À l’épreuve du temps. Croire ou ne pas croire

Par Abdellah Tourabi

Contrairement aux préjugés et idées reçues, il existe dans la littérature religieuse musulmane des bijoux de modernité et d’audace intellectuelle. Des livres qui abordent avec courage et lucidité des questions qui demeurent toujours d’actualité.

C’est le cas par exemple de La liberté religieuse en islam, un livre écrit par l’égyptien Abdelmoutâal Al Saîdi il y a plus de 60 ans. Imam et enseignant à l’université Al Azhar, influencé par le salafisme éclairé de Mohamed Abdou, Al Saîdi a dédié une grande partie de sa vie à défendre une vision moderne et ouverte de l’islam. Des positions qui lui ont valu une hostilité ouverte de ses confrères, conservateurs et traditionnels, d’Al Azhar. D’ailleurs, La liberté religieuse en islam est composé comme une réponse aux tenants d’une lecture rigide du Coran, qui n’y décèlent qu’interdictions et privations.

Dans ce livre, Al Saîdi défend ardemment la liberté de conscience en islam. En se basant sur le verset “Nulle contrainte en matière de religion”, il fait de la liberté de conscience un principe primordial et une règle qui s’imposent à tout le monde. Selon lui, personne ne peut obliger un individu à embrasser l’islam par la force et la violence, comme il n’existe aucune autorité sur terre suffisamment légitime pour punir celui qui décide de s’en détourner. Avec une démonstration magistrale, sources religieuses à l’appui, il explique que le châtiment de celui qui s’en détourne est d’ordre divin, qui se déroule dans l’au-delà, mais jamais sur terre. Abdelmoutâal Al Saîdi, mort en 1966, s’oppose fermement à l’idée du jihad pour imposer l’islam aux autres. Pour lui, la liberté est un bien commun à l’humanité et la religion doit être forte par sa capacité à convaincre, séduire et incarner un modèle. Les idées de cet homme éclairé et courageux méritent d’être rappelées, car elles sont encore d’actualité. La question de la liberté de conscience n’est pas encore réglée dans le monde musulman, y compris au Maroc. Notre pays a raté une occasion inespérée en refusant de consacrer ce principe dans la Constitution de 2011, pourtant ambitieuse au niveau de l’énonciation des libertés et des droits. L’opposition des conservateurs, et notamment le PJD, à l’inscription de la liberté de conscience dans la Constitution était vaine et inutile.

L’exercice de cette liberté n’est ni une subversion ni une insulte à la religion. Elle est l’affirmation d’un choix personnel, d’un rapport direct et réfléchi avec la foi et ne porte atteinte à personne. Dans un pays qui se veut à la pointe de la démocratie et du respect des droits de l’Homme dans sa région, le lien qui relie entre eux les individus est celui de la citoyenneté et de la nation. La religion est un fondement culturel et un ciment social, mais elle ne doit pas relever de la foi aveugle qui s’impose à tous. La foi est basée avant tout sur une liberté simple et essentielle, celle de croire ou de ne pas croire, comme c’est énoncé souvent dans le Coran. Une évidence qu’on préfère sacrifier sur l’autel du calcul politique et de l’aveuglement doctrinaire.