Omar Saghi - C’est la flûte finale

Par Omar Saghi

On s’habitue à tout. On finit même par trouver à la plus loufoque des situations une raison d’être. Les vieilles démocraties occidentales ont enseigné au monde le jeu formel des élections régulières. De ces vieilles démocraties, deux en particulier, les États-Unis et la France, persistent dans une variante, l’élection présidentielle au suffrage universel direct (ou semi-direct dans le cas américain), qui prend désormais un aspect effectivement loufoque.

Très tôt, les promoteurs de la démocratie électorale se sont méfiés des perversions induites par l’élection présidentielle. Des mots sont consacrés à ces maladies de la démocratie : populisme, bonapartisme, démocratie plébiscitaire. Car une épreuve limitée dans le temps et qui se joue entre deux personnalités, deux appels à l’identification psychologique, ne peut qu’être chargée de périls.

Alors pourquoi des élections présidentielles ? Parce qu’on estimait que le jeu des partis peut fausser la volonté générale en la confisquant aux mains des élites politiciennes. Que les tractations entre partis sont autant d’occasions de contourner le peuple souverain, au profit d’une nouvelle aristocratie d’élus. Bref, l’élection présidentielle au suffrage universel direct est, bien que discutable, la meilleure expression de la volonté populaire. Cela est surtout vrai des grands pays. Aux États-Unis, système électoraliste par excellence, où la majorité des postes politiques et judiciaires, à tous les échelons, sont le fruit d’un vote, la dimension continentale du pays imposa très tôt l’élection présidentielle. Mais cet empereur élu qu’est le président américain est fortement entravé par le partage strict des pouvoirs, qui lui oppose des chambres indépendantes et régulièrement renouvelées.

En France, la situation est totalement différente. En 1848, l’expérience d’une élection présidentielle au suffrage universel direct déboucha sur la dictature de Louis-Napoléon Bonaparte. Un siècle plus tard, en 1958, la prise de pouvoir par Charles de Gaulle et la mise en place de la Cinquième République ont ajouté à la confusion. Face à une situation historique d’urgence, de Gaulle met en place un système politique se nourrissant de charisme et d’identification de masse. Malgré la culture démocratique du pays, malgré les contre-pouvoirs et le jeu des différentes élections nationales, le président élu de la Cinquième République se situe en position d’exception.

En 1958, devant l’urgence et les menaces insurrectionnelles, cette position exceptionnelle, et la personnalité du général de Gaulle, pouvaient justifier ces mesures de type dictatorial. Mais en 2017 ? Je parlais de situations loufoques. La scène des onze candidats à l’exception présidentielle débattant devant le peuple spectateur-souverain, mardi dernier, rappelle le mot de Marx sur l’histoire qui commence en tragédie et se répète en farce.

Quelle que soit l’issue de cette campagne française, quelque chose d’essentiel dans la Cinquième République est mort. Les deux partis principaux sont au bord de l’explosion, peut-être même ne figureront-ils pas au second tour, et le centre a ses chances. Avec Macron, un retour à la démocratie parlementaire de type Quatrième République est très probable : président, il devra gouverner avec une coalition compliquée, qui redonnera de l’importance au parlement. Et, rétrospectivement, on comprendra le rôle historique de François Hollande : le président normal aura permis de clôturer un demi-siècle d’exception gaullienne.