Ta vie en l'air. Triste comédie

Par Fatym Layachi

La semaine est finie. Tu as eu très chaud tous les après-midi en plein soleil avec un col roulé et des bottes et tu as eu très froid tous les soirs sans écharpe ni manteau.

Tu as l’impression que la météo te ressemble en ce moment, elle est indécise et instable. Tu as voulu faire du sport mais tu as oublié de télécharger le planning des cours de yoga, tu as voulu regarder une série et éteindre ton téléphone mais tu as oublié de passer acheter des DVD. Et puis, de toute façon, Zee te harcèle sur WhatsApp pour être sûre que tu vas la rejoindre pour faire la fête. Tu as très envie de la voir, elle a l’air plus enjouée que toi en ce moment, ça devrait te faire du bien. La rejoindre te semble l’option la plus évidente pour ton vendredi soir. Pourtant, tu n’es pas du tout convaincue d’avoir envie de faire la fête.

D’ailleurs, pourquoi faut-il nécessairement qualifier de festif tout rassemblement de gens alcoolisés qui tentent de parler plus fort qu’une musique déjà trop forte ? Comme tu n’as pas de réponse à cette question, tu rejoins quand même Zee pour faire la fête. L’endroit est bondé, tu retrouves pas mal de visages familiers, tu connais la chanson. Tu repères Zee. Elle est debout autour d’une table avec des jeunes cadres sans dynamisme qui rêvent qu’elle les suive et de ravissantes idiotes qui voudraient lui ressembler. Zee aime avoir sa cour. Elle fait ça comme personne. Tu t’approches et t’empresses de te servir un verre. Zee voit bien que tu es crispée, elle te conseille de te détendre. Elle a raison. Tu te ressers et tu souris. Les gens ont l’air de se croire à L.A. ou à Tokyo. Vous êtes à 200 mètres d’un bidonville. Tu es assise à une table où le prix moyen du sac à main équivaut à un Smig annuel. L’année prochaine, ces sacs seront passés de mode. Autant en profiter. Une des groupies de Zee a décidé de devenir ta meilleure amie ce soir. Elle se lance dans des monologues. Heureusement, la musique est de plus en plus forte. Tu écoutes de moins en moins. Tu t’ennuies un peu. Alors tu essayes de penser à de jolies choses. Comme tu ne sais pas comment faire pour retourner dans le passé et que le futur t’angoisse, tu tentes de réenchanter l’instant présent. Mais ça non plus tu ne sais pas comment faire. Alors tu te ressers, tu souris et tu dis bonsoir à plein de gens. Alors ça va ? Tranquille. Et toi ? Le boulot ? C’est dur en ce moment, comme tout le monde. Se plaindre un peu mais surtout ne pas oublier de trinquer. Tchin. C’est important de trinquer, ça donne un air de fête. Et tant pis si ce soir tu es triste. Et tant pis si ce soir tu t’ennuies. Tout ça, ça ne compte pas, tu souris. La ronde habituelle des sourires et des salutations.

Des bribes de discussions à droite, à gauche en prenant bien soin de rester à la surface. La superficialité, c’est tout de même plus poli. Tu ne vas quand même pas demander à ce flambeur au large sourire comment il vit la faillite de son père. Même si tu le sais, même si tu l’as lu dans les journaux. Tu ne vas pas non plus demander à cette jolie fille comment elle vit les infidélités de son mari. Même si tu le sais, même si tu l’as croisé la veille avec sa maîtresse. Tout se sait mais il ne faut pas forcément en parler. Et puis, sûrement pas ce soir. Ce soir, il faut faire la fête, ce soir il faut faire semblant. Alors tu souris encore. Une vaste comédie que ni Balzac ni personne ne rendra glorieuse. Tu aurais mieux fait d’aller faire du yoga. Tu te serais vraiment détendue. Et le lendemain tu aurais eu des courbatures au lieu d’une bouche crispée et d’une gueule de bois.