Édito - Au revoir Monsieur le Chef du gouvernement

Par Aicha Akalay

Qui sort gagnant de l’arbitrage royal qui a mis fin au mandat de Abdelilah Benkirane pour former un deuxième gouvernement ? Personne. Le Palais n’en sort pas grandi puisqu’il est une fois encore en première ligne. Et les voix qui s’élèvent pour l’accuser d’avoir tout fait pour affaiblir le PJD ne s’en trouvent que renforcées. Et comme les acteurs majeurs qui conseillent et accompagnent Mohammed VI restent muets, personne dans cet entourage n’est en mesure d’expliquer les intentions politiques du roi et de corriger les lectures qui en sont faites ou de statuer sur les limites de ce qui est présenté comme la vérité. La solution ne peut pas, et ne doit pas, toujours venir du roi. Toute la construction institutionnelle des dernières années est de fait affaiblie par cet arbitrage. La classe politique est, quant à elle, complètement décrédibilisée, accusée de ne jouir d’aucune indépendance et incapable de trouver seule des solutions à un blocage qui n’a que trop duré.

Abdelilah Benkirane est lui aussi placé face à ses limites. Sûrement galvanisé par un succès populaire certain, il s’est autoproclamé pion majeur de cette équation gouvernementale. En cinq mois, beaucoup a été fait pour l’empêcher de constituer un gouvernement à sa guise, mais il a feint d’oublier qu’il est arrivé premier aux élections sans majorité absolue. Il devait composer avec d’autres. Il voulait une adhésion de principe, mais sur quel projet ? Quelles propositions concrètes a-t-il faites aux autres partis ? Quel programme ? Quelle vision ? Y a-t-il eu seulement un seul PV des réunions tenues avec les différents partis ? Rien. Benkirane a aussi imposé sa façon de faire, où il a laissé libre cours au commentaire oral, aux sorties médiatiques intempestives, ce qui l’a isolé. Et il a échoué. C’est une responsabilité qu’il se doit d’assumer.

Gageons que beaucoup étaleront les échecs du zaïm islamiste. Peu lui reconnaîtront ses qualités indéniables. Abdelilah Benkirane, ne nous y trompons pas, n’est pas arrivé premier aux dernières élections car il a promis Charia et paradis aux électeurs, mais parce qu’il leur a parlé de dignité en l’incarnant. Son pouvoir, il ne l’a pas exercé pour intimider plus faible que lui. Ni pour corrompre. Quand d’autres ministres plus puissants que lui, plus proches du Palais surtout, appellent les actionnaires des rédactions pour faire annuler la publication d’un article dérangeant, Abdelilah Benkirane a toujours cherché à convaincre et persuader même le plus débutant des journalistes. Benkirane a aussi eu une flexibilité qui laisse entrouverte la porte du dialogue, surtout avec ceux qui s’opposent à son projet de société. Il a été un Chef de gouvernement qui accueillait chez lui avec humilité le tout venant. Partageant avec fierté non pas un marbre imposant ou un lustre clinquant, mais les pâtisseries aux amandes chaudement sorties du four par son épouse. Populisme dénoncent certains. Mais impossible d’ignorer la sincérité de cet homme, réellement attachant. Il était possible d’être fondamentalement anti-islamiste et de dialoguer avec lui, car il partageait avec vous un dénominateur commun : le désir d’un Maroc plus démocratique. Il pouvait pester contre les uns et les adorer le lendemain, mais ce qu’il défendait avec constance était son attachement à sa probité et à son roi.Loin des micros, des caméras et des réseaux sociaux, Benkirane a toujours parlé avec beaucoup d’affection de Mohammed VI, très touché, répétait-il, que le souverain s’inquiète régulièrement de l’état de santé de sa mère, décédée il y a quelques mois. Le patron du PJD a servi son pays, avec dignité, qu’il en soit remercié.