Zakaria Boualem. Le coup de girofle

Par Réda Allali

La scène se déroule dimanche dernier, au cœur d’un après-midi gris et calme. Zakaria Boualem s’installe devant son téléviseur, avec l’ambition de regarder le match du Raja contre Safi, annoncé sur la première chaîne. Avec l’âge, il a appris à se donner des objectifs raisonnables, il pensait que celui-ci faisait partie de cette catégorie. Notre homme s’apprête donc à passer environ deux heures de souffrance, les spécialistes de la Botola savent pourquoi. En revanche, lui-même ne se doute pas un instant de ce qui l’attend. En effet, aux environs de la dixième minute de jeu, le match est remplacé par la glorieuse arrivée de l’avion royal en Tanzanie.

Zakaria Boualem est surpris, et il lui en faut beaucoup, par cet étonnant hommage au siècle passé. Il zappe donc et découvre que sur la chaîne religieuse, tout comme sur l’amazighia et sur aflam, c’est le même spectacle. Nous parlons de quatre chaînes nationales qui retransmettent le même évènement, il faut donc corriger la phrase précédente puisque, même au cœur du siècle dernier, nous n’avions qu’une seule chaîne (donc une seule interruption). Il s’agit d’une sorte d’amélioration du process vintage, nous progressons. Pour être tout à fait honnête, il faut préciser que Zakaria Boualem, avant cette quadruple interruption, n’avait pas apprécié correctement l’importance de cet évènement. Maintenant qu’il en a conscience, il commence par se demander pourquoi 2M et arriyadia maintiennent leurs programmes, tout seuls, comme des dissidents. Il ne trouve pas de réponse satisfaisante et se met donc à suivre le reportage en direct de la Tanzanie. Il apprend que ce pays, dont il ignore à peu près tout, est un grand producteur de clous de girofle, le 9ronfel en version originale. C’est ce que le présentateur a dit. Ça doit être très important, puisque le match du Raja a été interrompu.

Quand les choses n’ont plus de sens, il ne faut plus se battre, il convient au contraire de faire comme si tout était normal, et d’accompagner le mouvement général avec souplesse. Une telle attitude est un gage de lucidité. Voici donc, les amis, plus d’information sur le clou de girofle, compilées par notre héros. Sachez que ce noble végétal est un puissant antiseptique, efficace contre les maux de dents, les indigestions, les infections urinaires et même le rhume. Une précieuse substance qui fait même l’objet d’un commerce illégal et d’une contrebande maritime, les pirates œuvrant dans des embarcations légères partout dans l’océan Indien. C’est tout, et merci.

Revenons au match du Raja, s’il vous plaît. Il faut préciser aux non-spécialistes que si Zakaria Boualem était devant sa télévision et non pas au stade, c’est que le Raja ne jouait pas à domicile, mais à Agadir. Depuis neuf mois, il est privé de tribunes, tout comme ses compères wydadis. Dans un premier temps, on lui a expliqué que c’était à cause du hooliganisme. Sans n’avoir jamais été violent, il a été puni. Il est vrai que c’est la solution la plus simple. On aurait pu travailler avec un peu plus de précision pour repérer les sauvages et les déférer devant la justice, mais bon, il ne faut pas trop en demander. On vide les tribunes, tout le monde reste chez soi, et merci. Ensuite, on lui a expliqué qu’on effectuait des travaux au “stade donor”. Oui, c’est comme ça que ça s’écrit les amis, acceptez-le s’il vous plaît. Des travaux très longs, et très lents. Le Guercifi, qui vit à côté du complexe, voit très peu d’ouvriers s’affairer, aucune machine en action, mais il attend tout de même la fin des travaux, vous avouerez que c’est très étrange. Encore plus étrange, le fait que tout le monde semble trouver ça normal. Il aurait pu se tourner vers l’intense vie culturelle que propose la capitale économique, mais cette dernière a bien du mal à exister. Nous avons une profusion de complexes culturels mais ils ont en commun d’être inactifs ou, eux aussi, en travaux. Voilà, c’est tout, et merci.