Éditorial. Le pouvoir n’est pas là où il s’affiche

Par Aicha Akalay

L’économie marocaine navigue à vue et l’État ne joue pas son rôle. Ce n’est pas nous qui le disons, mais la Cour des comptes, qui l’exprime dans les termes suivants : “Le rôle de l’État-stratège reste insuffisamment clarifié”. Sur 200 pages de rapport, les magistrats, sous la présidence de Driss Jettou, se livrent à une radioscopie du secteur des établissements et entreprises publics (EEP). Leur diagnostic est alarmant. Les stratégies adoptées par nombre d’EEP sont définies indépendamment des politiques publiques. Leurs missions sont en décalage par rapport à leur environnement. La nomination des dirigeants se fait souvent sans lettre de mission, sans objectifs fixés. Les rémunérations de ces mêmes dirigeants ne répondent à aucune logique de grille ou de résultat. Et encore, cette liste de dysfonctionnements n’est pas exhaustive. Nous ne parlons pas ici de quelques obscures entreprises étatiques, mais des “leviers incontournables” de notre économie que sont l’OCP, la CDG, l’ONEE ou encore le CIH.

Sous d’autres cieux, un rapport aussi accablant aurait fait grand bruit. Chez nous, on se demande même si certains l’ont lu (ou compris). On eût aimé que le gouvernement, au lieu de polémiquer sur des futilités, en prenne la mesure. Les problèmes soulevés sont déterminants pour le développement. Avec la Cour des comptes, nous avons la chance d’avoir une institution publique, dont le premier président est nommé par le roi et qui ne travaille pas selon une transparence en trompe-l’œil. Puisqu’un espace de liberté est ouvert, autant en profiter pour aborder les vrais problèmes. Selon les magistrats, qui s’appuient sur les meilleures pratiques constatées dans d’autres pays, les pouvoirs publics devraient élaborer des stratégies que les entreprises publiques appliqueraient. Ainsi, la réflexion se ferait au niveau de l’État et la partie opérationnelle assurée par les EEP. Cette logique ne peut s’appliquer aux EEP devenus des SA, qui n’ont de compte à rendre qu’à leur conseil d’administration où siègent, entre autres, des ministres.

Mais peut-on imaginer que la stratégie de l’OCP ou de l’ONEE soit décidée dans le bureau de Abdelkader Aâmara et que Mostafa Terrab et Ali Fassi Fihri soient de simples exécutants ? Un scénario qui fait sourire tous ceux qui sont informés des jeux de pouvoir dans le royaume. L’un est issu d’une majorité pas toujours qualifiée sur les dossiers stratégiques, les autres sont nommés par le Palais. La vraie question est de savoir qui doit jouer le rôle d’État-stratège : le gouvernement élu démocratiquement ou le roi ? Aujourd’hui, le pouvoir exécutif a deux têtes. Le gouvernement est représenté dans les conseils d’administration des entreprises publiques, mais il n’exerce toujours pas de réels pouvoirs. Le Palais n’a pas de représentant direct, mais son influence est réelle. Si on ne peut raisonnablement pas remettre en cause le droit de regard de la monarchie sur les secteurs stratégiques – elle garantit une vision de long terme des intérêts du pays au-delà d’un agenda électoral –, il faut par contre exiger que son champ d’intervention soit institutionnalisé. Et encadré.