Édito - Démocratie par procuration

Par Aicha Akalay

Quel que soit le visage qui s’affichera sur votre écran de télévision, dimanche 7 mai vers 19h, vous aurez les yeux rivés sur le poste. Les Marocains se passionnent pour l’élection présidentielle française. Il n’y a qu’à faire défiler votre fil d’activité de Facebook pour s’en convaincre. Mais si les intox de Marine Le Pen, la faiblesse du débat entre les deux candidats, le calme feint d’Emmanuel Macron… provoquent immanquablement un ouragan de commentaires sur “nos” réseaux sociaux, c’est d’abord par un curieux effet de procuration. Privés au niveau national d’un débat politique digne de ce nom — qu’on en juge par la première interview ratée de M. El Othmani —, les Marocains regardent avec envie les élections d’autrui. 

L’élection présidentielle française est aussi celle de beaucoup de Marocains, et ce constat est perturbant. Il l’est d’autant plus que nos élections se sont déroulées il y a six mois, sans débat et avec un abstentionnisme affligeant. On nous avance qu’il s’agit des restes d’un héritage colonial, le lien avec la France n’ayant jamais été coupé. Mais l’explication semble bien trop légère pour justifier un tel engouement, et ceux qui ont suivi le débat de l’entre-deux-tours n’ont pas tous étudié à la Mission française. L’engouement pour la vie politique d’un pays étranger n’est pas normal. En vrai, le scrutin français nous offre — dans une langue abordable — ce qu’on ne trouve pas chez les zaïms ni sur Al Aoula : un espace démocratique de substitution.

À défaut de participer par le vote, ces Marocains “consomment” de la démocratie devant leurs écrans. Ce serait faux de seulement considérer que ces citoyens marocains vivent hors sol. Il y a du dépit dans leur intérêt français. L’Histoire d’un pays se fait devant eux, avec un quatrième pouvoir puissant qui participe pleinement à cet événement et l’accompagne. Ce n’est pas le cas chez eux. La démocratie virtuelle est en marche. On ne vote plus, on like. Il y a même des “macronistes” marocains. C’est d’ailleurs un phénomène qui a aussi sévi lors des dernières élections législatives au Maroc. Les nombreux likes en marque de soutien à un petit parti de gauche ne se sont pas concrétisés dans les résultats du 7 octobre. Oui, cette démocratie des spectateurs est un dangereux leurre. 

Les électeurs français ont aujourd’hui un vrai choix à faire entre deux visions opposées du monde et deux projets de société. Emmanuel Macron est peut-être trop jeune et Marine Le Pen détestable, mais au moins les Français savent clairement à quoi s’attendre et qui sanctionner dans les prochaines années. Ici, jamais cette option n’a réellement existé. Les choix sont faits à la place des Marocains — analphabètes, dévots, et donc infantilisés —, et quand ces options s’avèrent critiquables, il n’y a personne à qui demander des comptes. Tout cela est parfaitement intégré par ces Marocains passionnés par la scène politique française. Et aussi médiocre et affligeant qu’ait pu être le débat entre les deux finalistes de la présidentielle française, vu du Maroc, il reste de très haut niveau. Des sujets de fond, des médias forts. Loin, très très loin de la réalité marocaine.