Fatym Layachi - Fabriquer des héros

Par Fatym Layachi

Autant l’avouer, toi, à la base, le foot national, tu t’en foutais un peu. C’est qu’il faut reconnaître que la Botola ne t’a jamais fait rêver et l’équipe nationale ne t’a jamais semblé très glorieuse. Bien évidemment, tu as grandi en entendant tes oncles et ton père parler avec émotion des prouesses à Mexico ou encore de ce coup de ciseau mythique de Hadji. Ok, c’est très joli, c’est très émouvant toutes ces images, certaines te paraissent même héroïques. Mais surtout, qu’est-ce que c’est loin ! Ce sont de lointains souvenirs qui ne font plus du tout partie de ton quotidien. Et c’est aussi sans doute à cause de ça que tu ne t’intéressais pas vraiment au foot ici. Tu avais l’impression que ce sujet rimait forcément avec ce sempiternel sentiment passéiste et un peu glauque. Avec, en sous-entendu, “regarde comment on était, regarde comment on est devenus”. Et toi, ça te déprime un peu ces constats d’échec.

Mais ces dernières semaines, non seulement tu t’es intéressée au foot, mais tu as suivi les matchs de l’équipe nationale, et surtout tu as vibré. Tu as vibré, tu y as cru, tu as espéré. Et tu as trouvé ça merveilleux comme sentiment. Et tu n’es pas la seule à être devenue supporter pendant cette dernière Coupe d’Afrique des nations. Ta mère connaît même le nom des buteurs, c’est dire ! Même ton esthéticienne que le sport à la télé a toujours agacée profondément a pleuré le jour du match face à l’Égypte. D’habitude rien ne te gave plus que le patriotisme primaire et aveugle avec des phrases du style “une défaite honorable”. Mais cette fois tu t’es dit que même si on a perdu on a été super bons. On s’est bien battus. On n’a pas démérité. Et puis, comme le disent tes potes footeux, ce groupe a montré des valeurs et un niveau de jeu qu’on rêvait de voir depuis bien longtemps. Et ne serait-ce que pour ça, ces joueurs et le staff sont des héros à tes yeux. Faire rêver une nation, c’est sublime ! C’est sublime, mais ce n’est pas magique pour autant. C’est du travail. Ça a un coût. Ça demande du temps, une vision et surtout de l’argent. Et puis, que personne ne vienne te dire que cet argent on ne l’a pas ici. Ce n’est pas vrai ! Pour fabriquer du vent, mettre du marbre hors de prix sur des façades ou tenter de faire rouler un train beaucoup trop vite, là on en a de l’argent. Mais pour inculquer un esprit de victoire et fabriquer des héros, là on n’en aurait plus ? Tu refuses de te résoudre à ça. Tu es convaincue que ce n’est qu’une question de volonté, une volonté étatique.

Des Zidane, des Ronaldo, des Del Piero, il aurait peut-être pu y en avoir ici aussi. Bien sûr qu’ils ont un talent incroyable, qu’ils ont un truc en plus, mais tu es absolument convaincue que leur éclosion et leur carrière ne sont pas uniquement dues à la grâce de Dieu. Sûrement pas. C’est une formation, une prise en charge, une fédération dans leurs pays respectifs qui a su repérer leur talent, qui les a encadrés, qui a transformé des gamins prometteurs en sportifs de haut niveau. Ce n’est pas seulement avec un coup de pied magique qu’on devient le plus grand joueur de foot du monde. La magie du coup de pied ce n’est que le début. Pour le reste il faut investir. Et tu es absolument convaincue que cet investissement en vaut le coup. Ça fait rêver, ça rend fier, ça unit. Ça crée du lien. Tout le monde vibre. Dans les immeubles, dans les maisons, dans les bars, dans les cafés. Le sport et les émotions qu’il arrive à véhiculer transcendent les barrières sociales. Tu as ressenti une fierté immense pendant ces quelques matchs. Tu as vu cette fierté dans tous les regards que tu as pu croiser. Et c’est peut-être même la première fois que tu as eu un sentiment aussi fort d’appartenance à une nation.