Al-Wansharisi, le mufti de Fes populaire en milieu salafiste

La fatwa concernant la hijra d'un mufti du 15ème siècle émise à Fes lui a largement survécu, notamment en milieu salafiste. Histoire.

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Nous sommes en 1491 et la reconquête de l’Andalousie musulmane par les rois catholiques s’achève. La chute de Grenade est proche et il est clair que les musulmans sont sur le point de perdre la guerre.

La hijra, une obligation

À Fes officie un mufti, Ahmad ibn Yahya al Wansharisi, né en 1430 dans la région de Tlemcen en Algérie. Selon la chercheuse américaine Jocelyn Hendrickson qui lui a consacré une étude, le savant est questionné par un autre juriste. Ce dernier lui fait état d’un groupe de musulmans ayant quitté l’Andalousie devant les avancées chrétiennes et émettant l’idée de retourner y vivre, trouvant les conditions de vie difficile en Afrique du Nord. Wansharisi en appelle à une punition exemplaire les concernant, dans une fatwa qu’il délivre, basée sur de nombreux hadits et versets et qui restera comme son avis le plus célèbre, sous le nom de Asna al matajir, dont un manuscrit est conservé à la bibliothèque Al Saud à Casablanca. La fatwa est comprise dans un large recueil d’avis en plusieurs tomes, Al Mi’yar al Mu’rib, dont on trouve un exemplaire à la Bibliothèque nationale de Rabat. Le mufti y est clair : les musulmans ne sauraient rester vivre en terre chrétienne. Et cela, que les dirigeants chrétiens se montrent justes et tolérants, ou pas. La tutelle d’un non musulman est inacceptable pour le mufti. Il s’oppose aussi à ce que des musulmans participent au renforcement économique d’une terre impie et s’inquiète que la religiosité d’un musulman puisse être altérée au contact d’une population non musulmane. Al-Wansharisi fait donc de la hijra, l’émigration, une obligation absolue et sans conditions.

Le milieu salafiste s’empare de la fatwa

Des siècles après le décès de Wansharisi à Fes en 1508, la hijra devient « un concept majeur du mouvement salafiste » explique Mohamed Abdelwahhab Rafiqi, plus connu sous le nom de Abou Hafs, salafiste passé par la prison et libéré en 2012, qui a opéré sa révision idéologique. Le retrait des sociétés considérées impies, le retour à une communauté pure, deviennent des antiennes du mouvement salafiste. C’est donc logiquement que « la fatwa de Wansharisi est devenue une référence importante dans ce milieu » continue l’ancien prisonnier. Qui se souvient : « Aujourd’hui, j’en entends moins parler, mais dans les années 1990, elle était largement diffusée, notamment par Abou Qatada (jordanien, il est une figure importante du mouvement salafiste, ndlr) ». Dans un livre référence sur Abu Mohamed Al Maqdisi, salafiste jordanien et source majeure de la littérature salafiste jihadiste, l’auteur Joas Wagemakers, remarque que l’interdiction faite par Wansharisi aux musulmans de vivre en terre non-islamique, a même participé à forger le concept très usité en milieu salafiste d’al wala’ wal bara’, traduit par « l’alliance (entre musulmans) et le désaveu (envers les infidèles) ». Ce dernier dresse une frontière entre une communauté musulmane unie autour de l’orthodoxie, et les mécréants, avec qui les rapports ne sauraient être que l’incitation à la conversion ou la soumission.

Une réalité qui vient casser l’idée reçue selon laquelle les sources issues du droit malékite (en usage au Maroc et auquel appartenait Wansharisi) ne seraient pas usitées par les salafistes.

 Une popularité réelle

« La popularité de Wansharisi est bien réelle« , nous dit le spécialiste du salafisme Romain Caillet, qui remarque qu’un certain nombre de jihadistes algériens empruntent son nom pour se forger des surnoms. Si la hijra est le principal sujet pour lequel on fait appel à l’oeuvre de Wansharisi, elle n’est d’ailleurs pas la seule. Le cheikh salafiste marocain Omar Haddouchi, lui aussi détenu et gracié en même temps que Rafiqi, le citait il y a peu, sur Twitter, au sujet de la lecture du Coran en période de menstruation.

À l’heure où Daech appelle régulièrement à la hijra vers les territoires sous son contrôle (le troisième numéro de Dabiq, magazine de l’organisation était consacré à ce thème), l’influence de Wansharisi se fait toujours ressentir. Pourtant, comme toute source de ce type, Wansharisi ne saurait être résumé à l’usage qu’on en fait en milieu salafiste. Son imposante oeuvre représente pour toutes les personnes s’intéressant à la vie sociale, économique et culturelle des sociétés maghrébines et andalouses, une source intarissable. Ainsi trouve t-on jusqu’à des études sur les moulins hydrauliques au Maroc à l’époque médiévale, qui se basent en partie sur sa vie et ses écrits.

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