Driss Jettou alerte sur le “danger” du déséquilibre des régimes de retraite

Lors de son passage devant le Parlement pour présenter le rapport annuel de la Cour des comptes, Driss Jettou a dressé un sombre tableau de la situation des régimes de retraite.

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Crédit: R. Tniouni

Alors que le gouvernement feraille pour faire passer la loi relative à la réforme des régimes de retraite, le diagnostic qui est établi de ces régimes par le président de la Cour des comptes est sans appel. «Le déséquilibre des régimes de retraite constitue un grand danger pour les finances publiques, à même de menacer la pérennité de ces régimes et leur capacité à honorer leurs engagements dans l’avenir envers les actuels et les futurs retraités», a expliqué Driss Jettou le 4 mai lors d’une séance plénière qui a rassemblé les députés des deux chambres du Parlement.

L’ancien Premier ministre a dressé un sombre tableau de la situation de ces régimes. Il n’a pas hésité à démonter la loi proposée par le gouvernement car, même si elle est adoptée, la Caisse marocaine des retraites (CMR) épuisera toutes ses réserves à l’horizon de 2028. Durant les années 2014, 2015 et 2016, la CMR a enregistré respectivement un déficit de 936 millions de dirhams, de 2.8 milliards de dirhams et de 6.8 milliards de dirhams. Ce qui fait un déficit total de 10.6 milliards de dirhams durant les trois dernières années. Malgré sa nécessité et son urgence, souligne Jettou, la proposition de réforme avancée ne résorbera qu’une partie du déficit de la caisse des retraites, en le diminuant de 6.8 milliards de dirhams en 2016 à 3.2 milliards en 2017. Mais, très vite, cette réforme sera rattrapée par le déficit qui devrait se creuser à nouveau et qui continuera à augmenter jusqu’à 2028, l’année d’épuisement des réserves. Le problème de la CMR est désormais structurel parce que «les cotisations ne couvrent plus les engagements de la caisse», explique le président de la Cour des comptes.

La problématique démographique pèse

Driss Jettou présente deux facteurs fondamentaux qui expliquent cette tendance déficitaire. D’abord, l’évolution démographique qui pèse de tout son poids sur les régimes de retraite avec l’amélioration de l’espérance de vie. Nous sommes actuellement à 2,5 cotisants actifs pour chaque retraité. Entre 2000 et 2015, le nombre des cotisants actifs a augmenté de 15%, alors que sur la même période, le nombre des retraités a augmenté de 160%. Le nombre des retraités est passé de 120 000 en 2000 à 313 000 en 2016. il atteindra le chiffre de 443 000 en 2020. En plus de la démographie, Jettou ajoute la hausse des salaires aux raisons des problèmes de la caisse. Ainsi, la moyenne des pensions de retraite en 2015 est de 6 482. Ce chiffre atteindra 11 000 dirhams pour les retraités de 2020.

Cette situation concerne aussi la caisse de retraite de l’Office nationale de l’eau et l’électricité. Driss Jettou a souligné «l’urgence de régler la gestion la caisse interne relevant de la responsabilité directe de l’ONEE». Cette caisse qui a, elle aussi, des problèmes sur la pérennité accuse des engagements envers ses retraités à hauteur de 19.7 milliards de dirhams en 2015. Jettou recommande que cette caisse soit cédée à une «des institutions spécialisées, à l’image de la méthode suivie par des organismes publics comme l’OCP et l’ONCF».

La réforme actuelle n’a pas non plus réglé la question des départs anticipés à la retraite, martèle Jettou. «Si les départs à la retraite avant l’âge légal n’a pas dépassé 1 250 cas dans les 9 dernières années (2006-2014), ils ont augmenté d’une façon considérable à plus de 7 500 durant 2015», avertit-il. 85% de ces départs concernent le secteur de l’éducation. À cet effet, Jettou recommande de fixer un âge légal de départ à la retraite comme c’est le cas pour la CNSS ou en «adoptant une décote adéquate qui préserverait la neutralité de l’opération pour le régime».

La réforme du gouvernement est insuffisante

Dans la même lignée, Driss Jettou rappelle aux parlementaires et au gouvernement que les réformes paramétriques ne régleront que «relativement le déficit que connaissent les régimes des retraites». Cette vérité, Jettou n’a cessé de la signaler. En 2013 déjà, il avait attiré l’attention du gouvernement en publiant un rapport accablant sur le régimes de retraite. Trois ans après, aucune réforme n’a vu le jour. Pis, on s’acharne à vouloir passer des réformettes. Car, au lieu de régler le problème de déficit structurel de la CMR, on ne fait que repousser l’échéance de sa faillite. Jettou explique encore une fois son approche, peut-être cette fois-ci trouvera-t-elle écho chez le gouvernement et les élus de la nation.

La réforme paramétrique proposée ne concerne que la CMR et n’opère même pas «un rapprochement entre les régimes de retraite civile dans le secteur public». À titre d’exemple, Jettou cite l’âge de départ à la retraite à 63 ans prévu par le projet de réforme de la CMR alors qu’il demeure fixé à 60 ans dans le régime collectif des allocations de retraites (RCAR). Les systèmes adoptés par les différentes caisse gérant le pôle public sont différents. Il faut homogénéiser les systèmes. Jettou a d’ailleurs préconisé en 2015 une réforme en deux étapes relevant du cadre systémique. La création de deux pôles, l’un privé  avec la CNSS et l’autre public en regroupant la CMR et le RCAR. La seconde étape consisterait à les fusionner en un régime unique tout en mettant en place d’autres régimes complémentaires.

À défaut, le Maroc court un grave danger, car il ne faut pas perdre de vue que les réserves des caisses de retraite «constituent une importante source de financement de l’économie». Si ses réserves baissent ou s’épuisent, cela aurait «des effets désastreux sur le financement du trésors et des marchés financiers», avertit-il.

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