À Marrakech, en tirant la chasse, vous arrosez les golfs

Marrakech s'est dotée d'une station d'épuration pour alimenter les golfs. Au delà de l'eau, ce sont également les boues qui peuvent être valorisées.

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Adil Daoudi, directeur adjoint de la RADEEMA © Yassine Toumi / TELQUEL

À l’occasion de la COP22, nous avons rencontré Adil Daoudi, directeur ingénierie et investissement à la RADEEMA. La Régie autonome de distribution d’eau et d’électricité de Marrakech est également chargée du service d’assainissement liquide. En la matière, rien ne se perd, tout transforme. Les boues pourront bientôt être valorisées, mais c’est d’ores et déjà l’eau traitée qui permet d’irriguer quelques golfs marrakchis.

Telquel.ma: Sur le volume d’eau qui sort du robinet des Marrakchis, quelle partie récupérez-vous à la station d’épuration (STEP) ?

Adil Daoudi: La RADEEMA achète 65 millions de mètres cubes d’eau à la source. Nous en distribuons 75 %, jusqu’à l’usager. C’est-à-dire qu’il y a 25 % de pertes sur le réseau de distribution. Au Maroc, le rendement plafond se situe autour de 82 %. En fin de compte, 75 % ce n’est pas si terrible que ça, d’autant qu’en 10 ans, on l’a amélioré de 13 points. On était à 62 % en 2013, et on vise 78 % à l’horizon 2020. Ce sont des pertes sur des canalisations vétustes, mais aussi au niveau des raccordements. Ces eaux-là sont perdues, certes, mais in fine elles rejoignent la nappe phréatique.

En revanche, les eaux usées on les retrouve à 95 % à la station d’épuration, car les installations sont plus récentes, elles datent de 2012. Au final, on retrouve 70 % des eaux achetées à la source dans les installations de traitement.

Il y a également des espaces à Marrakech qui ne sont pas raccordés à votre réseau.

Au niveau de l’eau potable, le taux de raccordement est de 99 %. Pour l’assainissement liquide, on est à 94 %, sachant que 4 % disposent déjà d’une installation autonome, une fosse septique ou autre. C’est notamment le cas dans la Palmeraie.

Quelles bonnes pratiques peuvent adopter les usagers pour améliorer ce rendement ?

En tant que régie citoyenne, la RADEEMA mène des actions de sensibilisation auprès des citoyens, auprès des écoliers et aussi de ses abonnés dans l’objectif de rationaliser l’usage de l’eau, surtout en période estivale. Sur nos factures de consommation, on mentionne ces messages de sensibilisation. On note également l’historique de consommation sur douze mois. Comme ça, l’usager se rend compte de l’évolution de sa facture en fonction de sa consommation. C’est le meilleur argument, d’autant que la tarification nationale est sélective, en palier. La première tranche, à plus faible consommation, est subventionnée. La seconde tranche est payée à prix coûtant par l’usager. À partir de la troisième tranche, il y a une sorte de pénalisation des gros consommateurs.

La station d’épuration (STEP) a coûté 1,2 milliard de dirhams. Qui l’a financé ?

Ce 1,230 milliard correspond au projet de traitement et de réutilisation. La STEP en elle-même a coûté 818 millions de dirhams. Le reste correspond au réseau de réutilisation, c’est-à-dire les installations qui permettent au secteur touristique de réutiliser les eaux usées à des fins d’arrosage. Le projet dans sa conception a été scindé en deux étapes. Dans un premier temps, le traitement primaire et secondaire qui est l’obligation de la collectivité. Cette composante est prise en charge par la RADEEMA, ainsi que l’État à hauteur de 150 millions de dirhams. C’est le traitement minimum avant de pouvoir relâcher les eaux usées dans un milieu naturel. En revanche, le traitement tertiaire, qui est un traitement supplémentaire pour rendre les eaux usées utilisables pour l’arrosage des espaces verts, selon les normes marocaines et les normes de l’OMS, a coûté 86 millions de dirhams, pris en charge par les bénéficiaires, c’est-à-dire les golfs. Dans le montage financier, ils contribuent dans l’investissement initial, puis au niveau de l’exploitation il paye l’eau au tarif qui permet l’équilibre financier du traitement tertiaire. C’est une logique de service public — ni perte, ni gain —, mais une marge qui doit être utilisée dans le renouvellement et l’investissement.

(Reportage sur l’utilisation de l’eau par les golfs de Marrakech réalisé en avril 2016).

Aujourd’hui, combien des 19 golfs sont raccordés à ce réseau ?

On distribue à huit golfs. 

À Ait Aourir, à 30 km à l’est de Marrakech, il y a un puis creusé au niveau du lit souterrain d’une rivière. Puis, une longue canalisation relie le puis à une zone où se trouvent quatre golfs autour du Golf Royal. Est-ce que ce sont des golfs raccordés au réseau de distribution ?

On distribue de l’eau au golf Amelkis III, mais pas I et II jusqu’à présent. Al Maaden et Atlas Golf Resort étaient parmi les premiers à bénéficier du réseau d’eau épurée. Sur cette petite zone, ce sont trois golfs sur cinq qui bénéficient des eaux traitées.

Plusieurs Marrakchis n’ont pas vu l’installation de ce réseau de redistribution et doutent sérieusement que les golfs soient arrosés par des eaux usées.

Je trouve que c’est bon signe. Ça veut dire que les travaux se sont déroulés dans de bonnes conditions. Ça ressemble beaucoup à des travaux d’eau potable, donc les gens n’ont peut-être pas fait la différence. Il ne faut pas oublier non plus que ce réseau ne traverse pas la ville, mais fait le tour pour rejoindre le golf.

Les eaux usées, une fois traitées, vont également servir au projet de réhabilitation de la Palmeraie. Le réseau de redistribution est déjà installé ?

Oui, les 80 kilomètres du réseau traversent la Palmeraie. Une convention a été signée avec un certain nombre d’opérateurs dans l’objectif de réutiliser les eaux épurées pour l’irrigation de la Palmeraie. On va irriguer 400 000 palmiers sur 800 hectares, notamment à la Palmeraie Oulja, au Nord-ouest, qui est un site d’intérêt biologique et écologique.

Au-delà des eaux réutilisées, ce sont aussi les boues issues du traitement qui peuvent être valorisées. Elles produisent notamment du biogaz que vous utilisez d’ores et déjà pour alimenter jusqu’à 50 % des besoins énergétiques de la STEP. Une fois qu’elles sont sèches et ont produit leur gaz, comment pourraient-elles être davantage valorisées ? 

Les boues, c’est un mal nécessaire. Elles permettent de produire le biogaz qui couvre effectivement 50 % de nos besoins énergétiques. Une fois stabilisées, elles présentent une réelle menace en milieu naturel. On produit 150 tonnes de boues déshydratées par jour. Elles sont difficilement « enfouissables » et difficilement utilisables directement. Face à cette situation, la RADEEMA a mis en place un projet, qui est en cours de réalisation, et qui permettra le séchage solaire de ces boues. Normalement, le séchage est thermique — pour les valoriser ultérieurement dans l’agriculture ou les brûler en cimenterie — ou bien on procède à une incinération directe dans des fours à proximité des stations d’épuration. Cette dernière solution est très énergivore et très coûteuse. Par contre, le séchage solaire est tout indiqué pour Marrakech qui est largement ensoleillée toute l’année. On pourra sécher jusqu’à 200 tonnes de boues, pour en produire 56 tonnes. Ça représente une économie de 120 mégawatheures par jour par rapport à un four thermique.

Et une fois séchées ? Comment peut-on les utiliser ? 

Il y a deux pistes pour la valorisation. L’agriculture, d’une part, mais ça demande une mise à niveau réglementaire. On espère que d’ici deux ans, la réglementation aura avancé pour que ces boues issues du séchage solaire puissent être utilisées. La deuxième possibilité, d’autre part, c’est la valorisation thermique, dans les fours de cimenteries. Les boues y sont brûlées à 1200 °C, toute la matière organique est détruite. Les déchets minéraux des boues peuvent à nouveau être valorisés, dans la fabrication de pavés ou pour produire du calcaire. Problème, les boues ont un pouvoir calorifique qui n’intéresse pas beaucoup, pour l’instant, les cimentiers. On entame une phase test.

Il faudra un traitement supplémentaire tout de même non ? On imagine que ces boues contiennent des éléments dangereux pour la terre, des métaux lourds peut-être ?

Tout dépend de la destination de la réutilisation agricole. Si ce n’est que le reboisement, les boues peuvent servir, sans aucun traitement supplémentaire, car la densité de métaux lourds n’atteint pas le seuil dangereux. Par contre, ça demande un suivi rigoureux de la production des boues. On observe la présence de certains métaux lourds, mais sur des périodes bien précises, en fonction de la saison industrielle. À Marrakech, il y a un grand problème, on remarque une forte présence de chrome juste après l’Aïd. C’est parce que les tanneurs s’activent et ils génèrent beaucoup de chrome dans les eaux usées.

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