Abderrahmane Zahid, d’un simple mécanicien à la tête d’un grand empire

Mort des suites d’une longue maladie le 16 avril, à l’âge de 78 ans dans un hôpital allemand, Abderrahmane Zahid était l’un des entrepreneurs les plus respectés dans les milieux d’affaires. Retour sur le parcours atypique d'un autodidacte, en qui se sont conjuguées beaucoup d’aptitudes.

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Self-made-man, il l’était sans aucun doute. Homme d’affaires énergique, ambitieux, avec un grand sens du détail, Abderrahmane Zahid, originaire de Sraghna, traduisait les aspirations de tout un pays vers l’épanouissement. L’homme avait cet atout de présenter dans sa personne une illustre image de la réussite, dans une époque où la déveine, la misère et le dénuement recrutaient dans toutes les conditions. «Je voulais ouvrir mon propre garage, comme mon employeur. J’avais des plans pour ma vie, je voulais apprendre plus et faire travailler des gens. Je me suis offert mon premier camion en 1971, pour finir avec 28 camions» confiait-il à Médi1 TV, en 2010.

Le modeste mécanicien, qui s’est donné de longues années dans les intervalles du travail manuel, voyait grand. Instruit dès son jeune âge au réalisme par l’enseignement de la vie, il émerge de la classe populaire pour fonder, pas-à-pas, son propre empire. L’homme, selon son entourage, était affable, discret, avenant et engageant. Fidèle à ses origines modestes et à sa démarche solitaire, l’homme qui a déclaré un jour «préférer vivre dans son pays avec un bout de pain et quelques olives que d’aller vivre confortablement ailleurs» a toujours suscité l’enthousiasme. 

Mécanicien de métier, dans un atelier où il a «professionnellement grandi avec ses compatriotes juifs», le jeune Abderrahmane examinait les véhicules à l’arrivée et au départ. «Je n’avais même pas 500 dirhams dans mes poches quand j’ai quitté mon boulot, alors que je venais juste de me marier et d’avoir mon premier enfant», se souvient-il, amusé, toujours au micro de Médi1 TV. En 1976, un monde nouveau se révélait pour le natif de Kalaât Sraghna qui vient de créer, avec son ancien employeur français, une société de transport à Marrakech, Transport Ménara Sotrasouss, avec comme activité le transport routier de marchandise sur l’ensemble du territoire national. Une autre société exerçant la même activité, émergera plus tard à Agadir. Quelques années plus tard, en 1989, Zahid se lance dans l’exploitation des carrières et devient, en un rien de temps, un important producteur et transporteur de granulats pour le BTP.

Clairvoyant, Abderrahmane Zahid intègre le préfabriqué dans ses activités dès 1994 en prévision des besoins du marché. Son pari était fort bien pensé puisque la société dédiée à cette activité, Menara Préfa, deviendra la pierre angulaire du groupe, en procurant aujourd’hui 50% de son chiffre d’affaires. «Le groupe détient aujourd’hui sept carrières avec une position de leader national en production de granulat», confiait son fils Mohamed Zahid, au magazine Stratégie et management. La plus grande centrale de béton en Afrique est en effet l’œuvre de Ménara Préfa. Selon la stratégie qui a été formulée, les filiales sont restées dépendantes les unes des autres : Ménara Prefa achète ses produits auprès de Transport Ménara et des carrières maison.

Un groupe en plein expansion

En 1996, ses enfants sont intégrés à la direction, et le groupe devient 100% marocain, après le retrait de l’associé européen. A ce moment-là, Zahid est à la tête de 14 sociétés opérant à travers plusieurs pôles d’activité (transport, BTP, automobile, énergie et divers), rapportait à l’époque le quotidien l’Economiste. L’idée de rassembler ses sociétés dans une holding pour faciliter le rôle de chaque société se concrétise en 2006, après plusieurs années d’études. En interne, la holding a adopté un changement organisationnel qui s’est traduit par une filialisation de ses entreprises et la création des directions, qui interviennent en support de l’activité du Groupe. La plus notable est celle des ressources humaines, devenue plus centralisée et qui a entrepris un travail de longue haleine, surtout avec l’élargissement du vivier des effectifs. La direction est passée de 160 salariés en 1996 à 1 500 employés en 2015. Pour affermir et entériner cette transformation, la holding a fait appel à l’Académie du management, qui dispense son expertise en matière de conseil en management et développement des ressources humaines.

En 2013, le bilan de cette opération était plus que concluant, marqué par une évolution du chiffre d’affaires estimée à 67%, soit trente fois plus que l’évolution du marché national. Par la suite, un pôle automobile a été créé pour gérer la flotte automobile du groupe. Ce pôle avait aussi pour mission d’alimenter les véhicules qu’abrite le groupe en pièces de rechange, avec une partie dédiée à la fabrication de moteurs. La filiale dédiée à la commercialisation des pièces détachées pour voitures voit le jour, suivie de Tri Atlas Motors pour la fabrication et commercialisation des véhicules motorisés.

Consécrations et contributions

La holding a été récompensée par la chaire parisienne pour sa capacité d’innovation et pour sa persévérance dans le changement, et sa manie de nouveaux modes de production. Un bon exemple que cette chaire a promulgué comme un cas d’école et un modèle de changement qui a pu permettre à l’entreprise de «passer d’une taille modeste à une position de leader sur l’ensemble de ses activités», énonçait Jean-Marie Peretti, professeur émérite d’ESSEC Business School de Paris. «Notre objectif est de devenir leader dans notre secteur d’activité» avait déclaré feu Abderrahmane Zahid, en marge de l’événement. La holding de l’homme d’affaires marrakchi  pèse aujourd’hui 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires, selon plusieurs médias.

Le Grand Prix automobile à Marrakech, histoire d’une passion

L’entrepreneur entendait depuis un certain temps donner corps au culte de la passion automobile, qu’il entretient depuis l’enfance. Mai 2009, cet ancien rêve d’Abderrahime Zahid se réalise. Le premier Race of Morocco voit le jour à Marrakech. Le Grand Prix de Marrakech, mené envers et contre tous, n’a bénéficié d’aucun soutien et n’a été chapeauté par aucun sponsor quand il a été lancé. Le défunt en fera finalement un rendez-vous, pour lequel il avait obtenu un Wissam royal en 2010. Encouragé par ses fils, aiguillonné par son amour pour les moteurs, Abderrahmane Zahid s’était lancé seul dans cette aventure, préférant  investir des sommes considérables pour sa passion d’antan.

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