Fatym Layachi- Patriotisme de salon

Par Fatym Layachi

Comme tous les ans, à la même pé- riode, le mois sacré amène avec lui son lot de polémiques, de ventres ballonnés et de séries à regarder toute la nuit. Ton rythme s’inverse petit à petit et ton alimentation est aussi incohérente que le mélange de bibelots qui trônent dans la bibliothèque de ta grand-mère. Et puis, surtout, tu ne fous pas grand-chose. Encore moins que d’habitude. Alors forcément les buzz, les polémiques et autres débats sur les réseaux sociaux te passionnent. Et comme à chaque fois, ici, tout le monde commente, tout le monde a un avis. En plus, cette année, ça dé- marre fort ! Force est de constater qu’il s’en passe des choses au plus beau pays du monde.

Et particulièrement dans une région que tu ne connais pas, qui est bien loin de ton petit univers urbain et aseptisé mais qui semble être devenue le centre du monde ces dernières semaines. Et ce soir, pendant ce ftour en famille, chacun essaie de comprendre comment cette région a pu s’embraser. Toi, tu te souviens surtout qu’il y a quelques mois, un pauvre type est mort broyé par une benne à ordures. Broyé par une benne à ordures, ça fait froid dans le dos quand même. Il n’y a pas besoin d’être fin politologue ou analyste en quoi que ce soit pour trouver ça d’une tristesse inouïe. Alors bien sûr ton oncle un peu reac’, légaliste de salon, tient à rappeler que le type était dans l’illégalité. Certes, mais ce joker de l’illégalité n’est de sortie que quand ça nous arrange. Au moment d’acheter la dernière saison de Game of Thrones ou un iPhone 7 à bas prix, tu n’en connais pas beaucoup qui dénoncent l’économie parallèle. Mais tu ne vas pas contredire ton oncle, alors tu te ressers un bol de soupe chinoise. Ta tante, elle, est très inquiète. Elle trouve que ces évènements sont très dangereux pour la stabilité du pays. La connaissant, tu te dis qu’elle est surtout très inquiète pour la stabilité de ses vacances, mais bon, elle se donne bonne conscience en prenant des airs de patriote. Elle passe ses journées à forwarder des drapeaux du Maroc sur WhatsApp et des cœurs “j’aime mon pays”. Esthétiquement, c’est un peu kitsch, mais comme toi aussi tu aimes ton pays, ça ne te dérange pas plus que ça. D’ailleurs, le patriotisme, tu trouves ça très bien, mais tu te dis que ça serait quand même mieux si c’était un truc quotidien. Tu trouverais ça plus utile pour la grandeur du pays si par exemple ta tante payait ses impôts et cessait d’essayer de magouiller pour tout payer au black. Toi, bien évidemment, à part lire des statuts Facebook, tu n’analyses rien.

Mais quand tu vois qu’une partie du plus beau pays du monde semble n’avoir ni universités, ni hôpitaux, ni train, ni offre culturelle, tu te dis que ce n’est pas très normal. Sauf que, bizarrement, autour de la table familiale, ça ne choque personne. Ce qui les choque en revanche c’est que ce soit encore un complot venant de l’étranger pour semer le trouble. Toi tu te demandes pourquoi à chaque évènement houleux on ressort la même rengaine de la main extérieure ? Est-ce parce qu’ici tout est forcément merveilleux et qu’il n’y a rien de critiquable ? Ton cousin finit d’avaler son batbout et propose une solution. Selon lui, il faudrait “cesser tout commerce avec cette région, avec ses séparatistes”. Toi, tu ne sais pas si les manifestants sont séparatistes, mais le discours de ton cousin l’est clairement par contre. Ta tante, qui trouve cette mesure brillante, exhibe avec fierté ce dessin qu’elle a partagé sur Facebook d’un mec qui se fait pendre et ajoute qu’il faudrait torturer ces traîtres. Là encore, à défaut de comprendre quoi que ce soit, tu te contentes d’espérer que le patriotisme ne rende pas aveugle ou inhumain.