Edito. Quand le roi n’est pas là

Par Aicha Akalay

Quand le roi est absent, le Maroc tourne au ralenti. Quand le roi apparaît fatigué, c’est tout le pays qui est inquiet. Et lorsque le Palais annonce par voie de communiqué un arrêt maladie du souverain, le royaume a des sueurs froides. Si cet état d’inertie et d’inquiétude ne traduisait que l’attachement des Marocains à leur souverain, personne n’y trouverait à redire. Le roi incarne la nation et l’affection dont il est destinataire n’est pas contestable. Mais ce qui suscite l’inquiétude n’est pas superficiel. Le mal est à la fois profond et perceptible à qui veut bien tendre l’oreille. C’est cet investisseur étranger installé au Maroc qui s’inquiète pour l’avenir de ses deniers qui ne bénéficient que d’une garantie royale. C’est encore ce dirigeant d’établissement public qui se demande quelle institution autre que la monarchie peut jouer un rôle fort dans le pays, afin de garantir aussi les acquis et préparer l’avenir. C’est enfin le Marocain lambda qui imagine le pire si l’institution monarchique était affaiblie, car il n’a foi ni dans la justice ni dans son gouvernement ni en aucune autre institution qui ailleurs participe à fonder les démocraties. Le mal marocain se résume en un constat: la monarchie est la seule institution forte.

L’actualité de ce début d’année le démontre de manière criante. Il a fallu attendre que le roi rentre au Maroc pour que de grands chantiers soient lancés. A Jorf Lasfar, une usine d’engrais à l’échelle de l’Afrique. Près d’Ouarzazate, une gigantesque centrale solaire. Mohammed VI a aussi renouvelé la quasi-totalité de l’appareil diplomatique. Certaines décisions royales sont cruciales pour l’avenir des Marocains, comme la réforme de l’enseignement religieux qui n’aurait pas pu voir le jour sans l’appui du Commandeur des croyants. Il n’y a qu’à percevoir le malaise d’un ministre PJD dans nos pages sur cette question, pour comprendre ce qui se joue. Dans une interview récemment publiée par TelQuel, Lahcen Daoudi, feignant de ne pas comprendre l’essence de cette réforme -asseoir un islam ouvert et tolérant-, détournait l’attention avec cette déclaration: “Les médias n’ont pas rapporté fidèlement l’information. Le roi a demandé à renforcer l’éducation religieuse.

Tout paraît renforcer les arguments des partisans d’une monarchie plus forte encore, archi-exécutive et dominatrice. Le roi, assurent-ils, est le seul en mesure d’assurer la constance des intérêts nationaux au-dessus des ondoyantes stratégies politiciennes qui changent leurs priorités au gré des circonstances. Le monarque serait ainsi le principal artisan et l’ultime garant d’une démocratie à la marocaine. Mais les faits sont là, têtus et durs: la robustesse de notre processus démocratique ne convainc pas. Les citoyens, principaux concernés qui seront encore appelés aux urnes en octobre prochain, n’y croient pas. Tout ce que peut espérer un Marocain dont les droits sont bafoués serait de pouvoir plaider sa cause auprès du roi. Jamais de se défendre devant un tribunal. Or, pour reprendre l’universitaire Albert Mabileau, en démocratie, le pouvoir doit être partagé entre des institutions fortes qui encadrent ceux qui exercent l’autorité, et qui les limitent par le jeu de leurs rapports. Dans son discours d’Accra, en 2009, Barack Obama résumait sa conviction pour le continent: “L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts mais de fortes institutions.” Cette affirmation, frappée au coin du bon sens, est valable pour notre pays. Il est temps de prendre la mesure de cette nécessité, car un pays aux institutions faibles ne résiste ni aux changements ni aux crises. Et le pouvoir discrétionnaire de celui qui dirige seul n’est bon ni pour ceux qui le subissent, ni pour celui qui l’exerce.