Zakaria Boualem et le tableau des médailles

Par Réda Allali

Salut à vous, Zakaria Boualem est de retour. Il serait exagéré de déclarer qu’il retrouve cette page avec joie. Au contraire, une sourde angoisse s’empare de lui à la seule idée d’imaginer la terrible avalanche de polémiques à caractère sexuel qu’il va devoir affronter cette année. Car c’est ainsi que nous vivons désormais, englués dans cette obsession nationale, libidineuse et morbide. Pourtant, le Guercifi ne vous parlera pas de l’affaire des amants du MUR, c’est une question de pudeur et de respect. On ne rentre pas comme ça dans la vie des gens. Oui, même celle de ceux qui veulent entrer dans la vôtre pour la régenter. Il ne vous parlera pas non plus de la France et de son délire puissant sur le burkini, le voile, le halal et ma jawarahouma. Ils traversent une mauvaise période, les pauvres ! Non, le Boualem veut vous parler des Jeux Olympiques.

Il ne vous aura pas échappé que le Maroc Moderne, malgré les avancées spectaculaires qui rythment son parcours glorieux, a été encore une fois inexistant. Une seule médaille, de bronze, pour le valeureux boxeur de Sidi Bernoussi, et merci. A l’attention de nos plus jeunes lecteurs, il faut rappeler les données suivantes. Entre 1984 et 2004, nous avons gagné 18 médailles olympiques, dont six en or. Durant la même période, nous avons participé à trois Coupes du Monde de foot et nous sommes arrivés trois fois dans le dernier carré d’une CAN. De leur côté, nos clubs ont gagné cinq Ligues des champions africaines, alors qu’en tennis, nous affrontions les plus grands en Coupe Davis. Voilà.

Depuis, nous nous enfonçons dans les ténèbres avec régularité et abnégation. Aucune Coupe du Monde, pas de Ligue des champions africaine, des récoltes olympiques faméliques, et on n’ose même pas parler du tennis ou de tout autre sport. Nous avons cessé d’exister, soudain. Le fond ayant été atteint lors de la dernière Coupe d’Afrique des nations, que nous avons refusé d’organiser pour une raison inconnue. Pourtant, il suffit de lire nos journaux pour découvrir des plans de relance, des tables rondes, des assises et des rapports divers : ils n’ont eu d’autre effet que d’accompagner cette chute spectaculaire d’une quantité absurde de mots creux. Nous avons toutefois continué à réclamer l’organisation d’une Coupe du Monde et même –on ose à peine l’écrire- des Jeux Olympiques pour la bonne ville de Meknès. Soupir !

Si Zakaria Boualem prend le temps aujourd’hui de décrire cette situation, ce n’est pas par perversion masochiste, loin de là. C’est juste que notre homme a l’impression que le sport est une traduction de l’état de la jeunesse d’un pays. Il espère se tromper. Soupir numéro 2. Nos gamins ont été livrés corps et âme au secteur privé et aux missions étrangères. S’il leur venait l’étrange idée de se livrer à une activité sportive, il faudrait qu’ils se débrouillent tout seuls, dans des salles rarissimes et sous-équipées. Ils pourraient se diriger vers les parcs ou les espaces verts, mais ils ont disparu depuis longtemps de notre paysage. Il reste bien la rue, mais elle a été confisquée par les tristes sires, les obsédés du textile, ceux qui ont un problème avec le concept de corps. Difficile, dans ces conditions, de produire du champion. Surtout lorsqu’on ajoute à ce tableau la spectaculaire chute de la valeur “effort” de notre bourse nationale, supplantée par des actions plus lucratives que je vous laisse identifier tout seuls.

Voilà, Zakaria Boualem a fini et il est un peu déprimé. Il a le tableau des médailles sous les yeux et a le plus grand mal à accepter de se retrouver devancé par le Tadjikistan, le Burundi ou Grenade. Il termine donc cette pénible chronique en suppliant nos glorieux responsables de reconsidérer leur position vis-à-vis du sport, capable de produire moult bienfaits pour l’image du pays (cet argument leur plaît beaucoup), et d’être par ailleurs une soupape de décompression pour une jeunesse coincée entre Daech et le tcharmil. Nous avons donc tous beaucoup à y gagner, et merci.