Ta vie en l'air. L’arbre qui cache la réalité

Par Fatym Layachi

Tu savais que le printemps ne tenait que rarement ses promesses, mais tu ne t’attendais pas pour autant à avoir si froid au mois de mai. Tu aurais préféré te fier à l’adage et ne faire que ce qu’il te plaît.

Mais cette année c’est différent, tu ne peux pas commencer à profiter de terrasses et des robes légères. Et comme tu ne veux pas te plaindre constamment, alors tu flânes. Tu traverses la ville bien enfermée dans ta petite voiture. Tu regardes par la fenêtre. Tu essaies même d’apprécier le paysage. Et puis tu constates qu’il y a d’énormes chantiers partout. Des carrefours qui fleurissent, des tramways qui s’étendent, des quartiers qui sont redessinés, des centres culturels qui vont voir le jour et surtout des résidences qui se construisent. Des immeubles, des immeubles, des immeubles et encore des immeubles. Pas d’arbres, pas d’espace de loisirs, juste des immeubles.

Mais quand tu regardes sur les images qui s’affichent sur les palissades, il y a de la verdure et des gens heureux. Des illustrations de la vie de famille parfaite. Papa, maman et les enfants. Une petite tribu souriante. Le modèle du bonheur parfait sans lequel le salut ne serait pas possible. Certes tu pourrais faire remarquer que le bonheur ne ressemble pas forcément à cette vie de famille souriante. Ou du moins que ce n’est pas uniquement ça et qu’il existe peut-être d’autres façons d’être heureux. Mais bon, tu es beaucoup trop sage pour ne serait-ce qu’oser remettre en cause ce sacro-saint chemin. Ce qui t’interpelle le plus c’est à quel point ces images modèles n’ont rien d’un modèle justement. Bien sûr il s’agit d’une vision idyllique de la vie sur papier glacé qui s’affiche sur les murs de la ville, comme pour te dire que la modernité doit ressembler à ça. Bien sûr que tu as conscience que la publicité est censée être une amélioration de la réalité, et tu veux bien jouer le jeu. Mais de là à ce qu’il n’y ait aucun rapport avec la réalité tu trouves ça tout de même extrêmement exagéré. Parce que quand tu regardes autour de toi, tu te dis que même avec toute la bonne volonté du monde, rien ne pourra jamais ressembler de près ou de loin à ces images. Déjà ce serait bien de commencer par faire exister ces arbres qu’on adore exhiber sur des panneaux, mais qu’on a tendance à oublier de planter. Parce qu’en plus d’être assez joli, ça produit de l’oxygène, un arbre, et il serait temps de reconnaître que c’est assez pratique pour la vie, l’oxygène. Mais surtout, ce qui serait vachement bien c’est que toi, tes potes, ta famille, tes voisins et tous tes concitoyens puissiez vous projeter dans ces images, que vous puissiez vous y reconnaître.

Tu es entourée de scènes de bonheur avec des gens heureux qui ont l’air d’être à Madrid ou Stockholm plutôt qu’à Casa ou Agadir. C’est un peu absurde non ? Sans rien renier de l’aspect cosmopolite du plus beau pays du monde, tu te dis que ce serait bien si les publicitaires puisaient dans des images un peu plus locales. Ce serait un peu plus réaliste, un peu plus inspirant aussi. Bref, que les rues qu’on te dessine ressemblent plus aux rues qui t’entourent. Avec moins de grands gaillards blonds, avec plus de teints hâlés, moins de costumes, moins de pistes cyclables, plus de jellabas, plus de contrastes aussi. Plus de tout ce qui fait la beauté et la singularité de ce pays. Tu ne dis pas que notre réalité est sublime tous les jours. Mais l’herbe n’est pas forcément plus verte ailleurs. Il serait peut-être temps d’arrêter de se référencer constamment ailleurs et de commencer à puiser son inspiration ici. Pour cesser d’être dans l’auto-dépréciation permanente et de s’infliger de la hogra à soi-même. Ce serait un bon début.