Fab Lab de Sidi Bernoussi: la fabrique à idée des "makers" passionnés

Dans le quartier de Sidi Bernoussi à Casablanca, le laboratoire d'idées de Yassine Adouch permet aux jeunes ingénieurs et aux étudiants de matérialiser leurs projets.

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Imprimantes 3D, découpeur laser, logiciels de modélisation… cet atelier est le lieu rêvé des ingénieurs et makers en tout genre. Créé en 2015 par Yassine Adouch, ce laboratoire de création technologique a été labellisé « Fab Lab » quelque temps après son ouverture. Initiés pour la première fois à la fin des années 1990 au Massachusetts Institute of Technology — le fameux MIT — aux États Unis, les Fab Labs sont des lieux de fabrication digitale ouverts à tous. Surfant sur le phénomène du « Do It Yourself » et des espaces de co-working, ces fabriques d’innovation ont proliféré dans le monde entier. Depuis 2015, le phénomène s’étend au Maroc. Si on compte aujourd’hui cinq ateliers du genre labellisés, celui de Casablanca est l’un des rares à être accessible gratuitement à tous, et à respecter la charte internationale des Fab Labs.

Création pour tous

Assis à la grande table qui trône au milieu de l’atelier en désordre, Mehdi, 20 ans, est concentré sur son ordinateur. En première année d’ingénierie informatique à l’ENSA, le jeune homme vient au laboratoire depuis un an. « La première fois, c’était pour créer le prototype d’un projet dans le cadre de mes études, un système qui permet aux enfants qui n’ont pas la clé de leur maison d’ouvrir la porte via une application« , explique le futur ingénieur. À ce moment-là, Mehdi ne connaissait rien à toutes ces manœuvres techniques. « Grâce au laboratoire, les étudiants peuvent concrétiser leurs idées et surtout mettre en pratique la théorie qu’on leur enseigne« , explique Yassine Adouch.

Accompagné par une équipe professionnelle sur place, le jeune ingénieur a donc pu créer, gratuitement, son prototype, pour lequel il a d’ailleurs remporté un prix. Ici, l’utilisation des machines est en accès libre et illimité. « Seuls les consommables sont payants. Et comme nous avons des partenariats avec des industriels pour le carton et des machines de recyclage pour le plastique, les prix que nous proposons sont très bas« , affirme Yassine Adouch, qui estime que le lieu ne doit pas avoir de but lucratif. Et quand il y a des bénéfices, ils sont indirects : « Les gens qui viennent au Fab Lab achètent les produits de Nextronic (le bureau de recherche et développement qu’il a fondé en 2014, ndlr) et les diffusent. Cela participe à un écosystème bien plus large« .

Partage de connaissances

« On donne accès au matériel technologique, mais on partage aussi notre savoir-faire« , poursuit le fondateur. Car l’accompagnement et le partage des connaissances sont les principaux mots d’ordre du Fab Lab, raison pour laquelle l’équipe professionnelle de Nextronic gère elle-même bénévolement le lieu. « Au départ, nous le considérions comme un atelier privé. Nous n’avions pas beaucoup de clients, donc on l’a ouvert à tout le monde pour justement former nos futurs clients« , raconte cet électricien de formation. Depuis, certains membres de l’équipe sont devenus des « fablabiens » convaincus et font librement les allers-retours entre le bureau de Nextronic et le laboratoire qui se trouvent au même étage de l’immeuble. « C’est très souple, c’est-à-dire que dès que quelqu’un a besoin d’eux au laboratoire, ils peuvent y aller librement même pendant les heures de travail« , précise Yassine Adouch.

Ahmed, 24 ans, travaille par exemple avec une équipe d’étudiants de l’ENSAM sur la construction d’un robot humanoïde. « Je fais un travail d’encadrement classique. Je leur fournis les ressources matérielles et surtout techniques« , explique le jeune ingénieur spécialisé dans les systèmes embarqués. D’ailleurs, avant d’intégrer l’équipe de Nextronic, Ahmed était un « fablabien » parmi d’autres. « J’étais venu pour fabriquer un robot automatique capable de résoudre un Rubik’s Cube. Juste comme ça, pour le fun !« , s’amuse le jeune geek. Repéré par Yassine Adouch, le jeune a finalement intégré l’équipe. « Ça sert aussi à ça le Fab Lab, repérer les bons éléments. On joue un peu le rôle de chasseurs de têtes en quelque sorte« , commente le fondateur.

Du labo au marché du travail

Si le Fab Lab ne s’occupe pas, à la base, de la commercialisation des produits créés, il y participe indirectement. Depuis sa création, une dizaine d’ingénieurs ont lancé leur startups après leur passage dans le laboratoire. C’est le cas de Faiçal Guennoun, un mécanicien qui a prototypé son imprimante 3D made in Morocco, aujourd’hui disponible sur le marché sous le nom d’ »Assani3″. Quand il s’est rendu pour la première fois au Fab Lab en 2015, il ne savait pas encore de quoi il s’agissait. « Au départ, je voulais juste du plastique pour imprimante 3D et j’avais vu qu’ils en fournissaient. Mais j’ai découvert le concept et réalisé que beaucoup de choses, comme les cartes électroniques, peuvent y être fabriquées. C’est beaucoup plus pratique et moins cher que de les importer !« .

Le mécanicien a également rencontré d’autres « fablabiens » qui l’ont aidé à développer son projet d’imprimante 3D: « Il y avait un électricien, des professeurs-ingénieurs, un étudiant calé en développement Web… Grâce à cette synergie de connaissances, j’ai évité de payer pour différents services et pu concrétiser mon projet plus rapidement« . Lancée il y a quelques semaines à peine, l’entreprise Assani3 commercialise les imprimantes 3D avec un service après-vente et des formations. Une façon pour le fondateur de contribuer au développement de cet écosystème des makers : « Si mon business marche, j’aimerai participer financièrement au développement du Fab Lab. Une façon pour moi de les payer en retour« . Aujourd’hui, Yassine Adouch travaille à l’extension de son réseau de laboratoires. Deux Fab Labs devraient d’ailleurs ouvrir prochainement à Oujda et Tanger.

Un phénomène national

Tanger, Rabat, Temara… les ateliers labellisés Fab Lab fleurissent un peu partout au Maroc. Surfant sur la vague internationale, plusieurs écoles et universités marocaines ont créé des Fab Labs pour leurs étudiants. C’est le cas de l’Université Moulay Slimane de Béni Mellal, l’Université des sciences techniques de Tanger ou encore l’école privée EMSI, dont l’atelier Smartilab a récemment été sélectionné pour la Coupe du monde de l’innovation qui s’est tenue le 1er mars 2016 à Barcelone. Pour la prochaine rentrée scolaire, l’Ecole Centrale de Bouskoura et l’école ENSAM feront de même. Bien que ces ateliers s’adressent avant tout aux étudiants concernés, ils représentent un premier pas vers la création, à terme, d’un réseau Fab Lab ouvert à tous.[/encadre]

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