Ahmed Assid: « Le parti au gouvernement ne croit pas à la démocratie »

Son combat pour la démocratie, la menace terroriste, l’officialisation de la langue amazighe, la situation politique qui prévaut dans le royaume, Ahmed Assid évoque sans détour et avec lucidité tous les dossiers brûlants du moment.

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 Poète, chanteur, philosophe, sociologue, militant des droits de l’homme… on se demande parfois si Ahmed Assid n’a pas quelque chose de surhumain en lui. Pourtant, c’est avec une grande affabilité que cet infatigable militant de l’amazighité nous reçoit à son bureau, au premier étage de l’Institut royal de la culture amazighe où il officie en tant que chercheur. Celui qui estime que sa mission est de vulgariser les valeurs de démocratie et des droits de l’homme n’oublie pas d’épingler le PJD de Abdelilah Benkirane, un parti qui, selon lui, continue à ne faire que de la figuration face à une monarchie toujours aussi exécutive.

Du temps du Printemps arabe, vous vous exprimiez beaucoup sur la politique. Aujourd’hui, on a l’impression que vous vous focalisez plus, dans vos sorties médiatiques, sur la défense des libertés individuelles…

C’est faux. Puisque je suis de formation philosophique et sociologique, mon rôle est donc celui d’intellectuel. Je n’ai jamais été un bon politique et je n’ai jamais voulu en faire, alors que ça m’a été proposé par quatre partis. Ma mission est d’abord de clarifier les concepts et les grandes notions de démocratie et des droits humains, c’est-à-dire d’essayer de changer les mentalités. Quand les intellectuels se sont trouvés dans la sphère politique, ils ont été ridiculisés. Parce qu’au lieu de faire leur travail, ils ont voulu faire autre chose. Or, ils ne peuvent pas accomplir ce travail correctement. Un homme politique c’est quelqu’un de pragmatique, tandis qu’un intellectuel n’est pas obligé de l’être. Le politique doit dire aux gens ce qu’ils veulent entendre, l’intellectuel doit leur dire ce qu’ils ne veulent pas entendre s’il pense que c’est la vérité, et même si ça peut lui créer des problèmes. Depuis 2011, et même avant, mon discours a toujours été de défendre les droits humains, les valeurs de la démocratie et les libertés individuelles. Seulement, au moment du 20-Février, nous avons été plus présents dans le débat politique parce qu’il y avait une constitution qui se préparait.

Depuis, vous avez cofondé l’association Damir, dont le but est de défendre les droits humains et les libertés individuelles. A quoi servira cette association?

C’est l’idée d’une centaine d’intellectuels et artistes qui veulent créer une force de proposition. Le but étant de faire un suivi de l’action politique dans le pays, mais également de jouer le rôle d’une force de proposition pour les décideurs. Ou encore mettre au point des idées qui peuvent contribuer à la réussite de la transition vers la démocratie. Parce que nous constatons aujourd’hui l’existence de difficultés et d’obstacles sur le chemin de la démocratie. Ainsi, il y a un parti qui dirige le gouvernement et qui ne croit pas à la démocratie.

Vous faites allusion au PJD. Pourtant, beaucoup d’autres partis marocains sont loin d’être des références en démocratie, non?

Au moins dans le discours, on trouve des partis politiques qui sont clairs. Des partis qui veulent la démocratie, l’égalité des sexes, les libertés, etc. Je ne parle pas ici des organismes politiques de l’Intérieur. Le seul parti qui ait des réserves en ce qui concerne les valeurs de la démocratie c’est le PJD. La preuve: le parti a toujours eu des problèmes avec les droits de la femme et la question amazighe. Quand on a des problèmes avec la diversité culturelle et linguistique, et quand on a des problèmes avec les femmes, ça veut dire qu’on n’est pas convaincu par la démocratie, ou alors partiellement. Parce que la démocratie pour les islamistes, c’est un simple mécanisme qui permet d’arriver au pouvoir, séparé de toutes les valeurs philosophiques intrinsèques à la démocratie.

En Tunisie, par exemple, le parti islamiste Ennahda ne s’est pas accroché au pouvoir. N’est-ce pas là la preuve de la compatibilité entre un certain islam politique et la démocratie?

Oui, les dirigeants d’Ennahda ont fait des concessions. Ils ont été un peu plus rationnels, même si leur contexte est différent de celui du Maroc. Ennahda a quand même commis des erreurs et a été contraint de remettre le pouvoir à cause de la pression de la rue. Mais ils ont été rationnels en considérant qu’ils ne pouvaient pas imposer, même à travers les urnes, leurs valeurs et leurs idées rétrogrades.

C’est donc le parfait exemple que la démocratie peut s’apprendre…

Bien entendu. Pour nous, le PJD a aussi des choses à apprendre. Le problème au Maroc, c’est que le PJD est protégé parce qu’il ne gouverne pas. C’est un parti qui est au gouvernement, mais les grands choix de l’État sont faits par la monarchie. Il y a une politique qui se trame en dehors du parlement et du gouvernement. Et c’est ce qui protège le PJD. Car si ce parti avait été un peu plus influent, il aurait pu avoir beaucoup plus de problèmes. Je donne comme preuve ce qu’ont subi les Frères musulmans (en Égypte, ndlr).

Paradoxalement, parce que le PJD n’exerce pas le pouvoir, cela va lui permettre de rester au pouvoir et de remporter les législatives de 2016?

Absolument! Benkirane a de grandes chances de remporter les élections parce qu’il ne cesse de répéter qu’on ne le laisse pas travailler. Mais nous assistons à un jeu politique qui ne sert pas la transition vers la démocratie.

Sur un tout autre sujet, la diplomatie marocaine a récemment appelé à soutenir le droit à l’autodétermination du peuple kabyle. Qu’en pensez-vous?

Malheureusement, ce n’est pas une bonne idée. En adoptant cette position, le régime marocain se place dans une situation difficile parce qu’il a répondu au mal par le mal. “Puisque l’Algérie utilise le Polisario, donc nous aussi on va utiliser les Kabyles.” C’est un très mauvais calcul. D’un autre côté, les Marocains ont utilisé la convention internationale relative au droit des peuples autochtones, pour déclarer que les Kabyles sont des autochtones qui ont des droits. Le problème, c’est que le Maroc non plus ne respecte pas le droit des autochtones sur son propre territoire. L’exploitation des richesses naturelles, ou encore de certaines terres collectives ou appartenant à des tribus, se fait en totale contradiction avec le droit international. La démarche marocaine manque donc de légitimité. Et je crois que notre diplomatie doit reculer à ce niveau-là. Le risque est grand de porter atteinte à la stabilité de la région.

Vous avez souvent été menacé par certains takfiristes à cause de vos prises de position. Avez-vous déjà été menacé de mort?

Oui. La menace la plus sérieuse m’a été communiquée suite à l’arrestation d’une cellule terroriste de treize personnes, qui avaient prévu d’assassiner un certain nombre de personnalités marocaines, dont moi. J’ai alors été invité par le ministre de l’Intérieur qui m’a expliqué que le danger était bien réel. J’ai également été invité à rencontrer M. Hammouchi dans son bureau, qui m’a lui aussi donné d’autres informations concernant les intentions des terroristes. Aujourd’hui plus que jamais, les intellectuels, les hommes politiques, les artistes, les syndicalistes, doivent absolument avoir le courage d’exprimer leurs opinions. Car si jamais on recule devant les menaces, c’est le pays qui va perdre. La meilleure réponse à apporter aux extrémistes est de réussir le processus démocratique, car cela va tout simplement dans le sens de l’histoire.

Pensez-vous que ce gouvernement va finir par adopter la loi organique relative à la constitutionnalisation de l’amazigh?

En ce qui concerne la mise en œuvre du caractère officiel de la langue amazighe, malheureusement, on a découvert que ce n’est pas l’affaire du gouvernement. En 2012, nous avions eu un débat élargi autour de cette loi organique. Nous avions organisé treize rencontres à travers tout le territoire, nous y avions inclus des partis politiques, des associations de droits humains, et nous avions même réussi à convaincre la Chambre des conseillers d’organiser une journée d’études sur la loi organique. Cela veut dire qu’on était proches de cette mise en œuvre. Soudain, toutes les portes se sont fermées. Les chefs de partis politiques qui, un temps, étaient nos alliés, et dont certains font partie du gouvernement, nous ont conseillé d’aller frapper à d’autres portes. S’en sont suivies trois années de silence, jusqu’au discours prononcé par le roi à l’occasion de l’ouverture de la dernière session automnale du parlement, dans lequel il a évoqué la loi organique relative à la langue amazighe. Cela veut tout simplement dire que le dossier de l’amazigh est un dossier souverain qui fait partie de la chasse gardée de la monarchie, au même titre que l’islam, la femme ou encore le Sahara. Et, depuis, une commission a été installée, avec Driss Khrouz à sa tête. Une commission où se tient un débat très intéressant et profond. La commission nous a reçus le 19 décembre. Ce qui est frappant, encore une fois, c’est que le gouvernement est mis hors jeu.

Pensez-vous que ce soit une bonne chose?

C’est une lame à double tranchant. Si jamais les partis politiques s’occupaient de ces choses-là, il y aurait des émeutes. Si le PJD gère l’amazighité, c’est la catastrophe. Ça c’est le bon côté. Le mauvais côté, malheureusement, c’est que ça n’aide pas à faire avancer le processus démocratique, bien au contraire.

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