Les débuts timides de la fibre optique au Maroc

La fibre optique équipe déjà de grands projets immobiliers, mais elle peine à se démocratiser dans les foyers marocains. Elle est pourtant l'avenir des connexions Internet.

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Crédit: Epic Fireworks/Flickr Crédit: Epic Fireworks/Flickr

Commençons par vous faire rêver : imaginez-vous dans votre salon, connecté à la vitesse de 1 Gb par seconde, soit mille mégas. Cela représente les débits qu’atteignent déjà certaines maisons connectées à la fibre optique en Asie, en Europe et en Amérique du Nord. À cette vitesse, le confort d’utilisation du réseau domestique est total. Projetons-nous, maintenant, dans un futur pas si lointain, en imaginant un chirurgien aux États-Unis opérant un patient au Maroc atteint d’une forme rare de tumeur avec un robot connecté au réseau. Si elle n’est pas démocratisée encore, la chirurgie en télémédecine est une réalité grâce à la convergence de plusieurs technologies de pointe, dont le très haut débit, appelé pour ses applications grand public FTTH (Fiber to the home : la fibre jusqu’à la maison). Revenons maintenant sur (notre) terre : des vitesses aussi importantes et stables sont encore loin de devenir la norme au Maroc, et ce essentiellement à cause de défis réglementaires bloquant le déploiement de la fibre.

Un grand investisseur dans le secteur au Maroc nous le confie en off : le royaume est même à la traîne dans le domaine, même si les institutionnels et les grands groupes s’y mettent déjà. Les organisateurs du deuxième symposium «Fibre optique et bâtiments intelligent», organisé le 24 mai à Casablanca, ont, eux, choisi un ton plus optimiste et consensuel : «Généraliser le très haut débit partout et pour tous». Cet événement, sponsorisé par un des trois opérateurs, se veut un appel aux promoteurs immobiliers d’installer la fibre dans leurs projets, en attendant sa généralisation au Maroc.

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Indispensable pour les grands projets

Pour bien comprendre l’enjeu, il faut partir de l’infiniment petit : la composition de la fibre optique. De l’extérieur, il s’agit d’un câble comme un autre, mais à l’intérieur se cache un faisceau de minuscules filaments de verre ou de plastique qui transporte les données à la vitesse de la lumière. La technologie a été créée dans les années 1970, mais n’a vu son développement s’accélérer partout dans le monde que pendant les années 2000, remplaçant les réseaux classiques en cuivre déployés jusque-là. Pour faire simple : les câbles du téléphone, servant aussi au transport des données, sont désormais désuets et sont remplacés petit à petit.

Le Maroc compte plusieurs milliers de kilomètres de fibre, dont une partie seulement est utilisée pour le moment pour un usage domestique (ni l’ANRT ni  aucun des trois opérateurs ne fournit de chiffre sur le nombre de clients résidentiels). Il est ainsi intéressant de relever que le tramway de Casablanca utilise la fibre, tout aussi bien que le futur TGV, qui ne pourra «tout simplement pas marcher sans», remarque Stéphane Wolsztynski, directeur développement chez Finatech Group, filiale high-tech du géant national Financecom et qui travaille sur de grands projets d’infrastructures au Maroc et en Afrique.

Casablanca aura recours à un réseau de 400 kilomètres de fibre pour connecter les caméras de son vaste programme de vidéosurveillance. À Marrakech, le projet d’interconnexion des hôpitaux de la ville prévoit l’utilisation de la fibre : un médecin pourra consulter la radiographie d’un patient en un éclair, ce qui peut sauver des vies.

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Pour plusieurs pays du monde, l’urgence est de doter les villes d’un maillage capable de transporter les volumes de plus en plus gros de données, nécessaires au développement d’Internet. Streaming vidéo, images de surveillance, gaming mais aussi télémédecine, domotique, infrastructures publiques… Les applications sont nombreuses et la nécessité de se doter de milliers de kilomètres de ces câbles pour rester dans la course technologique est impérative.

La fibre est aussi beaucoup moins énergivore que les réseaux classiques et infiniment plus fiable, occasionnant très peu de perte de données. Elle est même moins chère à déployer que les réseaux de cuivre et comme le répète Rachid Naanani, directeur général d’une entreprise du secteur de la construction : «ne pas opter la fibre, c’est insulter l’avenir». Il appelle les promoteurs à installer la fibre au moment de la construction pour éviter de «fibrer» a posteriori. L’on parle de 100 000 logements nouveaux construits chaque année, équipés pour leur majorité en câbles de cuivre. Si les promoteurs de grands projets ont déjà franchi le pas (des groupes comme Palmeraie Developpement et la CGI proposent par exemple des logements déjà fibrés) ce n’est toujours pas le cas de la majorité des autres projets immobiliers dans le royaume.

Les anciennes habitations peuvent être raccordées, mais cela nécessite des travaux qui peuvent s’avérer coûteux, d’où l’intérêt de s’y prendre avant quand cela est possible. Naanani, qui a équipé pour la première fois des logements sociaux en fibre à Tétouan, affirme que ces installations sont moins chères que le cuivre et représentent un « argument commercial » que le promoteur peut faire valoir à la vente. C’est d’ailleurs un point avancé par l’architecte et promoteur Rachid Khayatey, un des premiers à avoir vendus des bâtiments fibrés proposant une offre « quadriplay »(Internet, télévision, téléphone et vidéosurveillance).

Dura Lex…

Si la fibre est à ce point intéressante, pourquoi n’est-elle pas déjà d’ores et déjà répandue ? Des offres commerciales existent bel et bien mais le déploiement n’en est encore qu’à ses balbutiements. La réglementation accuse un retard sur plusieurs plans, notamment sur le partage des infrastructures, freinant la démocratisation de la fibre.

«Le manque d’une vraie concurrence freine le développement du très haut débit», assène Saloua Karkri Belkeziz, présidente de l’APEBI (Fédération marocaine des technologies de l’information, des télécommunications et de l’offshoring). L’avenir des télécoms passera, selon elle, par ces minces filaments et non pas seulement par les évolutions des technologies sans-fil : «Le mobile ne dépassera pas les 20% de l’ensemble du trafic en 2030», note-t-elle.

Pour se mettre au diapason, le royaume doit commencer par revoir sa législation. «Si l’Agence nationale de réglementation des télécom (ANRT) a adopté les lignes directrices pour la généralisation de la fibre en 2014, nous attendons toujours l’adoption de la loi 121-12 (relative à la poste et aux télécommunications) par le Parlement», rappelle Ahmed Khaouja, ancien directeur des opérateurs et de la concurrence à l’ANRT. Ce texte devrait détailler les modalités de partage des infrastructures qui constituent le nerf de la guerre entre les trois opérateurs nationaux.

Deux autres lois doivent aussi subir un dépoussiérage ajoute Khaouja. Il s’agit de celles relatives à l’urbanisme (l’article 44 de la loi 12-90 et l’article 19 de la loi 25-90). Leur amendement devrait détailler l’obligation de fibrer les nouveaux logements, à l’image de ce qui a été appliqué dans des pays comme la France et l’Espagne.

Dans l’hexagone, une loi impose par exemple que tout logement neuf soit fibré et encadre très précisément l’installation et la maintenance des réseaux de fibre optique. En Espagne, le pays qui enregistre la plus forte pénétration de la fibre en Europe, le législateur a autorisé l’installation de fibre sur les façades des immeubles. Rien de tout cela pour le moment au Maroc, qui se veut pourtant un futur hub technologique dans la région.

Les précurseurs

L’université euro-méditerranéenne de Fès sera entièrement fibrée, connectée et conçue en fonction du besoin et de la circulation des infos, assure l’architecte Houyame Mourchid, du cabinet Reichen et Robert&Associés en charge du projet, dont le premier bâtiment sera livré en septembre 2016. L’écocité de Zenata sera dotée d’un passage piéton de 14 kilomètres, ponctué d’espace d’information pensés en salons urbains connectés grâce à la fibre. La futur tour Othmane Benjelloun sera entièrement fibrée, tout aussi bien que le quartier des affaires. Bref, tous les grands projets du Maroc seront équipé en fibre. Sur ce point, le Maroc est à la page. Last but not least: le royaume est le seul pays du continent qui accueille une usine du géant mondial Furukawa, qui va fabriquer à partir de 2017 les câbles de fibre optique au Maroc.

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Fibre et développement

Il existe une corrélation entre le développement d’un pays et le déploiement de la fibre. Le PIB d’une nation augmente de 1,5 point quand le taux de pénétration de la fibre atteint les 10%, selon une étude du cabinet Mackinsey, citée par Jacques Fiorella, Directeur général de Furukawa Electric Maroc. Doubler la vitesse de connexion dans un pays augmente le PIB de 0,3 point d’après la même étude. Aussi, la productivité est augmentée de 14% dans les entreprises dotées de fibre. Le représentant du géant japonais n’a pas manqué de fustigé le taux de déconnexion actuel au Maroc, autour de 5 fois toutes les 20 minutes lors des vidéoconférences.[/encadre]

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