Mauritanie: bataille constitutionelle entre Mohamed Ould Abdel Aziz et l'opposition

Voici un an que le pays est enlisé dans une profonde crise institutionnelle. L'opposition cherche à tout prix à empêcher le président mauritanien de réformer la constitution.

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Crédit :DR

Dans un discours prononcé le 3 mai 2016, le président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz présente un projet de réforme de la constitution. Le chef d’État y fait part de sa volonté de supprimer le Sénat et de créer des conseils régionaux, mais aussi de changer le drapeau et l’hymne national. Mais depuis cette annonce le président Ould Abdel Aziz fait face à vive contestation orchestrée par les partis d’opposition.

Celle-ci se manifeste tout d’abord par la tenue d’une manifestation citoyenne organisée en octobre 2016 à la suite de laquelle Ould Abdel Aziz, qui en est à son deuxième mandat présidentiel, annonce qu’il ne se représentera plus. Des négociations sont alors entamées entre le gouvernement et certains partis d’opposition réunis sous la bannière du Forum national pour la démocratie et l’unité (FNDU), sans la participation d’une coalition de quinze partis.

Le FNDU réunit la formation islamiste Tewassoul, première formation d’opposition à l’Assemblée nationale avec 16 députés, et les dix partis de la Coordination de l’opposition démocratique (COD). Cependant, le rapport de force est déséquilibré. Avec ses alliés, la coalition au pouvoir compte 110 élus, contre seulement 37 du côté de l’opposition. Une nouvelle réforme est présentée à l’issue des discussions. Elle propose non seulement la suppression du Sénat, mais également de la Haute cour de justice, de l’instance du Médiateur de la République, et du Haut conseil islamique.

Le Sénat rejette le projet de réforme

Il est finalement décidé de soumettre la réforme au référendum. En janvier 2017, changement de programme. Le président annonce que le texte ne sera soumis qu’au vote des parlementaires. Une voie moins risquée, puisque la majorité est acquise au parti du président, l’Union pour la République (UPR). Le projet de réforme l’emporte facilement à l’Assemblée nationale le 9 mars, avec 121 voix sur 147. Cependant à la surprise générale, le 17 mars le projet de réforme est rejeté par le Sénat (33 voix défavorables sur 56). L’instance est pourtant elle aussi majoritairement composée de proches du parti au pouvoir.

Au lendemain du vote au Sénat, l’opposition se réjouit de « cette victoire du peuple mauritanien » dans les médias locaux. L’ancien chef de l’État Ely Ould Mohamed Vall allant jusqu’à demander que soit « gravé en or sur la coupole du Sénat le nom des sénateurs » qui ont voté contre le projet de modification de la constitution, rapporte le journal mauritanien Alakhbar. D’autres félicitent les sénateurs pour leur « courage » de s’être opposés au gouvernement.

Mohamed Ould Abdel Aziz ne semble pourtant pas l’entendre de cette oreille. Le 22 mars lors d’une conférence de presse, il déclare: « Je suis l’arbitre entre le peuple et les deux chambres. Je suis mandaté par le peuple mauritanien. Je ne vais pas laisser 33 élus indirectement prendre en otage le peuple mauritanien », rapporte le quotidien Alakhbar.

Finalement, quelques jours plus tard, il profite de l’interprétation de l’article 38 de la constitution en vertu duquel « le Président de la République peut, sur toute question d’importance nationale, saisir le peuple par voie de référendum » pour annoncer son intention de passer par cette voie. L’opposition s’indigne, jugeant que le contenu de la réforme de la constitution voulue par Mohamed Ould Abdel Aziz n’est pas « d’importance nationale ».

Nouvelle offensive des Sénateurs

Le 13 avril dernier, alors qu’il s’exprime dans le cadre d’un débat organisé par le FNDU, le sénateur de l’opposition Mohamed Ould Ghadda annonce qu’un quorum de sénateurs étudie la possibilité de traduire le président Ould Abdel Aziz devant la Haute cour de justice pour « haute trahison ». La même cour qu’il souhaite supprimer dans son projet de réforme.

« Seuls les parlementaires peuvent poursuivre le président de la République devant la haute cour de justice », nous explique Yahya Ould Ahmed El Waghef, ancien Premier ministre, désormais à la tête du parti d’opposition Adil, membre du FNDU. « Le pays a besoin d’unité, il faut soutenir ceux qui suivront cette démarche », souligne de son côté Mahmoud Lematt du parti d’opposition RFD.

La Haute cour de justice n’est pas constituée

Problème, si la Haute cour de justice est prévue dans la constitution du pays depuis 1991, la dernière fois qu’elle a été mise en place, c’était en septembre 2008. D’après l’article 92 de la constitution de la Mauritanie, elle est « composée de membres élus, en leur sein et en nombre égal, par l’Assemblée nationale et le Sénat après chaque renouvellement général ou partiel de ces assemblées. Elle élit son président parmi ses membres. Une loi organique fixe sa composition, les règles de son fonctionnement ainsi que la procédure applicable devant elle. »

Or, pour élire la cour, « il faut une majorité sur les deux chambres », commente Yahya Ould Ahmed El Waghef. Difficile d’envisager que les députés votent majoritairement pour la mise en place de cette instance, alors que la proposition de réforme, qui prévoyait sa suppression, avait remporté une victoire écrasante à l’Assemblée nationale.

D’ailleurs, le Sénat est lui aussi majoritairement composé de membres de l’UPR, « le FNDU est peu représenté, pour l’instant, il n’y a pas d’initiative formelle, mais si la Haute cour de justice était constituée, nous ne manquerions pas de soutenir une démarche des sénateurs », analyse Yahya Ould Ahmed El Waghef. « Jusqu’à ce jour, elle n’a jamais été mise en place par les différents gouvernements », nous rappelle-t-il. Dans une interview récemment accordée à RFI, Mohamed Ould Abdel Aziz a indiqué qu’il irait jusqu’au bout. « Nous pensons le faire dans quelques mois [le référendum NDLR] à la fin de l’été, probablement« , annonçait le chef d’État mauritanien.

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