Ta vie en l’air. La chaleur de la ville

Par Fatym Layachi

Il y a des jours que tu aimerais effacer, dont tu aimerais ne plus te souvenir. Ce dimanche en fait partie. Généralement, tes week-ends sont emplis de moments de fête et de bruit de verres qui trinquent ou alors de longues heures à regarder des séries affalée en pyjama sur un canapé à te nourrir sans la moindre cohérence. Mais cette fois, ce n’est ni l’un ni l’autre. Rien n’est vraiment réjouissant ni franchement reposant. Tu as été voir une tante alitée, tu es passée récupérer des papiers chez Zee, tu as été rendre des livres à un pote et tu as erré à la recherche d’une pharmacie de garde. Définitivement rien d’exaltant ! Et surtout tu as passé un temps fou dans ta voiture. Tu y es encore d’ailleurs.

 

Tu regardes cette ville accablée par la chaleur à travers ton parebrise. Les rues sont désertes. C’est dimanche et il fait très chaud. Il n’en faut pas plus pour tuer tout semblant d’activité et donner à ton environnement urbain une allure de Far-West. Le suspense et les grands espaces pour les chevauchées fantastiques en moins. Autour de toi, il n’y a pas grand-chose qui fasse rêver. Tu es confinée dans ta voiture, les portières sont verrouillées, le kit mains libres de ton iPhone activé. Le thermomètre indique 34 degrés. Ta clim est réglée sur 19. Tu es en perpétuel décalage. Tu regardes autour de toi et tu vois des avenues d’une tristesse inouïe. Des barres d’immeubles où sont parquées de pauvres âmes, pas le moindre espace vert pour qu’elles puissent s’évader, pour mettre de côté une vie de labeur à l’étroit entre quatre murs. Pas de bancs à l’ombre d’un arbre. Pas d’ombre du tout d’ailleurs. Des palmiers à moitié morts bordent la chaussée. Le mec qui a eu l’idée saugrenue de les planter devait être, comme toi, en total décalage. Il rêvait probablement de Los Angeles, d’Erfoud ou d’Arizona. Il est dans une ville trop étendue, trop polluée et trop humide. Tu roules sur une chaussée à moitié défoncée alors qu’elle a été refaite il y a six mois. Il doit faire trop chaud pour s’en plaindre. Tu doubles des bus que seul un miracle divin semble faire rouler. Tu te dis qu’heureusement qu’il y a la foi et le destin sur cette rive de la Méditerranée, parce que s’il fallait compter sur le service de maintenance des transports publics ce serait bien plus osé comme pari. Au feu rouge, tu vois une famille entassée descendre d’un grand taxi. Les parents sont en sueur et ont l’air déjà épuisés. Ils veulent juste emmener leurs gamins à la plage. Tu n’oses pas imaginer à quel point ça doit être compliqué et coûteux pour eux. Même les plaisirs simples ne le sont pas forcément. Il y a des soirs où tu as l’alcool triste, cet après-midi c’est ton errance qui l’est. Tu ne vois pas comment cette ville peut rendre heureux.

Tu as conscience de la chance que tu as de vivre dans le confort d’un aquarium doré, mais ce n’est pas joyeux pour autant. Un enfermement ne l’est jamais. Tes pensées s’égarent. Tu ne vois pas le panneau stop et continues d’avancer. Un flic t’arrête. Tu baisses ta vitre. Généralement, dans ce genre de situation tu te comportes comme une petite conne hautaine, mais aujourd’hui tu te sens honteuse. Tu regardes ce monsieur en uniforme, et même lui te fait de la peine. Son front dégouline, ses yeux ne brillent plus, sa chemise est froissée, la peau de ses mains toute fripée. Va savoir depuis combien d’heures il est planté sur ce carrefour, en plein soleil. Il te signale ton infraction, tu fais oui de la tête. Tu lui tends tes papiers. Tu t’excuses. Un peu pour le stop et beaucoup pour le reste. Il remplit ton P.V. Tu paies ta contravention en espérant que tes impôts servent un jour à l’amélioration des services publics. Tu récupères ton permis, refermes ta fenêtre, et malgré la clim et le confort des sièges de ta voiture tu as du mal à ne pas être envahie par la tristesse. Tu mets la musique plus fort. Tu aimerais ne plus entendre aucun bruit.