Éditorial. El Himma partout, transparence nulle part

Par Aicha Akalay

Sa place est toujours sur le siège passager des voitures de Mohammed VI. Il y a neuf ans, en quittant l’hémicycle après la séance d’ouverture de la session d’automne du parlement, Fouad Ali El Himma, alors fraîchement élu député de Benguerir, était raccompagné par le roi au volant d'une rutilante Mercedes décapotable.

Il y a quelques jours encore, à bord d’une Rolls-Royce décapotable rouge, les deux amis s’offraient une balade dans le quartier Agdal à Rabat, à quelques heures de la rupture du jeûne. Le scénario est invariablement le même : Mohammed VI conduit et son passager Fouad Ali El Himma est à sa droite. Depuis les années du collège royal, ils sont inséparables. Cette dynamique, tout le Maroc le sait, ne se limite pas à la sphère privée. L’ami du roi est son plus influent conseiller et s’est durablement imposé en tant que numéro 2 du royaume.

L’évolution du personnage Fouad Ali El Himma est d’ailleurs à l’image des préoccupations de la monarchie. Pendant les dix premières années de règne, l’ami du roi était porteur d’un projet royal qu’il défendait auprès de tous, politiques et journalistes, même auprès des plus critiques d’entre eux. Il s’agissait d’ancrer le Maroc dans la modernité et la démocratie, en réglant le passif autoritaire de Hassan II et en accélérant les réformes. Certes, les méthodes étaient discutables. Fouad Ali El Himma, qui a passé plus de 20 ans dans les couloirs du ministère de l’Intérieur, reste un homme du Makhzen. Mais le projet, lui, était limpide. A l’époque, une source de TelQuel le décrivait dans nos pages en ces termes : “Il agit à la manière d’un sous-marin, inexistant en surface mais à la présence diffuse, informelle, que l’on peut soupçonner partout”. Si cette description colle toujours au personnage aujourd’hui, le projet El Himma a perdu ses oripeaux modernistes sans rien abandonner de ses zones d’ombre. Surtout depuis que les vents du Printemps arabe ont secoué la maison PAM, le parti fondé par Si Fouad et qu’il a dû quitter en 2011 pour rejoindre le cabinet royal.

Fini l’ambition démocratique. Fouad Ali El Himma s’occupe désormais de diplomatie, de Sahara et de sécurité. La priorité du règne c’est la stabilité. Et le rôle de décodeur que jouait “l’ombre du roi” n’existe plus. A 54 ans, Fouad Ali El Himma gère les menaces directes pour le trône. Et en l’absence d’explications, de décryptage de la vision royale, l’avenir est anxiogène. On peut comprendre – sans l’approuver – la discrétion des conseillers de Mohammed VI. Mais quand ils agissent dans l’ombre, en marionnettistes, la tentation de l’arbitraire est grande. La crainte qui entoure le personnage n’est pas saine. Plus personne n’ose le nommer, même Benkirane, téméraire à une époque, tait désormais le nom d’El Himma.

On le dit démiurge et on lui prête les plus fulgurantes ascensions comme les chutes les plus violentes. Cette suspicion nourrit les plus bêtes théories du complot et l’accusation de “tahakkoum” (domination hégémonique), lesquelles fleurissent, y compris dans les hautes sphères de l’Etat. Un pouvoir qui n’est pas circonscrit paraît illimité. Fantasme ou réalité ? Il serait temps de rassurer.