France: entre Macron et Le Pen, un débat présidentiel d’une rare violence

Deux candidats à l'élection présidentielle française aux programmes diamétralement opposés se sont affrontés lors d’un débat télévisé le 3 mai. Face à une Marine Le Pen agressive d’entrée de jeu, Emmanuel Macron a été forcé de "se salir" lui aussi.

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En matière de débat présidentiel d’entre deux tours, les Français s’accrochaient jusqu’à présent à quelques punchlines policées, échangées entre deux candidats finalistes à la présidence de la République. Lors du premier débat présidentiel télévisé français, en 1974, le « vous n’avez pas le monopole du cœur » de Valéry Giscard d’Estaing balancé à Frédéric Mitterrand avait fait date. Il aura sa vengeance en 1988 face à Jacques Chirac en lui rétorquant « mais vous avez tout à fait raison, monsieur le Premier ministre« . Plus récemment c’est l’anaphore « moi président de la République«  de François Hollande face Nicolas Sarkozy qui a marqué les esprits en 2012.

Le spectacle auquel ont assisté 19 millions de téléspectateurs le 3 mai au soir, au cours du débat opposant Emmanuel Macron et Marine Le Pen a été d’une tout autre nature. « Tendu« , « brutal« , « chaotique« , « pugilat » sont les mots qui reviennent le plus souvent dans la bouche ou sous la plume des commentateurs de la vie politique française, pour décrire le débat télévisé organisé à quatre jours du second tour de la présidentielle 2017.

Donnée perdante dans les sondages avec environ 40% des voix, la candidate d’extrême droite a mené, deux heures durant, une fronde inédite contre le candidat centriste. « Hollande junior, c’est mignon non? » s’amuse-t-elle pour le renvoyer systématiquement au bilan du quinquennat de François Hollande dont il a été ministre de l’Économie durant deux ans. « Vous cherchez à jouer avec moi à l’élève et au professeur, mais moi ça n’est pas mon truc », assène-t-elle encore, en référence à Brigitte Macron, professeure de son adversaire avant d’être son épouse. Plongée dans ses fiches, arborant un faux sourire agressif, invectivant, frôlant la diffamation, Marine Le Pen avait choisi comme stratégie de faire sortir Emmanuel Macron de ses gonds, plutôt que de détailler ses propres mesures politiques.

Fake news à la Donald Trump

Autre détail marquant dans la logorrhée de la candidate d’extrême droite, son utilisation de fausses affirmations qui n’est pas sans rappeler les fameuses « fake news » de Donald Trump aux États-Unis lors de sa campagne. Le quotidien Le Monde a recensé « Dix-neuf intox de Marine Le Pen dans son débat avec Emmanuel Macron« . Les contre-vérités de Marine Le Pen atteignent leur paroxysme, quand elle affirme qu’Emmanuel Macron était ministre au moment de la vente de SFR. La vente de l’opérateur téléphonique par Vivendi à Numéricable a été actée au printemps 2014, alors qu’Emmanuel Macron n’est devenu ministre de l’Économie fin août 2014. Emmanuel Macron s’est par ailleurs opposé publiquement par la suite au rachat de Bouygues par SFR-Numéricable. Une séquence surréaliste à (re)voir ci-dessous :

Au sortir du débat, Marine Le Pen déclare d’ailleurs à la presse: « je suis challenger, j’ai tout à gagner« . « En violant tous les usages de cette confrontation, en méprisant jusqu’à l’exigence de sincérité, Marine Le Pen a dévoilé ce que serait sa pratique du pouvoir, si par malheur, elle était amenée à l’exercer. Son but n’est pas d’échanger, mais d’abaisser. Sa stratégie n’est nullement de convaincre, mais de nuire. Son projet n’est qu’une entreprise de démolition« , lui répond le directeur du Monde Jérôme Fénoglio.

Se faire tailler un costume… de président

Visiblement surpris par l’agressivité d’entrée de jeu de son adversaire, Emmanuel Macron lui rétorque « vous n’êtes pas la candidate de l’esprit de finesse » ni « de la volonté d’un débat démocratique équilibré et ouvert« . Le lendemain sur l’antenne de France Inter, Emmanuel Macron confie avoir repensé à Jacques Chirac — qui en 2002 avait refusé de débattre au second tour avec Jean-Marie Le Pen — avant d’accepter le débat avec sa fille Marine Le Pen. Il a finalement accepté convaincu de la nécessité de « tordre le cou aux mensonges » du Front national, quitte à « se salir un peu« .

Face aux invectives de Marine Le Pen, Emmanuel Macron a effectivement dans un premier temps tenté de démonter point par point les attaques de son adversaire, y allant lui aussi de sa petite phrase, à l’instar de « ce que vous proposez, comme d’habitude, c’est de la poudre de perlimpinpin« . Dans un second temps, le candidat a tenté d’endosser le costume présidentiel en prenant de la distance et en tâchant de démontrer une maîtrise des dossiers face à une candidate approximative. Attendu sur le sujet de la monnaie européenne, Emmanuel Macron a insisté sur le fait que « l’euro protège » accusant Marine Le Pen de proposer un projet « mortifère pour le pouvoir d’achat, la compétitivité et la place de la France dans le monde« .

Selon un sondage mené auprès d’un échantillon de téléspectateurs interrogés à l’issue du débat, 63 % considèrent qu’Emmanuel Macron s’est montré le plus convaincant, contre 34 % pour Marine Le Pen. Selon d’autres sondages, c’est également le score qui devrait ressortir des urnes le 7 mai à l’issue du scrutin. Si la classe politique, à l’exception notable du candidat de « La France insoumise » Jean-Luc Mélenchon, a largement appelé à faire barrage à Marine Le Pen en mettant un bulletin Macron dans l’urne, de nombreux électeurs déçus au premier tour ne se retrouvent pas dans le programme du candidat au point de s’abstenir ou de voter blanc au second tour. Le scrutin ayant lieu la veille d’un jour férié en France, le phénomène d’abstention pourrait être accentué par l’absence des électeurs lors de ce week-end prolongé.

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