Boris Toledano, le « grand frère » de la Communauté juive marocaine s’est éteint

Boris Toledano est décédé le 10 août à Casablanca. Il avait 95 ans et était président de la Communauté juive de Casablanca. Portrait d’un « ouled nass » par ceux qui pleurent la disparition d’un homme au parcours extraordinaire, « juste parmi les justes » et « cheville ouvrière de la communauté juive » au Maroc.

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Boris Toledano (à gauche), en compagnie de Mohamed Samir El Khamlichi, le 23 juillet au Musée juif de Casablanca. Crédits : Yassine Toumi / TelQuel

« Min hachamaim tenouhamou » (Qu’Hachem vous console), dit-on en hébreu pour présenter ses condoléances dans la tradition juive séfarade. La formule est de circonstance alors que la communauté juive marocaine est endeuillée par la disparition de Boris Toledano. Le président de la Communauté juive de Casablanca s’est éteint le 10 août dans la capitale économique, « de sa belle mort ». Il avait 95 ans. En 2006, Mohammed VI l’a décoré du Wissam alaouite. Le mois dernier, c’est l’ambassadeur d’Espagne qui lui a remis la plus haute distinction espagnole à Rabat. Ceux qui l’ont connu pleurent la disparition d’un homme au parcours extraordinaire, humblement et entièrement dévoué à sa communauté.

Décoration de Boris Toledano par le Roi Mohammed VI en 2006. Crédit : MAP
Décoration de Boris Toledano par le Roi Mohammed VI en 2006. Crédit : MAP

Un Solal dans les Brigades internationales

Né en 1921 à Larache, d’un père rabbin et notaire, et d’une mère hispanophone, Boris Toledano a suivi les cours en français de l’école de l’Alliance israélite, expliquait-il en 2012 au Magazine Version Homme (VH). En 1935, il part faire ses études à Alicante, en Espagne. C’est à ce moment-là que l’insurrection franquiste démarre au Maroc, et bloque ses parents à Larache. Lui, tout jeune, est de l’autre côté de la Méditerranée. Lorsqu’il est en âge de prendre les armes, il rejoint l’armée régulière républicaine dans les rangs du 5e régiment basé à Saragosse. Aux côtés des Brigades internationales, l’exaltation de la guerre lui fait trouver « un côté romantique ». « Il a connu cette période exaltante aux côtés des plus grands, en étant engagé dès sa plus tendre jeunesse. Il a su additionner tous ses rendez-vous avec l’Histoire », témoigne son « complice » André Azoulay, qui voit en lui un Solal, héros du roman éponyme de l’écrivain suisse Albert Cohen.

Avec l’alliance de Mussolini et d’Hitler, les troupes franquistes enchainent les victoires. Celui qui parlait « l’espagnol fleuri et lyrique de Cervantès » trouve alors refuge dans le bastion républicain, à Barcelone. Il traverse ensuite les Pyrénées à pied vers la France. Il y est retenu quelque temps dans un camp près de Perpignan. En prouvant sa nationalité marocaine, il parvient finalement à fuir vers le Maroc, après avoir envisagé de poursuivre le combat républicain au Mexique.

Des affaires en cartons

De retour au pays, il travaille un temps dans un atelier de maintenance pour l’aviation, puis comme agent à la société « Le Carton ». Pendant la Seconde Guerre mondiale, il noue des liens avec le colonel Marks. L’officier anglais le fournit en matières premières pour lancer son affaire : Macarpa. Il récupère du papier usager pour le vendre aux fabricants de carton. Installé à Casablanca, c’est à cette époque qu’il rencontre Inès Benezra, dont la famille a fuit l’Italie fasciste. Ils se marient en 1947 et auront trois fils. Le second, Sidney, né en 1951, est aujourd’hui PDG de la maison de haute couture Christian Dior. Lorsqu’Inès décède à l’âge de 48 ans, Boris Toledano traverse une période de dépression avant de rencontrer Yolande qui deviendra sa seconde épouse. Ensemble, ils fonderont « Home des vieux », une maison de retraite pour les juifs marocains, puis feront construire 35 studios meublés à proximité pour les nécessiteux.

« Juste parmi les justes »

« C’était la cheville ouvrière de la Communauté juive casablancaise », livre Serge Berdugo, secrétaire général du Conseil de la communauté israélite du Maroc. Boris Toledano est entré au Comité de la Communauté en 1972. Il s’est alors détaché petit à petit des affaires, pour finalement prendre sa retraite et vendre sa société à la fin des années 70. Depuis, il se consacrait entièrement à sa communauté. Boris Toledano a également été conseiller municipal de la ville de Casablanca pendant 8 ans. « Il était de tous les combats, de toutes les initiatives caritatives, il ne manquait jamais un rassemblement culturel », poursuit Serge Berdugo, « son binôme ». « Avec lui, on a remis au gout du jour les pèlerinages. On reçoit plus de 10 000 pèlerins chaque année désormais. Pour tout ce qui concerne les prescriptions rituelles, le cacher, les synagogues, c’est lui qui gérait au jour le jour. Sans parler de la bienfaisance, des œuvres caritatives… » explique-t-il encore avant d’évoquer leur combat commun pour le Rassemblement mondial des juifs du Maroc.

« Il sacrifiait sa vie. C’est un juste parmi les justes », pour Jacques Toledano, président de la Fondation du patrimoine culturel judéo marocain et du Musée du judaïsme, cofondés avec Boris Toledano. « Il y a très peu de personnes qui ont cette éthique. Dans notre communauté, il faut remonter au Docteur Léon Benzaquen, le ministre des PTT du premier gouvernement de Mohammed V en 1956 », poursuit celui que Boris Toledano appelait « mon fils » au-delà du « petit cousinage » qui les unit.

Jusqu’au bout

Jusque dans ses derniers jours, Boris Toledano manifestait le dynamisme de son engagement. « Il s’est simplement éteint », confie son entourage. Dernièrement, il œuvrait directement avec Mohammed VI à la rénovation de la synagogue Ettedgui, dans le cadre de la réhabilitation de l’ancienne médina de Casablanca. « En juillet, il participait à un ftour au musée juif de Casablanca [réunissant juifs et musulmans, NDLR]. Au pied levé, il a répondu de façon magistrale au micro de 2M lorsque je l’ai sollicité », se souvient Monique El Grichi, directrice de l’agence de communication Mosaïk. « Avant-hier, j’évoquais encore des choses très précises avec lui », atteste Serge Berdugo. « Il devait nous rejoindre ce week-end à Marbella pour se reposer avec son fils Sidney », renchérit Jacques Toledano.

« Il aurait pu s’arrêter depuis longtemps, pourtant il a continué. Non pas pour être dans la lumière, mais parce qu’il savait qu’il était utile. C’était un grand frère pour chacun et ne connaissait pas de barrière sociale » confie André Azoulay. « J’essayais de le faire écrire, de le faire parler pour enregistrer, mais avec beaucoup de précautions parce qu’il était très modeste. Son service, son écoute, il le faisait avec spontanéité et altérité, » poursuit le conseiller royal se rappelant la « densité à la fois intellectuelle, spirituelle et personnelle » de son « ami ».

Boris Toledano sera inhumé le 11 août à 16 heures au cimetière Ben M’Sik à Casablanca, après les prières rituelles.

Funérailles de Boris Toledano. Crédit : Aicpress
Funérailles de Boris Toledano. Crédit : Aicpress

Les obsèques de Boris Toledano, ont eu lieu, jeudi au cimetière israélite de Casablanca en présence notamment d’Omar Azziman, d’Ahmed Taoufiq, de Mohamed Hassad, de Mohamed Amine Sbihi, de Khalid Safir, de Mustapha Bakkoury et de  Abdelaziz El Omari.

Funérailles Boris Toledano. Crédit : Aicpress
Funérailles de Boris Toledano. Crédit : Aicpress

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