Pour la BAD, il est "incontournable" que le Maroc revoie ses tarifs douaniers avec l’Afrique

Le Maroc et de nombreux autres pays africains ont chacun renégocié leurs droits de douane avec des pays d’Europe, d’Asie et d’Amérique, à tel point qu’il leur est devenu plus aisé de commercer avec l’extérieur, qu’avec leurs propres voisins du continent.

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Crédit: Yassine Toumi
Crédit: Yassine Toumi

« La politique tarifaire menée par le Maroc au cours de ces 20 dernières années a conduit à créer, involontairement, un écart de taux défavorable pour les pays d’Afrique (hors pays méditerranéens), comparativement aux droits de douane appliqués sur les produits européens, américains et méditerranéens« . Ce constat de la Banque africaine de développement (BAD), dans un rapport publié le 6 mars, tranche avec l’image d’un pays signant des accords de coopération par dizaine à chaque visite officielle de son roi dans des pays d’Afrique.

Aussi, en termes de recommandations, la BAD attire l’attention sur le fait que « la réduction des droits de douane demeure un outil de politique commerciale qui pourrait être efficace pour dynamiser les flux d’échanges bilatéraux, avec un effet positif pour le Maroc et le reste de l’Afrique en particulier l’Afrique subsaharienne » et que « pour optimiser les initiatives récentes qui ont été mises en place pour dynamiser et renforcer les échanges entre le Maroc et ses partenaires africains, il deviendra vite incontournable de mettre à l’ordre du jour une négociation des politiques tarifaires appliquées de part et d’autre« .

Les Africains n’échangent pas tant que ça entre eux

Oui, les échanges commerciaux du Maroc avec l’Afrique ont bien augmenté ces dernières années. Une hausse de 20 %, soit 1,5 milliard de dollars, avec même une accélération en direction de l’Afrique subsaharienne qui a atteint 13 % en 2014. Néanmoins, la BAD note que « le Maroc reste toujours très ancré au marché européen qui demeure le principal partenaire commercial du Royaume en concentrant 67 % des exportations du pays, les échanges commerciaux entre les deux partenaires ayant frôlé les 30 milliards d’euros en 2014« . De même, l’Afrique subsaharienne ne représente qu’un peu plus de 6 % des exportations (contre 3 % en 1993) et un peu moins de 1 % (contre 5 % en 1993) des importations marocaines.

Parmi les 25 pays principaux fournisseurs du Maroc, il n’y a plus aujourd’hui aucun pays subsaharien, alors que le Cameroun en faisait partie en 1993. Dans le sens inverse, le Sénégal est le seul pays subsaharien parmi les 25 principales destinations des produits marocains à l’export. Le Maroc n’est pas non plus présent parmi les 50 principaux exportateurs des pays d’Afrique subsaharienne en 2013. Dans le classement des marchés d’export, le Maroc se situe, en effet, à la 95e place, avec seulement 0,05 % des exportations de la région (contre 0,07 % en 93 et 0,36 % en 98). « Du côté des importations, l’importance du Maroc est également négligeable, puisqu’avec 0,27 % des importations de la région (contre 0,07 % en 93), il est classé 62e parmi l’ensemble des importateurs« , ajoute la BAD.

Seulement 4 accords Maroc-Afrique

Face à ce constat qui met en lumière l’immense marge de manœuvre dans l’optique d’une intensification des échanges commerciaux Maroc-Afrique, la BAD établit un diagnostic. « Même s’ils ont considérablement baissé (rappelons que cette baisse a été d’environ 78 %, soit 39 points de pourcentage), le fait qu’il n’y ait quasiment pas d’accord commercial actif entre le Maroc et les pays subsahariens implique que les droits de douane appliqués par le Maroc sur les importations des pays africains hors pays méditerranéens demeurent, en moyenne, au même niveau que les tarifs appliqués à l’ensemble des autres pays à moyen et faible revenu, soit 12 %« .

Le taux varie en fonction de la catégorie de biens, mais surtout des destinations. « Dans l’agriculture, les écarts sont particulièrement marqués, puisque la moyenne va de 1,4 % pour les pays méditerranéens à presque 27 % pour les pays de l’Afrique Australe. On constate de plus que, quelle que soit la catégorie de biens, l’écart entre le taux moyen des droits de douane appliqués aux pays européens et la moyenne la plus élevée des droits de douane appliqués aux pays africains est d’environ de 17 points de pourcentage« , relève la BAD.

Au total, neuf pays africains n’ont aucun accord tarifaire avec le Maroc. Il s’agit du Gabon, de la Côte d’Ivoire, de Sao Tomé, du Congo-Brazzaville, du Kenya, de l’Afrique du Sud, du Botswana, de la Namibie et du Swaziland. Seuls trois pays africains méditerranéens (Algérie, Égypte, Tunisie) et le Sénégal appliquent un tarif préférentiel sur leurs importations en provenance du Maroc.

Gagnant-gagnant

La BAD a donc fait ses calculs et propose une prescription: réduire les tarifs douaniers entre le Maroc et les pays d’Afrique: « les biens en provenance de l’Afrique subsaharienne sont plus sensibles à la politique tarifaire du Maroc que les biens en provenance de l’ensemble du reste du monde. Une réduction des droits de douane marocains appliqués aux pays subsahariens contribuerait ainsi à augmenter les exportations des pays de l’Afrique subsaharienne vers le Maroc. Par ailleurs, l’analyse de la sensibilité des exportations marocaines à la variation des droits de douane appliqués par les pays africains permet de constater que, quelle que soit la communauté économique, une baisse des tarifs des pays africains aura toujours un effet positif sur les exportations marocaines« .

Selon la BAD, une baisse des droits de douane de moitié, décidée par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), pourrait augmenter d’environ 5 % les exportations marocaines, alors qu’une baisse équivalente des tarifs appliquée par la Communauté économique de l’Afrique centrale (CEEAC) ou par le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA) pourrait augmenter ces mêmes exportations marocaines de 23 % pour la CEEAC et de 15 % pour le COMESA. L’effet relatif le plus important à attendre provient d’une baisse des droits de douane appliqués par la Communauté Est-Africaine (CEA) : une réduction des tarifs de moitié pourrait, en effet, accroître les exportations marocaines de 40 %.

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