Mark Malloch Brown: "Des pays africains sont en avance sur les énergies renouvelables"

L’ancien ministre d’État britannique pour l’Afrique évoque le développement de l’Afrique, le Brexit et la lutte entre nationalisme et mondialisme dans un entretien accordé à Telquel.ma.

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Crédit: AFP
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Mark Malloch Brown est un homme aux talents multiples. Après avoir été journaliste pour The Economist, le sexagénaire s’est converti en spécialiste du développement opérant en tant qu’administrateur du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). À ce titre, il a notamment contribué à la mise en place du système des Objectifs millénaires du développement avant de devenir ministre d’État pour l’Afrique, l’Asie et les Nations Unies dans le gouvernement travailliste de Gordon Brown.

C’est en tant que président de la Business & Sustainable Development commission qu’il a participé aux travaux de la Fondation Mo Ibrahim qui se sont tenus à Marrakech. C’est dans la cour d’un palace de la ville ocre que nous retrouvons « Lord » Brown – il a été élevé à ce rang par la reine Elisabeth II – pour évoquer le développement de l’Afrique, le Brexit, mais aussi la lutte entre le nationalisme et le mondialisme.

Telquel.ma: Lors de votre intervention durant les travaux de la Fondation Mo Ibrahim, vous avez déclaré que la démocratie en Afrique connaissait une régression. Pour quelles raisons ?

Mark Malloch Brown: Il y a quelques années, il y avait une sorte d’essor démocratique dans le continent, mais ce processus a été ralenti récemment. Certains gouvernements et partis au pouvoir ont réussi à trouver des moyens de manipuler la nouvelle démocratie à leur avantage. Ils ont notamment impacté le processus électoral, utilisé les institutions au mépris de la loi et affecté la participation des citoyens. Même si, quantitativement, il y a bien plus de démocraties sur le continent, la qualité de ces démocraties a été réduite. Cela ne concerne pas seulement le continent africain. Les années 1990 étaient une période d’expansion des pratiques démocratiques, mais depuis, les démocraties sont devenues plus autoritaires. Les décisions du leadership se font au détriment du respect de la loi, des minorités et de la société civile. La démocratie est désormais plus contrôlée.

Comment stopper cette régression ?

Pour avancer, il faut améliorer la participation et intéresser davantage les jeunes au vote. Les partis politiques doivent répondre à certaines problématiques et ne pas être basés sur une identité ethnique ou un patronage commun afin qu’il y ait un débat animé autour des politiques publiques. Des questions comme celles de l’éducation ou encore les impôts doivent être au cœur d’un véritable débat préélectoral. Les gouvernements locaux doivent être plus impliqués tout comme les ONG. C’est le cas au Maroc où certaines ONG environnementales sont très impliquées. Quel que soit le pays, la construction des institutions et la garantie de leur indépendance sont primordiales.

Vous avez dirigé le PNUD, qui mène régulièrement des actions en Afrique. Pensez-vous que le continent dépendra indéfiniment des organisations internationales?

Des acteurs internationaux sont appelés à avoir des rôles plus importants dans le développement de l’Afrique. Par exemple, le secteur privé international, qui a toujours été présent, commence à se diversifier dans les domaines dans lesquels il est impliqué. L’investissement étranger joue un rôle de plus en plus important. La Chine, l’Inde, le Brésil ou le Japon disposent déjà de programmes d’investissements en Afrique. Les organisations internationales sont amenées à rester pour un moment, mais désormais on peut envisager une réduction des aides qu’elles accordent, et se tourner vers des partenariats.

Vous avez récemment déclaré qu’en adoptant des modèles de développement durable, les entreprises pouvaient créer 380 millions d’emplois à travers le monde et générer 12.000 milliards de dollars d’ici 2030. Pensez-vous que l’Afrique est capable de participer à cette révolution?

L’Afrique est la grande gagnante de cette révolution. Nous nous sommes concentrés sur quatre objectifs de développement durable à savoir le développement d’énergie durable, l’urbanisation et les questions autour de l’urbanisation comme la mobilité, l’agriculture et sa contribution à l’alimentation, et enfin le développement des systèmes de santé. Dans ces deux derniers domaines, une part significative des gains ira à l’Afrique. Il existe de grandes opportunités pour le secteur privé. Dans le domaine des énergies renouvelables, des pays africains sont à l’avance par rapport au reste du monde. Le Maroc est un leader dans ce domaine, mais il faut également prendre comme exemple des pays comme le Kenya ayant 70% d’énergies renouvelables dans le mix énergétique. Le soleil et les fleuves de l’Afrique peuvent enfin devenir des atouts énergétiques.

Le Royaume-Uni a récemment décidé de quitter l’Union européenne tandis que le Maroc a rejoint l’Union africaine. Quel regard portez-vous sur cette décision en tant qu’ancien ministre britannique des Affaires étrangères chargé de l’Afrique ?

L’un me ravit plus que l’autre! Je suis content que le Maroc ait rejoint l’Union africaine. Je fais partie des 48% ayant soutenu le maintien au sein de l’UE et je suis triste de cette décision de quitter l’espace européen. Je crois sincèrement que cela relève d’un déficit démocratique au sein de l’Europe. Les responsables européens sont perçus comme une bureaucratie, un establishment qui ne rend pas des comptes à la population européenne dans l’imagerie populaire.

Suite au Brexit, le Royaume-Uni pourrait-il favoriser un développement des relations avec les pays africains, ou sondera-t-il d’autres options ?

Le Royaume-Uni a tenu à renforcer ses liens avec les pays du Commonwealth. Les échanges Afrique-Royaume-Uni vont être boostés. Malheureusement, à travers le Brexit, le Royaume-Uni a tourné le dos à tous les efforts menés pour développer les échanges entre l’UE et l’Afrique. Ces accords sont difficiles à négocier que ce soit au niveau régional ou local. Les responsables britanniques semblent sous-estimer la difficulté de mettre en place des accords qui conviennent à toutes les parties.

Les directives relatives aux négociations concernant la sortie du Royaume-Uni et notamment la situation de Gibraltar ont récemment fait l’objet d’une controverse…

Le bon sens va prévaloir. Gibraltar reflète une situation qui, comme le problème irlandais et d’autres problèmes nationaux, aurait dû être résolue et absorbée par la superstructure européenne. Ce n’est pas le moment pour l’Espagne d’essayer de mettre en place un détachement de Gibraltar. L’Espagne devrait faire en sorte que les économies espagnole et gibraltarienne soient liées au point que la question de la souveraineté se dissolve. Ce problème aurait pu être résolu de manière plus rapide au sein de l’UE, mais je pense que le débat autour de cette question est une tempête dans un verre d’eau.

Dans une récente interview au quotidien The Independent vous affirmiez que le XXIe siècle serait marqué par la lutte entre mondialisme et nationalisme. Sommes-nous en train d’assister à la victoire du nationalisme ?

Non, je ne pense pas. La politique est une pendule qui va d’un sens à l’autre. Même si le nationalisme a remporté quelques victoires aux États-Unis ou encore au Royaume-Uni, le mondialisme sera toujours présent, car il permet d’augmenter le taux de croissance mondial et de trouver des solutions gagnant-gagnant à certains problèmes mondiaux. La lutte entre ces deux idées sera la substance des débats politiques pour les 50 prochaines années.

En 2011, vous avez publié un livre intitulé « The Unfinished Global Revolution » (La révolution mondiale inachevée, NDLR) où vous chantiez les louanges de la révolution égyptienne. Quels regards portez-vous sur vos écrits six ans plus tard ?

Je sais désormais qu’il ne faut jamais céder aux demandes de mon éditeur qui m’avait demandé d’écrire sur le sujet du printemps arabe alors qu’il venait de débuter. C’est une partie qui est beaucoup moins « sage » que le reste de mon travail et j’ai été contredit. Je pense que l’Égypte est dans une sorte d‘âge des Césars avec des leaders forts. César avait également été élu, mais prônait des mesures autoritaires. Je pense qu’en Égypte et aux États-Unis, les électeurs recherchaient des hommes capables de résoudre les problèmes que leurs prédécesseurs n’avaient pas résolus. Mais à travers le temps, ils verront les inconvénients de cet arrangement politique: moins de participation politique et un sentiment de frustration. Sissi a bénéficié du fait que les Frères musulmans aient dépassé leurs attributions. L’Égypte a besoin d’une politique du milieu que l’on n’a pu voir que sur la place Tahrir.

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