Ta vie en l’air. L’école est finie

Par Fatym Layachi

C’est la rentrée. Tu as repris le boulot. Ta mère a fermé la maison de la plage. Ton père se plaint déjà de ses clients. Zee s’est coupé les cheveux et a repris ses séances de pilates. Tes petits cousins ont repris le chemin de l’école, des cours particuliers, des cours de danse, de tennis ou de judo. Les plus grands se sont envolés pour Madrid, Nice ou Montréal pour leurs études. Tes tantes sont déjà mortes d’inquiétude. Elles ont peur “des mauvaises fréquentations, des attentats, qu’ils dépriment et surtout qu’ils mangent mal”. Du coup, elles ont préparé tout plein de Tupperware avec tout plein de bonnes petites choses. Peu importe les excédents de bagages ! Tes oncles aussi sont inquiets. Ils ont peur de ne pas assurer le train de vie de leurs gamins devenus grands pour les quatre ou cinq prochaines années. Les temps sont de plus en plus durs, la vie est de plus en plus chère. Du coup, ils vendent un terrain qu’ils laissaient dormir. Ton père se rappelle qu’à ton époque, les prix n’étaient pas aussi délirants.

Toi, tu ne te rappelles pas de grand-chose de cette logistique scolaire. Tu n’as jamais senti que c’était compliqué. Tu as grandi insouciante et sans soucis, privilégiée et gâtée. Pour toi, tout te paraissait une évidence. Tu as été dans une école privée, ça te paraissait évident. Tu as fait tes études à l’étranger, ça aussi te paraissait évident. Et puis, aujourd’hui, tu te rends compte que ce n’est pas si évident que ça, que tu as eu énormément de chance que ça te paraisse aussi simple. Mais surtout, tu te rends compte que pas une personne autour de toi n’envoie ses enfants à l’école publique. Et tu pèses tes mots en disant qu’il n’y a pas une personne. Ça va du ministre pote de ton père, pourtant censé défendre l’action de l’État, à ton esthéticienne qui s’endette pour ne pas “sacrifier ses enfants”, en passant par ta cousine qui serait prête à se vendre pour un coup de piston pour que sa fille entre à l’école française. Pas une personne ne veut de ce service public. Pas même une personne autour de toi n’envisagerait cette éventualité. Tu trouves ce constat finalement très triste. Et, visiblement, tu n’es pas la seule à faire ce triste constat. Depuis quelques jours, sur ton fil d’actualité Facebook, tu peux lire le même statut repris par une bonne partie de tes contacts : “Je m’appelle untel et je rêve d’une école marocaine gratuite, uniforme et de bonne qualité pour tous les enfants marocains. Je veux que tous, fils de riches ou de pauvres, dans les villes ou dans les campagnes, dans le désert ou dans les montagnes, aient le même enseignement, de la même qualité.”

À tous les niveaux du pays, tout le monde semble être d’accord pour affirmer que l’État est, aujourd’hui, totalement incapable de fournir une éducation de qualité. C’est tout de même d’une véritable faillite de l’avenir dont il s’agit. Le plus triste c’est que ça n’a même pas l’air d’être une priorité. Les gouvernements se succèdent, ne se ressemblent pas forcément et l’école se dégrade un peu plus chaque année. Mais tout va bien. Il doit y avoir des choses plus urgentes. Toi, tu es peut-être un peu naïve, mais tu as du mal à voir ce qu’il pourrait y avoir de plus urgent que de faire en sorte que les enfants aient un avenir. Ça devrait être la priorité absolue, la base. Enfin, peut-être qu’ici, comme c’est le plus beau pays du monde, on est en train de réinventer la roue. Toi tu as tout de même un peu de mal à imaginer comment un pays pourrait se développer sans une école digne de ce nom, mais bon, tu manques peut-être d’originalité.