Édito - Le “ninisme” chérifien

Par Aicha Akalay

Le nouvel Exécutif ne sera donc pas technocratique. En nommant le numéro 2 du PJD Chef de gouvernement à la place de Benkirane, le roi a fait taire ceux qui le soupçonnaient de préparer un gouvernement de technocrates. Mais attention, il aurait pu le faire, tient quand même à rappeler le communiqué du cabinet royal publié le mercredi 15 mars au soir. En ne le faisant pas, Mohammed VI a ainsi respecté la lettre de la Constitution. Le message, pas du tout subliminal, a bien été reçu. Ce n’est pas pour autant que le nouvel Exécutif sera politique. L’interventionnisme du Palais pendant ces six derniers mois ne l’a pas permis. Et le large spectre de partis rassemblés en une majorité le confirme. Ces partis se sont mis d’accord sur le plus petit dénominateur commun. Rappelons qu’en une semaine, comme par magie, Saâd-Eddine El Othmani a formé une coalition majoritaire de six partis. Nous pouvons expliquer ce succès éclair — pour flatter notre nouveau Chef de gouvernement — par un tact et un doigté politique plus aiguisés que son prédécesseur. Mais personne ne nous croira. El Othmani a accepté sans ciller des conditions que Benkirane avait refusées, avec le soutien de son parti. Ces conditions ont été imposées par Akhannouch, et donc par le Palais, El Othmani en a été remercié et aidé. C’est en substance la lecture qui est faite par l’écrasante majorité des acteurs politiques sondés.

Il est vrai que le Maroc est confronté à une équation des plus complexes. Un gouvernement de technocrates triés sur le volet par le Palais aurait plongé le Maroc dans un régime autoritaire assumé et dangereux. Mais s’il avait été bien composé, il aurait pu aussi porter la promesse d’une prospérité économique qui nous fait tant défaut. Ce n’est pas cette voie qui a été empruntée. Un gouvernement choisi et négocié par les acteurs politiques seuls aurait eu l’avantage de confirmer le Maroc dans le processus démocratique enclenché en 1999 et poursuivi après 2011 et la réforme de la Constitution. Mais il portait le risque non négligeable que les intérêts partisans l’emportent sur l’intérêt de la nation. “On ne peut pas confier les clés du pays au PJD et prendre le risque de voir le Maroc couler”, se justifie-t-on dans les cercles proches du Palais. Force est de reconnaître que l’argument ne peut être balayé d’un simple revers de main, tellement les ministres PJD ne se sont pas illustrés par leur compétence et leur vision. Mais la démocratie a un coût et, d’après les nombreux discours de Mohammed VI, nous pensions que le Maroc avait choisi d’en payer le prix pour mieux en récolter les fruits.

Ce que nous vivons aujourd’hui est une situation intermédiaire, non assumée : pas d’autocratie affichée, mais pas de démocratie réelle non plus. Un entre-deux que certains justifient par la nécessité de maintenir des équilibres fragiles, mais qui nous condamne au statu quo. Il faut rappeler que l’un des principaux chantiers de règne a été la refonte des institutions, or, il n’avancera jamais si le rapport entre les pouvoirs ne change pas. Un Palais interventionniste et rétif à déléguer déresponsabilise la classe politique. Cette dernière, faible, en manque d’autonomie et décrédibilisée, n’est plus comptable devant les Marocains et n’attire pas les compétences. La scène politique est ainsi enlisée dans une logique de polarité, opposant le Palais d’un côté et les partis avec un vrai référentiel de l’autre. Cette logique a déjà fait perdre des années de développement au Maroc de Hassan II. Nous espérions mieux pour celui de Mohammed VI.