes peines allant jusqu’à 18 mois de prison ferme est venue le confirmer. En réaction, les manifestants pourraient se radicaliser et recourir de plus en plus à la violence. Ce qui ne ferait qu’alourdir le bilan du nombre de 298 policiers blessés, jusque-là, par jets de pierre depuis fin octobre 2016.

Libérer les leaders du Hirak

La libération des figures du mouvement rifain est un préalable pour mettre fin à la tension entre l'Etat et les manifestants.Crédit: AFP
La libération des figures du mouvement rifain est un préalable pour mettre fin à la tension entre l’Etat et les manifestants.Crédit: AFP

La libération des figures du mouvement rifain est un préalable pour mettre fin à la tension entre l’Etat et les manifestants. Cet avis est partagé par tous les intervenants de ce dossier. D’autant que c’est parmi eux qu’il faudra puiser les représentants des contestataires, amenés à s’asseoir à la table des négociations. Ce casting est devenu obligatoire car, à part ces leaders, les manifestants rejettent toute autre intermédiation, qu’elle vienne du gouvernement, des élus, des syndicats, etc. Quant à l’objet des négociations, il ne devrait pas poser problème puisque les manifestants ne “remettent pas en cause la nature du régime”, relève Mohamed Bensaïd Aït Idder, figure de l’extrême gauche. Ils n’ont pas de “désir de sécession”, ajoute l’ex-secrétaire général du PAM, Mohamed Cheikh Biadillah. “Le cahier des doléances est bien connu, il est d’ordre socioéconomique. Il a été élaboré dans la rue à Al Hoceïma, lors des meetings. C’est une bonne base de travail”, souligne Salah El Ouadie, cofondateur du collectif de médiation dans le Rif, Al Moubadara.

L’intervention du roi en dernier recours

Il est patent de remarquer que la crise actuelle du Rif a mis en relief comme jamais la nécessité de régénération de la classe politique, dans ses élites comme dans ses attitudes”, relève Salah El Ouadie. La nature ayant horreur du vide, les manifestants ont demandé l’intervention de Mohammed VI puisqu’ils préfèrent parler à Dieu plutôt qu’à ses saints, rangés dans la case “tous pourris”. Le roi n’est pas encore entré en ligne, se contentant pour l’heure de communiquer via un porte-voix inattendu, Emmanuel Macron. Après s’être entretenu avec Mohammed VI, le président français a déclaré que le souverain était “préoccupé par le sort de cette région”. Espérant que cela se concrétise par une action, certains de nos sages jugent qu’un discours royal pourrait apaiser les esprits et ouvrir la voix à une solution dans le Rif. Ils craignent, cependant, que le souverain crée ainsi un précédent qui ouvrirait la voie aux interventions à répétition. Cela serait nuisible pour les institutions, qui doivent à l’avenir remplir pleinement leurs fonctions, grâce à un travail de longue haleine, pour rétablir la confiance dans le gouvernement, les partis politiques et les élus de la nation.

Reconnaître la mémoire

Admettre que la région a subi une répression récurrente depuis la guerre du Rif, et surtout s’en excuser, est un point non quantifiable sur le plan financier. Mais il a haute valeur symbolique pour les habitants. “Ce sera très difficile, l’Etat n’ayant pas pour habitude de faire son autocritique”, juge Mohamed Nesh-Nash, cofondateur d’Al Moubadara. Pourtant, la solution doit en passer par là, au risque d’être cosmétique. “Il faut crever l’abcès et récurer pour éliminer tout le pus accumulé”, préconise l’ex-secrétaire général du PPS, Moulay Ismaïl Alaoui. Pour lui, le Maroc ne peut pas, à l’heure actuelle, demander à l’Espagne et à la France de reconnaître leurs crimes de guerre pendant la guerre du Rif. Ceci au vu des relations économiques et diplomatiques fortes qui lient le royaume à ces deux pays. L’Etat peut par contre agir avec toute latitude dans le cas des exactions commises par les autorités marocaines. Les recommandations sont déjà là, formulées par l’IER. Il suffit de les appliquer.

Salah El Ouadie. Acteur associatif et cofondateur du collectif de médiation dans le Rif, Al Moubadara

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Pour construire une démocratie il faut en assurer le socle social

Aussi critiquables qu’elles soient, les institutions doivent continuer de fonctionner. Le roi est le garant du bon fonctionnement des institutions, il n’est pas tenu d’intervenir à chaque crise. Si intervention du roi il y a, il est nécessaire qu’elle touche le problème dans sa dimension nationale et non régionale. Sinon, le précédent créé imposera une intervention royale à répétition, chose que personne ne souhaite, ni les tenants du parlementarisme immédiat, ni ceux de la monarchie systématiquement exécutive. Il faut lier cette éventuelle intervention à la résolution radicale du problème de la crise de confiance dont pâtissent les différents outils de médiation et d’encadrement : les partis politiques, les syndicats et accessoirement certaines parties de la société civile. Car, s’il est incontestable que la personne du roi bénéficie de la confiance de tous, un régime démocratique naissant ne peut se contenter de cette seule donnée, aussi fondamentale soit-elle. Il est indispensable donc d’avoir aussi un champ politique partisan, dynamique et autonome. La démarche doit réponde aux doléances du Rif, tout en préfigurant la gestion future des conflits similaires, nécessairement en gestation, certains ingrédients du phénomène existant un peu partout au Maroc. Le Rif nous a fait parvenir un message on ne peut plus clair, valable dans tout le pays : pour construire une démocratie il faut en assurer le socle social, car il est désormais impossible d’en faire l’économie. Une autre clé  de la crise est essentiellement d’ordre moral plus que matériel. Le Rif a besoin de gestes symboliques très forts pour gommer les affres du passé. Le Rif, longtemps banni de la visibilité nationale lors des années de plomb, demande à revenir dignement au bercail. Il tient à nous de l’amener à regarder vers le sud au lieu qu’il ait les yeux rivés ailleurs. L’IER a entamé le processus de réconciliation, il faut le continuer et le faire aboutir. Jusqu’à présent, le musée Abdelkrim El Khattabi peine à voir le jour, cela aurait été pourtant un signal fort de réconciliation. Il n’y a qu’à jeter un coup d’œil sur les recommandations de l’IER concernant le Rif. Driss Benzekri y tenait beaucoup.

Mohamed Bensaid Ait Idder.  Ex-résistant et figure de l’extrême gauche

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Si on laisse la situation pourrir, cela pourrait devenir ingérable

L’Etat a opté pour la répression et ce n’est dans l’intérêt de personne. Je suis contre le quadrillage sécuritaire de cette région et les assauts contre les domiciles des Rifains pour arrêter les jeunes protestataires. L’Etat, avec sa justice et ses médias aux ordres, profère les pires accusations contre les jeunes du Hirak sans jamais leur donner la possibilité de s’exprimer. Or, il faut d’urgence libérer les détenus et ouvrir un débat avec eux dans les plus brefs délais. Nous devons leur faire confiance et leur donner des gages pour qu’ils fassent à leur tour confiance dans les appareils de l’Etat. Que ce soit sur une initiative royale ou non, il faut dialoguer dans le respect de la dignité des citoyens. Si, par contre, on laisse la situation pourrir, cela pourrait devenir ingérable, surtout que le Hirak s’étend de plus en plus à plusieurs autres régions du pays. Le gouvernement doit avoir le courage de sortir de sa léthargie. Est-il normal que le Chef du gouvernement soit aux abonnés absents ? Il doit exercer pleinement ses prérogatives inscrites dans la Constitution, ce qui ne nécessite pas une réforme de la loi fondamentale. Le Chef du gouvernement est le patron du ministre de l’Intérieur. Qu’il assume son rôle au lieu de laisser agir son ministre en électron libre ou, comme il semble, obéir à des directives venant d’ailleurs. Ce qui est anormal et surréaliste.

Mohamed Tozy. Politologue, directeur de l’EGE de Rabat

Mohamed Tozy RT 32

La justice doit renoncer au recours à des accusations disproportionnées

Beaucoup d’éléments subjectifs se télescopent dans l’histoire parfois douloureuse du Rif. Depuis La guerre du Rif de Germain Ayache, nous avons malheureusement peu de travaux sur la longue histoire de cette région, son rapport à l’État, son immigration… Ce grand vide de l’histoire laisse la place à des “entrepreneurs de la mémoire” qui la réinvestissent avec des intérêts actuels, en la dramatisant. Il laisse aussi la place aux médias pour amplifier cette subjectivité qui aggrave la situation. Ce n’est pas à l’État de prendre en charge ce déficit, mais les sciences sociales doivent réinvestir cette région. Les approches mémorielles sont importantes pour la paix, mais elles peuvent aussi créer un clivage, car forcément subjectives. À côté de cela, il faut une dimension analytique, une vraie évaluation indépendante des politiques publiques dans cette région pour, là aussi, faire la part des choses. Le Maroc dispose désormais des instances compétentes pour mener cette évaluation : le parlement, le CESE, le CNDH… Ces structures de gouvernance doivent à présent montrer leur intérêt, leur fonctionnalité et leur crédibilité par leur expertise et leur impartialité. Sur le plan politique, il faut voir le côté positif. En sept mois de mouvements sociaux, les incidents sont restés marginaux. Ça donne à voir des mouvements matures, nous ne sommes plus au temps des émeutes. De l’autre côté, il faut reconnaître un certain savoir des autorités publiques, là aussi, on est sorti des années 1960-1980. La justice doit aussi montrer qu’elle a évolué en renonçant au recours à des accusations disproportionnées et vagues. La chose très négative en revanche, c’est la grande crise du Maroc en général qui perdure : celle des médiations politiques, syndicales et même associatives. S’il y a une intervention royale, elle est à ce niveau-là, pour que l’État ait un médiateur, une figure reconnue, sage et indépendante. Une intervention hors du cadre institutionnel serait contre-productive. Le Maroc n’est pas menacé dans son intégrité, nous ne sommes pas dans un Printemps arabe. Le Maroc a construit depuis dix ans des processus d’ouverture, il faut démontrer leur sérieux aux gens pour qu’ils s’en emparent dans leur relation avec le pouvoir .

 

Mohamed Cheikh Biadillah. Ex-secrétaire général du PAM

Mohamed Cheikh Biadillah RT

L’urgence est d’engager un débat serein pour éviter les velléités d’indépendance

Ce qui m’inquiète, c’est cette épée de Damoclès qui consiste à accuser de séparatisme les jeunes du Hirak. J’en sais quelque chose puisque nous en avons souffert au Sahara au début des années 1970. En 1971-72, nous étions un groupe de jeunes que l’Etat n’a pas écoutés, ce qui a été le début d’un problème qu’on traîne toujours, quarante ans après la création du Polisario. L’urgence est donc aujourd’hui de calmer la rue et engager un débat responsable et serein pour éviter un possible développement de velléités d’indépendance chez les Rifains. L’équation est certes difficile car il y ceux qui veulent tordre le bras à l’Etat et, en face d’eux, ceux qui, au sein de l’Etat, répriment et arrêtent à tout-va. Mais cette équation n’est pas insoluble si chaque partie fait des concessions. Les leaders du Hirak n’avaient tout simplement pas à être arrêtés car c’est avec eux qu’il faut dialoguer. L’Etat doit accepter de parler avec ces nouveaux acteurs, militants à l’ère du tout digital. Sortir de l’impasse est d’autant plus urgent qu’il faut couper la route aux parasites et aux vautours qui surfent sur toutes les vagues pour se positionner, à l’image d’Adl Wal Ihsane.

Moulay Ismaïl Alaoui. Ex-secrétaire général du PPS

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Il faut mettre fin aux pratiques qui ont porté atteinte aux formations politiques

J’aurais aimé que tout soit réglé par une intervention royale, mais on serait tombé dans l’excès de pouvoir. Le souverain est tenu de respecter la Constitution, ceci étant notamment valable dans le cas des manifestants poursuivis. Le roi a le droit de grâce, mais il ne peut pas en user avant que la justice ait rendu son verdict. Il n’est pas tenu de répondre aux revendications personnellement, d’autant que ce serait se soumettre aux desideratas de certaines personnes. Ce serait de surcroît jeter l’opprobre sur son gouvernement, qui vient à peine d’être formé. La solution ne viendra pas non plus d’une réforme de la Constitution, qui n’a que six ans pour rappel. Pour être efficace, il faut en réalité mettre fin à certaines pratiques qui ont porté atteinte aux formations politiques censées représenter les électeurs et les structures d’encadrement. Ce qu’il s’est passé après les dernières élections législatives n’a fait qu’accentuer la perte de confiance des Marocains dans les institutions. La grâce royale pour les manifestants poursuivis et ceux déjà condamnés permettra à ces personnes de recouvrer tous leurs droits. Et notamment le droit de s’asseoir à la table des négociations. Ça, c’est la solution à court terme. Elle ne règle pas la question du long terme. Au-delà de la question du Rif et de son actualité brûlante, il y a les autres régions du Maroc qui ne sont pas intégrées car elles sont victimes de disparités spatiales. Nous sommes un Etat, mais pas encore un Etat-Nation.

 

Kenza Afsahi, Sociologue et auteure de Les producteurs de cannabis dans le Rif: étude d’une activité économique à risque

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Il faut un réel courage politique et proposer une trêve

Injecter des sommes d’argent dans le Rif ne suffit pas. Les créations économiques doivent être associées à d’autres dimensions : une représentation démocratique locale plus structurée, une bonne gestion des finances publiques en luttant contre la corruption, la garantie des droits fondamentaux comme l’accès à la santé et à l’éducation, et la préservation des ressources naturelles. Cette approche économique à court et à long terme doit aussi être subordonnée à celle du développement durable. La question de l’environnement est particulièrement importante, car la surexploitation des ressources naturelles par la pêche ou l’extension de la culture de cannabis constitue une réelle entrave au développement et une éventuelle source de conflit à venir à cause de la rareté de l’eau et de l’épuisement des sols. Que ce soit en milieu rural ou urbain, les populations doivent être associées à ces projets de développement qu’elles considèrent pour l’instant inadaptés à leurs besoins réels et qu’elles rejettent donc un à un. Par exemple, concernant le débat sur la légalisation de la culture du cannabis, qui touche une partie des espaces ruraux, les populations et les cultivateurs ont été écartés de l’élaboration du projet de loi. Dans les deux cas, les populations sont écartées des décisions. La répression des manifestants par des arrestations ou des intimidations renforce le sentiment d’exclusion. Chaque arrestation est une épreuve et impacte tout un entourage qui s’enfonce dans la clandestinité et la peur. Il faut au contraire établir un dialogue au sein duquel une population stigmatisée pourra s’exprimer en toute liberté pour proposer des initiatives. Il faut pour cela un réel courage politique et proposer une trêve, en faisant asseoir à une même table des représentants de l’État, des hommes politiques locaux, des entrepreneurs, des représentants de la société civile et les acteurs du Hirak, dont certains sont en détention. Dans l’histoire humaine, l’invention sociale est toujours passée par des situations inédites ou inouïes.

Fouad Ahidar. Vice-président d’origine marocaine du parlement de Bruxelles-capitale

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Pour refermer les vieilles blessures, l’Etat doit formuler des excuses aux Rifains

Pour sortir de l’impasse, il faut d’abord un dialogue. Le roi aurait dû mandater un émissaire spécial du Palais. Il ne peut pas intervenir à chaque fois, et si chacun faisait son travail, on n’en arriverait pas là, mais la situation est devenue tellement grave qu’il doit envoyer un signal fort cette fois-ci. Le problème s’est déjà étendu aux autres régions, on l’a vu lors de la marche de Rabat, le 11 juin. Pour dialoguer, il faut aussi accorder la liberté provisoire à Zafzafi et les autres prisonniers pour calmer le jeu et leur permettre de négocier. Ils seront jugés après, s’il y a vraiment des preuves. Ce dialogue peut aller très vite. Équiper l’hôpital d’Al Hoceïma avec des machines pour diagnostiquer le cancer, c’est une question de jours. Pour l’université, il suffit de louer une villa en guise d’annexe et se concentrer d’abord sur les filières importantes. Sur l’aspect économique, pourquoi les 73    entreprises marocaines les plus prospères en Afrique ne font-elles pas un effort ? Pourquoi les confitures Aïcha n’ouvrent-elles pas une succursale à Al Hoceïma ? Pourquoi Coca-Cola ne crée-t-il pas un hub pour la distribution régionale ? Pourquoi est-ce que c’est un Turc installé en Hollande qui loue un avion belge pour amener des Marocains vivant en Belgique à Al Hoceïma ? La diaspora rifaine va continuer à envoyer de l’argent aux familles au Maroc, mais Al Hoceïma doit devenir adulte. Pour que des investisseurs viennent au Maroc, il faut aussi en finir avec cette image d’une ville en guerre. Je devais accompagner des entrepreneurs belgo-marocains, ils ont peur. J’ai suggéré à l’Intérieur de faire appel à une entreprise de communication pour montrer qu’il y a aussi des gens qui travaillent, des gens qui vont à la plage, etc. Enfin, et surtout, il faut refermer les vieilles blessures encore ouvertes. En regardant un film comme Briser le silence sur les évènements de 1958-59, les Rifains se disent “Quoi ? Des gens de l’Istiqlal ont violé ma grand-mère ?”. L’État doit reconnaître ses erreurs, formuler des excuses. Il faut aussi que les politiques en finissent avec leur orgueil. Beaucoup refusent de dialoguer parce qu’ils ont été accusés de corruption ou insultés par tel ou tel militant.  Il faut qu’ils comprennent que c’est leur fonction qui est visée et non leur personne.

 

Driss Khrouz. Ex-dirigeant de l’USFP

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Les jeunes qui ont été arrêtés ne sont pas des criminels. Il faut les relâcher.

Le vide institutionnel et les maladresses des uns et des autres ont aggravé les choses. Les Rifains ne sont pas des sécessionnistes et il fallait gérer toute forme de débordements par le droit, la justice et la loi. Les jeunes qui ont été arrêtés ne sont pas des criminels et il faut qu’ils soient relâchés. Ils ont commis des erreurs, mais pas des fautes qui justifieraient leur incarcération et, pour cela, nous n’avons pas besoin d’une grâce royale. La solution commence à se profiler : le discours du gouvernement, qui reprend les choses en main, a changé. Je propose un audit de tous les projets lancés par Mohammed     VI depuis le tremblement de terre de 2004. Quant à une révision de la Constitution, je pense qu’on n’en a pas besoin. Il suffit d’appliquer les articles de la loi fondamentale de 2011, surtout en matière de régionalisation. Il est surréaliste de constater que les articles concernant cette régionalisation soient restés lettre morte depuis six ans. La démocratie n’a pas besoin d’autorité, mais de respect des institutions et de l’efficacité des relais locaux et régionaux, entre le pouvoir central et les populations du Rif. Le problème est politique : les jeunes manifestants posent des problèmes de corruption, de transparence et surtout de relais. Or, qu’ont fait les institutions de gouvernance qui devaient porter les revendications des Rifains ? Rien. Cela nécessite-t-il un engagement du roi ? Je ne pense pas, le souverain n’est pas un pompier. Il n’est pas là pour régler les problèmes de l’Exécutif, ni du législatif, ni du pouvoir territorial. Il est l’arbitre suprême et ni les institutions, ni l’unité nationale ne sont en cause. Je propose une commission d’enquête parlementaire composée des deux chambres avec la participation du CNDH.

Rahma Bourquia. Sociologue.

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L’appel à l’intervention du roi doit être compris comme un arbitrage entre les manifestants et une intermédiation estimée non crédible

La prise de parole par la jeunesse est un phénomène irréversible dans un processus démocratique. Il arrive que, dans les manifestations, apparaissent des dérapages et ce que les sociologues appellent “le voyageur clandestin”, mais ce qui a prévalu est le slogan “manifester pacifiquement” (silmya) pour des revendications légitimes d’une jeunesse aspirant à une vie meilleure. Les revendications des jeunes du Rif et des régions qui connaissent des problèmes similaires méritent une grande mobilisation pour leur trouver des réponses. C’est ce qui permettra de dévoiler et neutraliser le dessein du “voyageur clandestin”, qui ne partage pas les mêmes revendications mais qui est motivé par son projet idéologique. Ainsi, la libération des jeunes détenus ne devrait pas être perçue comme un geste de faiblesse, mais au contraire une force, pour dépasser la crispation et démontrer que la fonction inclusive de l’État est à l’œuvre. En s’emparant de l’espace numérique, en plus de la rue, la société s’est émancipée de la classe politique et refuse tout dialogue puisqu’on lui refuse la confiance et la reconnaissance. Avec le numérique comme médium, on s’adresse directement à l’État sans intermédiaire attitré. Le logiciel de la politique classique est devenu défaillant et seule une reconfiguration profonde est à même de renouveler la manière de faire de la politique. Or, on ne voit pas encore les prémices d’une remise en question de la classe politique. C’est pourquoi des voix demandent l’intervention du roi, en tant qu’acteur et symbole de l’unité de la nation. Ceci doit être compris comme un appel à un arbitrage entre les manifestants et une intermédiation estimée non crédible, car prisonnière de la lourdeur de la machine bureaucratique qu’elle a créée et qui la rend inefficace. Les manifestations pacifiques de toutes les villes marocaines, dont Rabat, en soutien à Al Hoceïma, ont une signification positive. Elles reflètent la maturité des Marocains dans la contestation, et leur capacité à se contenir pour la stabilité du pays. Il ne faut pas voir dans ce hirak une crise qui déroute, mais une crise qui devrait inciter la classe politique à se recréer et la société toute entière à réfléchir sur elle-même.

Mohamed Nesh-Nash. Ex-membre de l’IER et cofondateur du collectif de médiation dans le Rif, Al Moubadara.

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Il faut une reddition des comptes de la part des responsables de la situation d’isolement du Rif

Nous devrions normalement préserver le roi, mais son intervention est devenue nécessaire car le gouvernement et les partis politiques se sont auto-marginalisés. Mohammed VI doit faire tenir les promesses en matière de développement faites aux habitants et qui n’ont pas été concrétisées. Il faut aussi une reddition des comptes de la part des responsables de la situation d’isolement du Rif, région où les infrastructures sont absentes ou détériorées quand il y en a. Des gens doivent répondre de cela, sans retomber dans le cas de Mohcine Fikri où on a puni des lampistes et non pas les responsables du système de corruption autour de la pêche. Les négociations entre l’Etat et les manifestants sont un véritable casse-tête chinois. Pour le résoudre, il faut au préalable libérer les leaders du Hirak car ils ont la confiance des manifestants. Ce sont donc les seuls à pouvoir s’asseoir à la table des négociations. En face, puisque les protestataires n’ont aucune confiance dans le gouvernement, un comité de sages doit représenter l’Etat. Il doit être composé d’anciens hommes politiques qui n’ont plus rien à gagner en y participant, d’universitaires, de chercheurs, d’activistes des droits de l’homme et d’acteurs de la société civile. Pour entamer ces négociations sur des bases saines, le gouvernement doit présenter ses excuses officielles aux manifestants qu’il a accusés d’être des séparatistes. C’est une arme de propagande honteuse qui a été utilisée pour créer une ligne de fracture entre les Rifains et le reste des Marocains. Il faut aussi reconnaître la mémoire du Rif en appliquant les recommandations de l’IER sur ce sujet. Reconnaître le combat des Rifains pour l’indépendance du pays et les exactions dont les habitants ont été victimes peut passer par la création d’une chaire d’histoire du Rif à Al Hoceïma, des séminaires, des ouvrages historiques, la création de musées et la mise en valeur du patrimoine local lié à ces faits.

M’Hamed El Khalifa. Ex-membre de la direction de l’Istiqlal

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Un discours royal permettrait d’enclencher la sortie de crise

Pour commencer le travail de décrispation, il faut libérer les militants du Hirak actuellement détenus. La justice n’a pas besoin d’attendre une grâce royale ni même de passer par ce moyen. En tant qu’avocat, je peux vous dire que la solution est la liberté provisoire, qui peut être décidée par le juge d’instruction, voire le procureur. Ensuite, le roi devra tenir un discours à la nation. Pas besoin de multiplier les allocutions royales, un seul discours suffirait à apaiser les esprits et enclencher la sortie de crise. L’Etat a voulu jouer sur le facteur temps en réaction aux manifestations ayant suivi la mort de Mohcine Fikri. Les autorités ont laissé pourrir la situation, si bien que ce sont d’autres parties du Maroc qui sont en plein hirak, à en juger par la marche de Rabat. L’Etat n’a de surcroît plus aucun mécanisme de médiation, à savoir les partis politiques, les syndicats et la société civile, qu’on a sciemment neutralisés. Nous sommes sans pare-chocs ni fusibles désormais, qui voudriez-vous donc faire intervenir si ce n’est le roi ? C’est son devoir de par la Constitution. Il ne s’agit pas pour lui de tenir un discours bis du 9 mars, le contexte est différent et n’appelle pas à une réforme de la Constitution. Après ce discours royal, les autres organes de l’Etat devront passer à l’action, chacun selon ses prérogatives, dans le respect de la justice et de la loi.

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